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Le « questionnaire Janvier »

Chapitre 4 – Les nouveau-nés sont traités différemment

4.1 Le « questionnaire Janvier »

Afin de confirmer l’hypothèse selon laquelle les nouveau-nés sont défavorisés en raison de caractéristiques indépendantes de leur pronostic ou de leurs chances de survie, nous avons élaboré un projet de recherche visant à connaitre comment les intervenants de la santé évaluent le meilleur intérêt des nouveau-nés et ce qui alimente leur processus décisionnel. Ce projet a été élaboré à partir d’un questionnaire développé par Dre Annie Janvier et validé dans plusieurs pays. Dre Janvier a publié un article révolutionnaire en 2008(11) portant sur le meilleur intérêt des nouveau-nés. Son hypothèse était que lorsque comparés à des patients plus âgés, les nouveau-nés seraient jugés par rapport à des standards différents. Dans le but de prouver cette hypothèse, huit scénarios ont été élaborés, chacun portant sur un patient inapte et nécessitant une réanimation. Les patients incluent un prématuré de 24 semaines, un nouveau-né à terme atteint d’une malformation artério-veineuse cérébrale, un bébé de deux mois atteint de méningite, un enfant de 7 ans atteint de paralysie cérébrale et de surdité appareillée victime d’un nouveau traumatisme crânien, un adolescent de 14 ans atteint de leucémie myéloïde aigüe avec atteinte nerveuse centrale, un patient de 35 ans atteint d’une tumeur cérébrale, un patient de 50 ans impliqué dans un accident de voiture, et un patient de 80 ans atteint de démence avec un nouvel accident vasculo-cérébral. Pour chacun de ces patients, aucune information psychosociale n’est donnée. Par contre, les chances de survie et le pronostic de chacun des patients sont détaillés. Quatre de ces patients ont 50% de chance de survie, avec 50% de chance

de survie intacte et 25% de risque de handicap sévère. Ces quatre patients comprennent les deux nouveau-nés, l’enfant de 2 mois et le patient de 50 ans impliqué dans un accident. Deux patients ont déjà un handicap existant, soit le patient de 7 ans et celui de 80 ans : les deux sont décrits comme ayant 50% de chance de survie et 50% de chances d’avoir un handicap supplémentaire. Deux patients n’ont que 5% de chance de survie : l’adolescent de 14 ans, qui est décrit comme ayant un risque de handicap de 20% s’il survit, et le patient de 35 ans, qui lui a un risque de handicap de 100% s’il survit. Suite à la lecture de ces huit scénarios, présentés un à la suite de l’autre, avec les statistiques explicites, les participants au projet de recherche ont dû répondre aux questions suivantes :

1) Est-ce que vous intuberiez ce patient et consulteriez les soins intensifs ? 2) Croyez-vous que la réanimation est dans le meilleur intérêt du patient ?

3) Si la famille vous demandait des soins de confort, est-ce que vous accepteriez ? 4) Si c’était vous ou votre famille, est-ce que vous voudriez être réanimé ?

Ce questionnaire a été distribué à l’ensemble des médecins impliqués en réanimation au centre hospitalier universitaire de McGill, ainsi qu’à des étudiants de droit, d’anthropologie, de médecine et de bioéthique de l’Université McGill. Les conclusions de ce projet sont fascinantes. Tout d’abord, la réanimation et l’intubation ont été jugées être dans le meilleur intérêt des patients dans l’ordre suivant : patient de 2 mois (97%), patient de 7 ans (94%), patient de 50 ans (87%), nouveau-né à terme avec la malformation artério-veineuse cérébrale (87%), les deux patients avec 5% de chances de survie (76 et 80%), le prématuré (69%), et le patient de 80 ans (32%)(11). Donc plus de participants ont jugé que la réanimation était dans le

meilleur intérêt de patients avec un moins bon pronostic que les nouveau-nés, surtout le prématuré. De plus, même si 69% ont jugé que la réanimation était dans le meilleur intérêt du prématuré, 54% étaient prêts à accepter des soins de confort à la demande de la famille. Ceci est contraire à ce qui est traditionnellement enseigné en médecine. Généralement, si la réanimation est jugée dans le meilleur intérêt d’un patient, surtout pour un mineur ou une personne inapte, celle-ci est débutée et les soins de confort ne sont pas administrés. Si au contraire la réanimation n’est pas jugée dans le meilleur intérêt d’un patient, alors les soins de confort sont administrés.

À la lumière de ces résultats, on aurait pu se demander si ceux-ci ne sont représentatifs que d’un groupe en particulier, le reflet d’un environnement ou d’une culture professionnelle unique. Mais ces résultats ont été reproduits dans tous les pays dans lesquels ce questionnaire a été distribué. En Irlande, le patient de 2 mois et celui de 7 ans sont ceux pour lesquels la réanimation a été jugée dans le meilleur intérêt(12). Aux États-Unis, une relation inversée a été démontrée entre l’évaluation du meilleur intérêt et l’acceptabilité des soins de confort, sauf pour les deux nouveau-nés(13). L’enfant de 7 ans était systématiquement réanimé bien qu’ayant un pronostic inférieur ou similaire aux autres patients(13). En Norvège, moins de participants ont jugé que la réanimation était dans le meilleur intérêt des nouveau-nés, et un nombre significativement plus élevé serait prêt à accepter des soins de confort pour les nouveau-nés malgré avoir jugé que la réanimation serait dans leur meilleur intérêt(14). Contrairement aux autres études similaires mentionnées, celle-ci a rajouté une question avec six suggestions d’éléments ayant potentiellement contribué au processus décisionnel des participants. Parmi ceux-ci, la qualité de vie était l’élément le plus fréquemment mentionné

comme justification. En Australie, 77% des participants ont estimé que les soins intensifs étaient dans le meilleur intérêt du nouveau-né prématuré mais 96% respecteraient les souhaits de la famille pour des soins de confort(15).

Ainsi, les résultats découverts lors de la toute première réalisation du questionnaire ont été reproduits à tous les endroits dans lesquels le questionnaire a été donné. Toutefois, mis-à-part une question supplémentaire ajoutée par le groupe de Norvège, aucun projet n’a demandé aux participants d’expliquer leurs choix, afin de comprendre comment ils évaluent réellement le meilleur intérêt des patients et secondairement la dévaluation systématique des nouveau-nés. C’est avec cet objectif que notre dernier projet a été développé.