• Aucun résultat trouvé

La question de la prostitution des mineurs est abordée sous deux angles : celui de l’enquête pénale, des premières investigations jusqu’à la phase de jugement et celui tout aussi important de la prise en charge des victimes mineures de prostitution.

Le traitement judiciaire

Les particularités du proxénétisme et de la traite des êtres humains (TEH) des mineurs, le recours à des techniques d’enquête de criminalité organisée et souvent, la difficile collaboration des victimes ou parfois leur double qualité d’auteur et de victime, nécessitent un savoir-faire particulier d’autant qu’il faut en plus articuler le volet pénal avec celui de l’assistance éducative.

Cela justifie donc que dans chaque parquet dont l’activité le justifie, il soit désigné un référent proxénétisme / TEH sur mineurs, doté des connaissances spécifiques sur le sujet.

A l’heure actuelle, la police ne dispose pas d’une vision d’ensemble du phénomène, et la gendarmerie ne peut opérer de centralisation des informations qu'a posteriori, une fois que les affaires sont terminées, par l’intermédiaire des télégrammes. Cette situation n’est pas satisfaisante et traduit une réalité dégradée dans la collecte et l’exploitation du renseignement.

30 Aussi, il serait opportun d’organiser une centralisation du renseignement au niveau départemental ou régional afin d’assurer une collecte efficace des informations et la circulation coordonnée des informations dans les territoires.

Au niveau du choix du service d’enquête, lors de leurs auditions devant le groupe de travail, les acteurs de la police nationale ont fait état de l’absence ou de l’obsolescence de protocoles de saisine des services d’enquêtes sur le proxénétisme et la TEH dont sont victimes les mineurs. Les contraintes que font peser sur eux le principe de territorialité et les règles qui s’y attachent sont également dénoncées car ne permettant pas la souplesse d’adaptation nécessaire à la réalité de la délinquance.

La mobilité des proxénètes et de leur réseau qui prostituent des victimes sur des territoires différents met à mal l’organisation des services et conduit à un éparpillement des unités saisies et qui travaillent en silo alors que la désignation d’un seul service d’enquête pour suivre l’intégralité de la procédure serait éminemment préférable.

La complexité des enquêtes nécessite une adaptation constante des services enquêteurs. Cette complexité tient d’abord au fait que les affaires de prostitution des mineurs sont très souvent révélées par un tiers, souvent le client, qui n’est en lien ni avec le réseau ni avec la victime. Elle tient aussi au fait que souvent, les enquêtes nécessitent un régime procédural dérogatoire, en raison de la mise en place de techniques complexes. A chaque fois, dès lors qu’on s’attaque à un réseau un peu organisé, il faut mettre en œuvre une stratégie selon la structuration du réseau et des investigations à l’international sont parfois nécessaires. Le temps et les délais des enquêtes préliminaires sont un enjeu important dans le cadre d’affaires de prostitution des mineurs.

Par ailleurs, la question de la minorité de la victime peut soulever des difficultés probatoires. Il convient donc de figer la minorité des victimes en procédure en prenant et en annexant des photos d'elles et/ou en rédigeant un procès-verbal de renseignements concernant l'apparence de minorité de la victime compte tenu de sa tenue vestimentaire, son apparence physique, son langage et son comportement de manière plus générale. Ce sont des informations minimales à donner mais pas toujours évidentes ni à recueillir ni à formaliser.

D’un autre côté, une autre prostitution des mineurs est en train de se développer, celle dite « 2.0 », sur internet et les réseaux sociaux, complexifiant encore les enquêtes. Certaines messageries instantanées telles que Whatsapp, Tik Tok ou Snapchat Messenger échappent largement aux possibilités de surveillance technique des services enquêteurs. En outre, il peut y avoir également des problèmes de conservation et de durée de conservation des preuves de l’infraction. Par exemple, Snapchat efface automatiquement les messages reçus. A cette difficulté s’ajoute celle liée à la réponse

31 ou à l’absence de réponse aux réquisitions de ces plateformes quand cela n’exige pas des demandes d’entraide internationale.

Enfin, certains opérateurs mobiles ne vérifient pas l'identité des clients et sont donc dans l’impossibilité de fournir l’état civil de ces derniers. La brigade de protection des mineurs de Paris (BPM) remarque que sur les sites internet hébergeant des annonces prostitutionnelles, la minorité des victimes n’est jamais affichée.

Lors des auditions devant le groupe de travail, les représentants des services d’enquête et les enquêteurs eux-mêmes ont tous pointé le manque de moyens alloués à la lutte contre la prostitution des mineurs.

Cela avait d’ailleurs été relevé en son temps (décembre 2019) dans le rapport des inspections générales sur l’évaluation de la loi du 13 avril 2016.

Il est donc indispensable de renforcer les moyens affectés aux services de police et de gendarmerie pour travailler sur ces enquêtes qui, souvent, demandent beaucoup d’investigations de nature différente mais toutes chronophages (auditions, écoutes, filatures, exploitation des réquisitions bancaires…).

La lutte contre le cyber proxénétisme exige aussi des moyens et il faut accroître le nombre des habilitations spéciales des officiers et agents de police judiciaire pour procéder à des enquêtes sous pseudonyme prévues par l’article 230-46 du code de procédure pénale.

Le groupe de travail observe que les victimes collaborent souvent difficilement, notamment lorsqu'elles ne sont pas en période de crise ou en demande d'aide pour quitter la prostitution.

Dans les enquêtes, la libération de la parole de la victime est pourtant un enjeu crucial. La présence d’associations d’aide aux victimes et d’intervenants sociaux au sein des unités d’investigations est particulièrement bénéfique.

Compte-tenu du sujet abordé, de sa complexité, et des réticences à coopérer, il apparaît nécessaire de préparer la victime par un entretien préalable de préparation à l'audition avec un psychologue, un avocat, un administrateur ad hoc ou un travailleur spécialisé dans la prise en charge des personnes en situation de prostitution.

C'est notamment une pratique qui existe pour des victimes de traite des êtres humains comme les nigérianes. L’objectif n’est évidemment pas de préparer des réponses sur le fond mais de mettre en confiance les victimes avant l'audition par des enquêteurs pour qu’elles comprennent le sens de cette dernière, le contexte dans lequel elle s’inscrit et les possibilités de prise en charge ou d’accompagnement qui peuvent en découler.

32 Le groupe de travail sensibilise aussi sur les modalités de poursuite de ces actes et leurs qualifications juridiques tout en rappelant l’importance essentielle du suivi rapproché de la victime pendant toute la procédure à travers la désignation d’un administrateur ad hoc et la présence indispensable d’un avocat auprès du mineur victime de proxénétisme.

La question de la prise en charge des victimes

Il est primordial de proposer une prise en charge spécialisée, par des professionnels formés aux problématiques spécifiques des mineurs victimes de prostitution (et de TEH).

La prise en compte du besoin doit structurer l’élaboration de tout projet d’accompagnement d’un mineur victime de prostitution : état de santé physique et psychique, scolarisation et formation, insertion sociale et professionnelle, nécessité d’un éloignement du collectif ou d’un séjour de rupture, aspects sécuritaires (notamment lorsque le mineur est embrigadé dans un réseau organisé). Le soutien des parents, lorsqu’ils sont présents, est tout aussi important au regard du risque d’incompréhension et de dégradation des liens familiaux lié aux conduites prostitutionnelles.

Aussi, il est fondamental de ne pas s’attendre à rencontrer une « victime idéale ». En effet, si certaines victimes sont demandeuses de protection et de sortie d’exploitation pérenne, d’autres n’expriment pas de tels désirs. Comme cela a été signalé plusieurs fois (voir supra), les mineur(e)s ne se considèrent que rarement comme victimes mais doivent toutefois être protégé(e)s et accompagné(e)s par des professionnels formés.

Enfin, la réduction des risques liés à la prostitution est une démarche essentielle à mener en complément des mesures de protection. La consommation excessive d’alcool ou de drogues, ou encore la méconnaissance des méthodes de contraception et d’avortement sont des réalités pour les jeunes impliqués dans des comportements sexuels à risque.

Ainsi, en raison des grandes dissemblances que présentent les situations de prostitution infantile, les réponses d’accompagnement doivent être pensées avec et au-delà des dispositifs classiques de la protection de l’enfance.

Tout l’enjeu de la prise en charge réside ensuite dans la capacité à proposer des réponses à la fois dans l’urgence et dans la durée.

L’accès à l’hébergement est une piste très importante. Tous les professionnels en charge de la protection des mineurs, ou des jeunes majeurs, ont souligné les limites des dispositifs d’hébergement pour les victimes mineures liées à un nombre de places insuffisant, à l’absence de formation des

33 personnels et de pluridisciplinarité des équipes éducatives, notamment dans la prise en charge de leur état de santé psychique et physique.

La spécialisation des équipes éducatives conditionne la réussite de la prise en charge qui s’avère complexe. En effet, les mineur(e)s en situation de prostitution sont souvent accueilli(e)s en urgence, à la suite d’une intervention des services éducatifs ou de police et peuvent être opposant(e)s à une mesure de protection. Enfin, un éloignement est souvent nécessaire pour les soustraire de l’emprise du réseau et assurer leur protection. La prise en charge des jeunes engagés dans des conduites prostitutionnelles appelle donc un panel de réponses diversifiées et d’interventions pluridisciplinaires.

La proximité avec les populations locales et la fine connaissance des spécificités propres à chaque territoire font des partenariats, notamment entre l’ASE, la PJJ et les autres acteurs de la protection de l’enfance, la clé pour concevoir des réponses souples et innovantes.Concernant l’hébergement, il est important de prévoir la création de structures d’accueil spécialisées conditionnant la mise sous protection de certains mineurs en danger de prostitution. Il est indispensable de repenser un « circuit court » de placement éloigné afin que les jeunes ne se retrouvent pas contraints de passer plusieurs nuits en foyer d’urgence ou en hôtel où leurs donneurs d’ordre les retrouvent systématiquement.

Ensuite, la prise en charge médicale tant physique que psychique revêt un aspect primordial pour les victimes mineures de prostitution qui très souvent rencontrent les problématiques suivantes : consommation de produits stupéfiants, alcoolisation lourde et quotidienne, troubles dépressifs avec des antécédents suicidaires. Globalement, les professionnels constatent que les jeunes filles sont dans un état de santé préoccupant. À l’admission d’un(e) mineur(e), il est nécessaire de procéder à minima à un bilan avec un médecin généraliste.

Une prise en charge psychologique pour les mineur(e)s victimes de prostitution est indispensable. La symptomatologie des enfants et jeunes victimes de prostitution et de traite des êtres humains varie en fonction de leur parcours, de leur culture, de leur âge, de leur personnalité et des possibilités de soutien qu’elles peuvent rencontrer. Néanmoins, les personnes prostituées font face à une très forte prévalence de symptômes de stress post-traumatique (ESPT) en raison des atteintes répétées à leur intégrité physique par des violences sexuelles. Ce symptôme est l’incapacité de se remettre après un événement grave ou une usure continuelle. Il s’agit d’un mécanisme de sauvegarde psychologique exceptionnel. Accéder à une prise en charge psychologique pour les mineur(e)s victimes de prostitution et de traite des êtres humains dépend du cadre et de la structure dans lesquels le/la mineur(e) est pris(e) en charge. La présence d’un psychologue et/ou d’un psychiatre dans l’équipe des professionnels facilite évidemment cette prise en charge. Ainsi, il semble nécessaire que les établissements de l’ASE ou de la PJJ développent des outils de prise en charge du soin adaptés localement.

34 Enfin, la prise en charge des conduites addictives peut être une porte d’entrée pour envisager un accompagnement plus global vers la sortie de la prostitution.

Le groupe de travail alerte sur la fugue, épisode à haut risque prostitutionnel nécessitant une réponse adaptée par les services en charge des mineur(e)s. Les fugues de mineur(e)s de chez leurs parents ou de leur lieu de placement représentent un danger supplémentaire pour eux. En effet, fragilisés pendant cette période d’errance, ou en tout cas de rupture avec leur cadre éducatif ordinaire, ils peuvent être recrutés par des proxénètes et ensuite, lorsqu’ils retournent auprès de leur ancien exploiteur ou auprès du réseau qui les exploitait, il n’est pas rare qu’ils subissent des représailles ou qu’ils doivent compenser le manque à gagner qu’a causé leur absence. Cependant, la fugue ou la récupération n’est pas une fin de parcours ni une fin d’accompagnement.

La fugue est donc un moment particulièrement à risque du point de vue des conduites prostitutionnelles. Elle est un espace de mise en danger pour le/la mineur(e), qui pendant son errance, s’expose à de nombreuses violences, conduites et situations à risque. Le 116 000 Enfants disparus, géré par la fondation Droit d’enfance, est le numéro d’appel d’urgence européen dédié à la cause des disparitions de mineurs (fugues, enlèvements parentaux, enlèvements criminels…), témoigne être de plus en plus confronté à des situations d’exploitation sexuelle et de prostitution, et plus spécifiquement lorsque les fugues durent où se répètent. Enfin, en 2020, 40% des adolescentes accompagnées pour fugue étaient concernées par de la prostitution soit parce qu’elles étaient en contact avec des réseaux soit parce qu’elles risquaient de l’être. Ce chiffre s’élevait à 25% en 2019, ce qui témoigne d’une hausse significative du phénomène.

De même, selon les services de police, les fugues constituent un phénomène de masse dont le volume met les équipes en difficulté (pour exemple, plus de 5 000 fugues de foyers parisiens durent de 1 à 24 heures et sont résolues en moins de 48 heures sans aucune intervention policière).

Les fugues sont l’un des dénominateurs communs des mineures victimes de prostitution.

Pour autant, le lien entre fugue et prostitution reste difficile à établir. En effet, lorsqu’un signalement de fugue parvient à la police, il s’agit de déterminer s’il s’agit d’une fugue « classique » ou d’une fugue

« inquiétante » pour laquelle la disparition du mineur est vraisemblablement liée à une activité criminelle ou délictuelle, sans pouvoir se baser sur une qualification juridique.

La problématique des fugues (fréquentes parmi les mineurs placés en danger de prostitution) et leur traitement doivent donc faire l’objet d’une évaluation sérieuse garantissant une réponse adaptée.

Le retour de fugue est également un moment clé.

35 D’un point de vue éducatif, ce retour nécessite une écoute bienveillante par des professionnels formés au recueil de la parole des mineurs et au psychotrauma.

Les jeunes filles peuvent avoir le sentiment de plusieurs injustices qui peuvent favoriser la récidive : - lorsqu’elles ont été contraintes de se prostituer, les clients sont rarement inquiétés ;

- si elles ont commis un délit durant le temps de la fugue, il y peut y avoir une procédure pénale à leur encontre, souvent accompagnée de MJIE (Mesure Judiciaire d’Investigation Éducative) ou de LSP (Liberté Surveillée Préjudicielle), qu’elles vivent comme des contraintes ;

- lorsque ces fugues résultent d’un climat de violences et/ou d’abus sexuels ou de viols dans le cadre familial ou familial élargi, et que rien ne se passe en conséquence pour les parents dysfonctionnant.

Par ailleurs, les retours de fugue sont complexes car dès lors qu’il y a suspicion de prostitution, le retour en famille devient quasiment impossible et la fugue « signal d’alerte » se transforme en « vagabondage ou désobéissance familiale ».

Enfin, une des raisons principales des récidives est l’emprise du réseau, avec l’incapacité dans les moments de fragilité, de résister aux sollicitations incessantes.

Ainsi, le travail socio-éducatif consistera lors des retours de fugues à la reconstruction et la revalorisation d’une image sociétale dégradée pour les victimes.

Lorsqu’il s’agit d’une fugue d’un lieu de placement institutionnel, la réponse institutionnelle reste trop souvent la demande de mainlevée. Dans ce cadre, des possibilités d’évolution sont à envisager.