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Chapitre II : Autour de l’argumentation

2. Quelques définitions et évolutions du terme

Si nous définissons l’argumentation comme une tentative pour modifier les représentations de l’interlocuteur, il est clair que toute information joue ce rôle et qu’elle peut être dite argumentative en ce sens selon Benveniste (1966, p. 242). Tout énoncé, toute succession cohérente

d’énoncé (descriptive, narrative) construit en point de vue ou « schématisation », dont l’étude constitue l’objet de la logique naturelle. Pour J.-B. Grize, l’argumentation est « une démarche qui vise à intervenir sur l’opinion, l’attitude, voire le comportement de quelqu’un », par les moyens du discours. « Telle que je l’entends, l’argumentation considère l’interlocuteur, non comme un objet à manipuler, mais comme un alter ego auquel il s’agira de faire partager sa vision. Agir sur lui, c’est chercher à modifier les diverses représentations qu’on lui prête, en mettant en évidence certains aspects des choses, en en occultant d’autres, en en proposant de nouvelles, et tout cela à l’aide d’une schématisation appropriée » (Grize 1990, p. 40). Un énoncé informatif classique comme « il est 8 heure ! » est argumentatif en ce sens : « argumenter, cela revient a énoncé certaines propositions qu’on choisit de composer entre elles. Réciproquement, énoncé, cela revient à argumenter, du simple fait qu’on choisit de dire et d’avancer certains sens plutôt que d’autre » (Vignaux 1981, 1988, p. 91).

D’une façon différente, une argumentation est considéré comme une composition d'une conclusion et d'un ou plusieurs « éléments de preuve », que nous l’appelons des prémisses ou des arguments, et qui constituent des raisons d'accepter cette conclusion. Nous distinguons trois grands groupes : L'art de démontrer (Nous s'appuyons sur des faits, des preuves, une loi incontestable), l'art de persuader (l'émetteur fait appel au sentiment des destinataires (émouvoir, rire ou encore provoquer)) et l'art de convaincre (l'auteur fait appel à la raison du destinataire, mais sans utiliser de faits scientifique.)...

L'argumentation désigne également l'échange discursif effectif par lequel des interlocuteurs tentent de défendre une position ou de faire accepter un point de vue.

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Plus largement, l'argumentation est un champ d'études à la fois descriptif et critique qui s'intéresse à la mise en forme des arguments (oralement ou par écrit) en vue, notamment, de la persuasion d'un auditoire. En ce sens, l'argumentation est une branche de la rhétorique.

Nous distinguions autrefois les argumentations des démonstrations, dans un cadre positiviste (étudiés par Chaïm Perelman) où étaient distingués le domaine des faits et des valeurs. La distinction argumentation/démonstration mérite d'être nuancée car elle fait abstraction de la dimension interactive des échanges verbaux. S'il y a bien une différence entre argumentation et démonstration, nous ne saurions nier toutefois que toute démonstration dépend nécessairement d'une argumentation pour être considérée et légitimée dans un champ disciplinaire scientifique.

Dans le contexte de l'épistémologie contemporaine, faillibilité, c'est-à-dire pour laquelle de nouvelles données ou de nouvelles théories peuvent à tout moment remettre en question ce qui était jusque là considéré comme étant vrai, la distinction argumentation/démonstration n'a plus sa place. Dans leurs articles spécialisés, les chercheurs, qu'ils soient physiciens, biologistes ou historiens, argumentent en faveur de certaines conclusions lesquelles peuvent éventuellement être réfutées, comme l'ont montré Karl Popper et, dans une autre optique, Thomas Kuhn.

Une argumentation est jugée bonne ou mauvaise selon que les prémisses sont acceptables (logiquement ou consensuellement) et qu'elles sont jugées suffisantes pour soutenir la conclusion. Lorsqu'une argumentation n'est pas conforme à ce cadre normatif ou à certaines règles d'inférence logique, elle sera qualifiée de paralogisme ou de fallacy (pour employer un terme plus fréquent dans le monde anglo-saxon).

Une argumentation peut, par ailleurs, être convaincante ou non pour tel ou tel public (auditoire, selon l'ancienne rhétorique). Plusieurs facteurs peuvent faire en sorte qu'une bonne argumentation ne convainque pas quelqu'un (préjugés, intérêt personnel, manque de connaissance du domaine, aveuglement passionnel, impertinence, … etc.). Ces mêmes facteurs peuvent également faire en sorte qu'une mauvaise argumentation convainque néanmoins quelqu'un ; c'est ce qu'avait déjà observé Aristote dans les Topiques et les Réfutations sophistiques.

Selon Chaïm Perelman (Traité de l'argumentation, écrit en collaboration avec Lucie Olbrecht-Tyteca, 1959), l'argumentation est la manière de présenter et de disposer des arguments (raisonnements ou raisons avancées n'ayant pas valeur de preuve mais qui s'imposent à tout être raisonnable) à l'appui d'une thèse ou contre celle-ci, en vue d'obtenir l'adhésion par consentement d'un auditoire. Elle suppose un contact intellectuel. Elle se démarque de la démonstration qui repose sur des faits, lesquels emportent l'adhésion par contrainte d'un auditoire.

Cette perspective a donné lieu à de nombreuses recherches qui ont conduit à nuancer les positions de Perelman. Les travaux inspirés de Stephen Toulmin (The uses of argument, 1959) et ceux notamment de Kenneth Burke ont permis de donner un autre éclairage sur l'argumentation en ouvrant plusieurs voies novatrices à ce champ d'études. Parmi les nombreuses contributions post-perelmaniennes à l'étude de l'argumentation, nous retiendrons notamment les travaux de :

• Georges Vignaux dans approche cognitive de l'argumentation ; • Michel Meyer dans approche philosophique, rhétorique ;

• Marc Angenot dans rhétorique du pamphlet et approche historique des

schémas argumentatifs ;

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• Jean-Blaise Grize dans logique « naturelle » ;

• Douglas Walton dans (logique informelle et étude des fallacies ; • Frans Van Eemeren et Rob Grootendorst dans pragma-dialectique ; • Harald Wohlrapp dans non sujette à objection «Einwandfreiheit» ; • Christian Plantin dans approche linguistique ;

• Jean-Michel Adam dans approche textuelle

• Ruth Amossy dans approche littéraire de l'argumentation ; • Philippe Breton dans approche communicationnelle ;

• Des approches philosophiques ont également été proposées par Karl-Otto Apel et Jürgen Habermas dans le cadre d'une théorie de l'éthique de la discussion.