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1. Contribution biologique

1.2. Quand le paysage intensif affecte la fitness

Nous venons de voir que la décision de disperser entre deux saisons de reproduction chez l’Hirondelle bicolore n’est pas directement liée aux conditions environnementales, mais serait affectée par le succès reproducteur individuel. Pourtant, survie et succès reproducteur sont directement affectés par l’environnement. En explorant deux échelles spatiales, une échelle proximale autour du nichoir (rayon de 300 m) et une échelle régionale (rayon de 4 km), nous

avons montré que la proportion de cultures intensives (soja, maïs, céréales) proche des nichoirs affecte le succès reproducteur et la densité en hirondelles sur les fermes, alors qu’à l’échelle régionale, celle-ci influence faiblement la probabilité de survivre.

1.2.1. Effets directs du paysage intensif

Bien que la composition du paysage en cultures intensives n’ait pas significativement diminué la probabilité de survivre, le paysage intensif a drastiquement diminué le nombre d’oisillons envolés par femelle. Dans un paysage sans culture intensive, le nombre moyen d’envols par femelle par année est de 4, alors qu’il chute à 1 lorsque la proportion de cultures intensives est supérieure à 30 %. Alors que le nombre d’envols est fortement corrélé au nombre d’œufs pondus, il a déjà été montré dans notre système que la taille de couvée était diminuée d’un œuf en milieu intensif comparé au milieu extensif (Ghilain et Bélisle, 2008), mais cela n’explique pas entièrement la diminution des envols en milieu intensif. Cette diminution peut avoir différentes causes, incluant une diminution des performances reproductrices des parents ou une mortalité des oisillons d’origine environnementale. Récemment, de nouvelles études ont montré la nocivité liée à l’utilisation de produits phytosanitaires dans l’agriculture intensive sur la survie et l’investissement reproducteur des oiseaux (Gibbons et al., 2014 ; Hallmann et al., 2014). Les pesticides systémiques diffusent dans toutes les parties de la plante dont le nectar et le pollen, et sont accumulés dans les invertébrés. Le transfert de ces produits se fait à travers le temps via la rémanence de la molécule chimique dans le sol et sa circulation dans le réseau trophique (Smits et al., 2005). Dans notre aire d’étude, 38 substances phytosanitaires ont été retrouvées dans la diète alimentaire de l’Hirondelle bicolore, maillon intermédiaire de la chaine alimentaire (Haroune et al., soumis). Certains pesticides, comme le DDT (Bishop et al., 2000 ; Nocera et al., 2012) ou le BTi utilisé dans la lutte biologique des insectes piqueurs (Poulin et al., 2010), favorisent la mortalité des insectes, ce qui affecte indirectement les insectivores aériens en diminuant les ressources alimentaires D’autres granivores subissent directement l’effet létal à forte dose des néonicotinoïdes (Goulson, 2013). Chez la Perdrix rouge, Alectoris rufa, les capacités reproductrices des parents sont diminuées à la fois par la

réduction de la taille de couvée, le retard de la date de ponte, et la survie des oisillons dont la réponse immunitaire est diminuée en présence de néonicotinoïdes (Lopez-Antia et al., 2015). Indirectement, les soins parentaux sont également diminués en paysage intensif où le temps de quête alimentaire est augmenté pour faire face à une ressource en diptères moins abondante (Lamoureux, 2010). L’ensemble de ces résultats montre donc une grande diversité d’effets directs et indirects diminuant le succès reproducteur et la survie des oiseaux champêtres en milieu intensif.

1.2.2. Effets indirects par la présence du Moineau domestique

L’augmentation des surfaces agricoles et la construction de bâtiments de stockage de grains ont également favorisé l’installation d’espèces généralistes étroitement liées et adaptées au milieu agricole urbanisé tel le paysage intensif. Parmi celle-ci, le Moineau domestique est un des compétiteurs de l’Hirondelle bicolore pour l’appropriation des cavités de nidification (Robillard et al., 2013). Nos résultats ont montré que la présence du Moineau domestique sur un site augmentait les abandons précoces de reproduction des femelles hirondelles lorsque la ferme était peu abondante en hirondelles. Néanmoins, suivant le statut reproducteur des femelles, la présence de moineaux n’avait pas le même effet sur les abandons plus tardifs. En échec de reproduction, la survie des femelles augmentait de 40 % en présence de moineaux par rapport aux femelles sur des sites sans moineau. En supposant que le succès reproducteur soit un proxy de la condition de la femelle (Reznick et al., 2000 ; Pellerin, 2012) on peut alors mettre en relation le succès reproducteur, la survie, la condition de la femelle et l’influence du moineau. L’effet positif d’un compétiteur sur la survie des femelles en échec pourrait être dû à un abandon précoce bénéfique pour ces femelles en moins bonne condition, pour lesquelles le coût de la reproduction aurait pu diminuer leur chance de survivre. En revanche, pour les femelles ayant pu mener à terme leur reproduction, considérées comme des femelles en bonne condition, la mortalité est de 24 % plus élevée en présence de moineaux qu’en absence. Ce même effet du compétiteur a aussi été montré chez les hirondelles mâles avec une mortalité de 7 à 19 %. Cette influence négative des moineaux serait directement liée au coût de la défense

du territoire par les hirondelles, où les moineaux s’imposent fortement dans les zones les plus proches des bâtiments de ferme et globalement en milieu intensif (Robillard et al., 2013).

Les paysages cultivés intensivement étant défavorables au maintien de la fitness, il est peu surprenant que la densité en hirondelles y soit moins élevée. Cependant, l’évitement de ce milieu n’est pas total et le taux d’occupation des nichoirs est de 5,4 ± 2,3 sur les fermes de milieu intensif contre 6,8 ± 1,9 dans les fermes de milieu extensif (catégories définies sur le seuil de la médiane annuelle de la proportion de cultures intensives sur chaque ferme). Il a également été montré que l’installation de nichoirs dans des zones précédemment désertées favorisait la recolonisation, ce qui pourrait expliquer la faible différence d’occupation des nichoirs entre agroécosystèmes intensifs et extensifs (Holt et Martin, 1997). De plus, en début de saison de reproduction et suivant les années, le milieu intensif peut s’avérer aussi abondant en ressources alimentaires que le milieu extensif (Rioux-Paquette et al., 2012). Ce n’est que pendant la période d’élevage des jeunes que les diptères se retrouvent moins abondants en milieu intensif, piégeant ainsi les hirondelles qui s’établissent dans des zones de moins bonne qualité.

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