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107 Qu’en est-il du second groupe relatif au Sahara Occidental ? La situation est différente et plus

complexe. Avec un caractère urbain moins accusé et plus diffus, dans cet ensemble, on rencontre des villages de petite taille, toujours, enceints; parmi eux, on distingue deux types de constructions. Le premier est représenté par des villages comme Taghit, le ksar de Beni Abbés dans la Saoura, ceux de Tindjillet, d'Ighzer ou de certains ksour des Ouled Saïd dans le Gourara, appelés Aghem en berbère. Ce type se retrouve, aussi, dans le Touat. Le village a tenté de s’adapter au terrain: piton ou escarpement rocheux pour gagner de l’espace au profit de la palmeraie comme à Béni Abbés. L'enceinte épouse les contours du terrain; la voirie est, aussi, tributaire du relief; même sur le plat, on ne trouve pas de direction de référence ni une réelle organisation. Quand il est possible les rues se coupent à angle droit pour faciliter les constructions. Le second type est représenté par des ksour comme Bechar, Tsabit, Ajdir Gharbi ou certains ksour de l'oasis d'Adrar (J.-C. Echallier, 1968) (Fig. n°14). A l’inverse de celles du Sahara du Nord, qui sont renfermées sur elles-mêmes, au Sahara

Source : J-C. Echallier. 1968

Fig. n°14 : Les ksour du Sahara occidental : caractère urbain diffus

occidental, on est face à des cités ouvertes où l’agglomération est en bourgeonnement croissant. Chaque fraction conserve son caractère, son autonomie et ne se fondant dans le corps social que lentement. Le caractère urbain, comme défini plus haut, est plus diffus que dans les cités du Sahara septentrional, ce qui entraînera, une agglomération moins cohérente (E. Elm, 1966).

III-2-3-6- L'évolution spontanée de l'habitat traditionnel

La colonisation n'a pas brusqué le mode de vie et l'habitat traditionnel. Les sahariens bâtirent, encore, selon leurs règles. Les européens, surtout des militaires, construisirent pour eux-mêmes sur les mêmes modèles. Les changements apparurent, progressivement, avec le tourisme et l'installation

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de civils européens au Sahara. C’est après l’indépendance que l’industrie amorça les premières transformations de l'habitat au Sahara. Les marques de cette évolution se notèrent dans la décoration. Nous savons qu’au Touat-Gourara les enduits en boulettes avaient été introduits par les européens, ce décor se généralisa, spontanément, mais la décoration des façades, de style pseudo-Soudanais, resta la caractéristique des constructions européennes (Photo n°10). Dans le décor intérieur on assista, aussi, à quelques transformations, tels les badigeons intérieurs plus fréquents avec, parfois, une violente polychromie. Comme au Touat, cette évolution devint plus sérieuse

Source : Auteur, 2004

Photo n°10 : Style Soudanais à Adrar en référence à l'architecture locale

avec un début de spécialisation des pièces d'habitation et l'apparition d'un local réservé à la cuisine. Après guerre, un nouveau pas fût franchi avec l'apparition des fenêtres, d'abord sur cour, puis ouvertes sur la rue pour éclairer, les chambres, bien qu’elles soient haut placées et de petites dimensions. Des essais de constructions destinées à la population locale avaient été tentés par l'O.C.R.S13, toutefois, l'ouverture brusque des fenêtres sur la rue a été refusée par les habitants qui les avaient bouchés, avec soins, où seule une évolution spontanée pouvait les faire accepter. D'ailleurs le principe de la fenêtre sur rue est plus que discutable parce qu’inadapté dans des régions à fortes chaleurs et à vent de sables. L'habitat traditionnelle avait opté, de jour, pour l'ouverture protégée sur cour pour faire écran à l’ardeur du soleil; là, les ouvertures peuvent se multiplier sans perte de confort. Les accès à l'habitation ainsi que l'ouverture de boutiques dans celle-ci sont un point important de cette évolution. Il faut reconnaître que les traces rares de cette transformation n’apparaissent pas, car la majorité des sédentaires vivent dans d’anciennes demeures plus adaptées à leur genre de vie (J.-C. Echallier, 1968).

De nouveaux matériaux importés d'Europe, tels que ciment ou poutrelles métalliques, sont adoptés au Sahara du nord, mais peu au Sahara occidental. Leur coût élevé alourdit le budget des constructeurs pour un bénéfice réduit par rapport aux techniques traditionnelles. Ainsi les habitations ressemblent à des bidonvilles, du fait des matériaux hétéroclites qui les composent. C’est la problématique de l'adaptation aux ressources des habitants. Toute évolution de l'habitat ancien qui n’intégrerait pas cette donnée restera superficielle et ne constituera pas une amélioration.

Le principe de construction défensive étant obsolète avec la pacification, l'on pensait que les ksour muteraient en perdant leur cohésion formelle et deviendraient des espaces ouverts qui, tout en

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gardant leur structure traditionnelle, s’adapteraient aux impératifs de la vie moderne. Eh bien non, ce qui y a été réalisé depuis ne répond pas à cette vision. La spécificité saharienne est négligée par absence de politique de construction spécifique au milieu. En effet, Godard affirme que les réalisations sahariennes entreprises, en son temps, sont loin d'être réussies.

III-3- KSOUR ET KSOURIENS SOUS LES REGARDS

Le ksar, témoin de l'urbanisation précoloniale, exprime un savoir-faire ancestral en termes d’adaptations aux rigueurs climatiques des sociétés sahariennes. Cet art se manifeste autant dans l'habitat et les édifices publics, que dans les aménagements d’oasis et systèmes d'irrigation. On se propose, donc, d’analyser les regards portés sur les ksour et leurs habitants.

III-3-1- Voyageurs, militaires et scientifiques, décrivent l’oasis

D’abord, on s’intéressera aux impressions des voyageurs et des militaires après la parution du livre du Commandant Godard, seule référence qui traite de l'urbanisme saharien. La vision peut varier, donc, selon que l'on se réfère à l'officier, au voyageur ou au chercheur. Tout regard est lié à l’objet d’une recherche et dépend de la qualité de celui qui le porte. Le militaire juge l'espace, sévèrement, alors que le voyageur y voit une magnificence, telle Isabelle Eberhardt "...Quand je monte sur une petite montagne de lumière…le ksar me semble bâti pour mes yeux; j'en aime la teinte d'ensemble chaude et foncée,..." (Citation d'Isabelle Eberhardt reprise par Léon Lehuraux, 1934).

Gautier décrit les oasis qu’il a traversées. Pour lui, ce sont "des forteresses inexpugnables, juchées au sommet de falaises abruptes, qui dominent l'horizon, des nids d'aigle...Ces vieilles forteresses des oasis sont bâties en pierres, avec des éléments empruntés à la roche qui les supporte...ils sont groupés en bas de la vallée, au milieu des palmiers et sont construits en pisé… naturellement, ils sont fortifiés, mais ce sont des fortifications régulières, carrées et flanquées aux angles de tours quadrangulaires. Les murs en pisé lisses et presque vernis, portent sur leur crête une dentelure de petits créneaux ornementaux menus aux arêtes vives. Les nouveaux villages enfouis au creux de l'oasis au milieu d'une mer de palmiers, ils ont une large ceinture de jardins clos et individualisés par un dédale de murettes en pisé" (E.-F. Gautier, 1922).

Selon L. Lehuraux, c'est au Sahara du Nord que l'on trouve le plus d'oasis. Au Gourara, Touat, Tidikelt, de Béni Abbés s'étend un chapelet continu d'oasis, long de centaines de kilomètres et large de cent mètres. Le Touat est une vaste suite d’oasis entrecoupées de plaines de sables. Il décrit la population de cette région:"Cet immense territoire nourrit des populations de race et de mœurs distinctes: les gens du Touat habitent les villes et les ksour et les Arabes campent en tribus dans des tentes. Les maisons groupées en bourgades sont de misérables bâtisses en terre cuite au soleil

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recouvertes de terrasses soutenues par des traverses de bois de palmier". Dans le Gourara voisin, Timimoun était une ville de 5 à 600 maisons alternées de jardins sur une vaste étendue.

Les villes mozabites donnent une silhouette contrastant avec les constructions de masse ksourienne. Godard en les étudiant, il dit de Ghardaïa: "... maisons plates, sans fenêtres, aux murs de chaux mal alignés et des rues ensablées. Le ksar est une énorme masse conique et grise striée de rangées irrégulières de murs de terre qui s'étagent en lignes cassées, se rétrécissant de bas en haut". Il ajouta sur les villes sahariennes et telliennes: "l'ensemble des ruelles et rues est irrégulier et tortueux et étroites, elles permettent à peine à deux personnes de se croiser. Les ruelles sont dallées en pierres plates, d’autres sont couvertes, le clair-obscur y a triomphé et les conditions climatiques l’y ont généré. Les raisons défensives ont imposé une autre constante : l'enchevêtrement des rues dans la haute ville qui aboutit à un réel labyrinthe. Le touriste, sans guide, éprouverait une impression de coupe-gorge"puis il enchaîne :" Laghouat était une ville dont la reconstruction sur le modèle européen a été très tôt entreprise. Le quartier indigène était constitué de maisons blanches mal équarries, comme taillées dans des blocs de chaux et percées d’une porte... Quant à la mosquée EI-Attick, construite en 1480, elle présente des arcs en plein cintre et en ogive".

Décrivant la ville saharienne, il dit "Touggourt présente des rues à demi voûtées, trouée de jets de soleil. C'est une ville de 4500 habitants avec une mosquée, une casbah, une école franco-arabe et un marché hebdomadaire dont l'activité tend à se développer. De par sa position, cette ville a joué un rôle remarquable dans le mouvement des échanges du Sud" (Cdt Godard, 1954).

Le Cdt Godarddétaillant son analyse sur les villes sahariennes : "Le ksar, implanté sur une gara (colline à sommet), comporte trois murs d'enceinte continus avec chemins de ronde. Si l'espace compris entre le premier et le second mur était peu habité, trop exposé aux traits de l'ennemi, la seconde enceinte comporte une rue principale où débouche tout un réseau de ruelles sans issues, bordées de maisons accolées au piton auxquelles on accédait par simples trous, réalisant ainsi un habitat troglodyte. Les puissantes architectures incendiées au soleil, leurs arcades trapues et rugueuses aux chapiteaux grossis et aux balustrades barbues…" Alors que P. Marçais (1955) dit, du ksar de Beni Abbés : "un îlot dans la mer de palmiers. Les terrasses offraient la vision d'un damier d'ombre et de lumière relatif aux passages couverts. Dans cette région, les conditions climatologiques ne favorisaient pas les rues découvertes, lesquelles ont cédé la place à des ruelles couvertes supportant des maisons à l'étage". Tandis que Capot-Rey (1953) témoigne:"de dimensions peu importantes(140x70mètres), le ksar rectangulaire est construit en pisé, ceint de remparts et flanqué de tours d'angle qui attestaient des luttes qui secouaient le Sahara". Pourtant, à la faveur d’un Sahara pacifié et sécurisé, le développement des villes coloniales ignora les principes

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