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PARTIE 1 B ASES THEORIQUES

1.1. Q U ’ EST - CE QUE L ’ EVIDENTIALITE ?

1.1.1. DEFINITION DE LEVI DENTI ALITE

Lorsqu’on s’intéresse au traitement de l’évidentialité en linguistique, il est nécessaire de faire attention à la définition adoptée par le chercheur, car il existe peu de consensus sur l’étendue et le domaine d’application de cette notion, même parmi les auteurs de référence. Les mêmes termes associés à l’évidentialité sont utilisés avec des acceptions différentes d’une étude à l’autre selon les partis pris théoriques et terminologiques du chercheur.

La définition que j’adopte dans cette étude et qui va déterminer mon approche est la suivante :

L’évidentialité est l’expression du mode d’accès à l’information énoncée.

Observons les implications théoriques de cette définition en l’analysant point par point.

Tout d’abord, la définition adoptée précise que l’étude de l’évidentialité concerne l’expression du mode d’accès à l’information, et pas simplement le mode d’accès à l’information en soi. En effet, l’étude des différents modes d’accès à l’information dépasse le cadre de la linguistique et relève des sciences cognitives et de l’épistémologie. Ce qui nous intéresse en linguistique est l’encodage de ces modes d’accès à l’information grâce à des formes grammaticales, lexicales et multimodales.

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Deuxièmement, contrairement aux définitions dominantes de l’évidentialité qui parlent de

« source d’information », j’utilise le terme « mode d’accès à l’information » pour plusieurs raisons.

Tournadre (2008) propose de séparer ces deux notions et je reprends cette distinction, mais pour mettre en évidence des points différents. Cette distinction me semble en effet nécessaire, car les copules et suffixes évidentiels du tibétain, et typiquement d'autres langues dites « évidentielles », encodent plus le mode d’accès à l’information que sa source. De manière générale, l’information présentée dans une phrase qui contient un marqueur évidentiel6 est déjà intégrée dans les connaissances du locuteur et ce dernier nous précise par quel « canal » il a eu accès à cette information : l’a-t-il observée directement, l’a-t-il inférée ou en a-t-il entendu parler ? Le concept de source d’information n’est pas orienté vers le locuteur, mais vers l’émetteur de l’information. Ainsi, préciser la source de l’information consiste plutôt à dire à partir de quelle personne, de quel document ou de quelle situation précisément le locuteur tient ce qu’il souhaite partager.

Enfin, il me paraît nécessaire de préciser que pour parler de marqueur évidentiel, ce dernier doit porter sur de l’information énoncée. Un marqueur évidentiel ne se contente pas d’exprimer un mode d’accès à une information, mais qualifie un contenu phrastique asserté et sous focus. En termes de structure de l’information, l’encodage évidentiel se situe donc en arrière-plan et a typiquement une portée sur l’ensemble de la prédication. Par ailleurs, l’évidentialité est déictique : il s’agit du mode d’accès à l’information énoncée et obtenue par le locuteur. L’expression du mode d’accès à l’information de quelqu’un d’autre avec des formes comme ‘John saw…’ ne relève pas de l’évidentialité à proprement parler.

La définition que j’ai choisie pour mon étude est sémantiquement restreinte, car je n’inclus pas dans l’évidentialité l’expression de tout type de source d’information, la modalité épistémique ou le positionnement énonciatif, bien que je ne nie pas les importantes interactions qu’entretient l’évidentialité avec ces notions. Par ailleurs, ma définition est morphologiquement large (voir notamment Schenner 2010a) et se distingue en particulier de celle d’Aikhenvald (2004, 2007), pour qui les marqueurs évidentiels ne peuvent être que grammaticaux. Selon cet auteur, on ne peut parler d’évidentialité seulement pour les langues dites « évidentielles », c’est-à-dire, qui ont des outils grammaticaux spécialisés dans le marquage de la « source d’information ». Cette définition restreinte de l’évidentialité permet en effet une certaine « clarté terminologique » (Aikhenvald 2007), et

6 J’utilise le terme « un marqueur évidentiel » dans un sens large comme traduction de l’anglais ‘an evidential’. Il ne faut pas comprendre ici qu’un marqueur peut simplement être grammatical, puisqu’il peut s’agir de n’importe quelle forme grammaticale, lexicale ou multimodale qui permet d’encoder le mode d’accès à l’information énoncée.

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souligne avec pertinence que les langues comme le tibétain présentent une particularité grammaticale que l’on ne retrouve pas dans des langues comme l’anglais. J’ai toutefois choisi d’adopter une définition différente qui ne restreint pas l’évidentialité au domaine grammatical et qui considère cette notion comme un domaine sémantique, conceptuel et fonctionnel universel.

Ce parti pris terminologique et théorique se justifie par des raisons principalement heuristiques : j’entreprends une étude fonctionnaliste et sémantique qui part du sens pour en analyser son expression dans deux langues typologiquement bien distinctes. Concevoir l’évidentialité comme un domaine sémantique universel qui se manifeste différemment selon les langues va me permettre de contraster l’anglais et le tibétain et ainsi de tester la pertinence de la dichotomie souvent considérée comme acquise entre les langues « évidentielles » et les autres.

D’un point de vue conceptuel, il est exact que les langues comme le tibétain possèdent un système grammatical qui encode le mode d’accès à l’information7, de la même manière que certaines langues ont un système de temps grammatical. L’étude de l’expression de la temporalité n’en demeure pas moins pertinente y compris pour les langues qui n’ont pas a priori de morphèmes grammaticaux qui lui sont consacrés.

Aikhenvald (2004, 2007) propose de réserver le terme « évidentialité » pour les formes grammaticales et de parler de « stratégies d’évidentialité » pour les différents outils lexicaux que les langues « non évidentielles » déploient pour combler ce manque dans leur système grammatical. Je n’utiliserai pas cette terminologie, car le terme « stratégie » relève plus du plan de la pragmatique et implique un point de vue biaisé en faveur des langues dites « évidentielles », comme si les locuteurs de langues « non évidentielles » devaient avoir recours consciemment à différentes astuces qui leur permettent de compenser une insuffisance dans leur système linguistique. Par ailleurs, la recherche a montré que la distinction entre grammaire et lexique, bien que pertinente d’un certain point de vue, est subtile et nuancée : les langues disposent de nombreuses formes linguistiques en constante évolution que l’on peut placer à différents endroits sur un continuum lexique-grammaire en fonction de critères variés. Ainsi, par souci de cohérence avec mon approche fonctionnaliste, j’ai choisi de définir l’évidentialité comme un domaine sémantique universel qui se manifeste en langues selon différentes formes grammaticales, lexicales et multimodales.

De nombreux linguistes francophones refusent le terme « évidentialité », et préfèrent se référer à la notion de « médiativité8 ». Guentchéva (1995) souligne en particulier que le terme « évidentialité »

7 Comme je l’ai précisé précédemment, il est plus exact de parler de « mode d’accès à l’information énoncée », mais pour des raisons pratiques et stylistiques, je me contenterai souvent de parler de « mode d’accès à l’information ».

8 Terme introduit par Lazard (1956) et repris par Guentchéva (1994).

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est un emprunt à l’anglais dont la racine française d’évidence induit en erreur. J’ai néanmoins choisi de ne pas utiliser le terme de médiativité dans cette étude pour plusieurs raisons.

Il est vrai que le nom « évidentialité » est un anglicisme, mais il est tout à fait courant en sciences d’emprunter à d’autres langues (anglais, allemand, latin, grec…) des termes techniques, ce qui facilite la compréhension du discours spécialisé, dont la terminologie est plus précise que le discours vulgaire. En psychologie, il est par exemple courant d’utiliser l’anglicisme « addiction » qui est plus spécialisé et donc plus précis que le terme de discours courant « dépendance ».

Deuxièmement, la problématique de ma thèse s’inscrit plus dans la littérature anglophone sur evidentiality que dans la littérature francophone sur la médiativité, et le terme d’évidentialité est le lexème dominant pour les études comme les miennes rédigées en français également.

Troisièmement, la définition de la « médiativité » s’éloigne sur des points cruciaux de la définition que j’adopte pour l’évidentialité. Guentchéva (1994) définit la médiativité comme le marquage des « différents degrés de distance que [le locuteur] prend à l’égard des situations décrites puisqu’il les a perçues de façon médiate ». Cette définition implique ainsi qu’un marqueur médiatif exprime une prise de distance, ce qui relève plus de la posture énonciative que du simple encodage du mode d’accès à l’information. De plus, adopter cette définition exclurait les marqueurs perceptifs directs, alors qu’il s’agit des marqueurs évidentiels les plus courants en tibétain.

J’utiliserai ainsi dans cette étude le terme « évidentialité », perçu en tant que domaine sémantique universel. L’évidentialité se manifeste par tout type de forme linguistique et recouvre un domaine qui se limite à l’expression du mode d’accès à l’information énoncée.

1.1.2. LES MARQUEURS EVIDENTI ELS

Comment définir ce qui constitue un marqueur évidentiel en tibétain ou en anglais ? Les études typologiques ont classé comme marqueurs évidentiels différentes formes auxquelles les traditions grammaticales des langues « évidentielles » ont donné des noms variés. Tournadre &

Sangda Dorje (1998) classent parmi les marqueurs « médiatifs » du tibétain standard l’ensemble des copules et suffixes verbaux non épistémiques et les répartissent en quatre modes : les égophoriques (en yin et yod), les constatifs (en dug et en song), les assertifs (en red) et les inférentiels (en bzhag, et

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parfois en ’dug)9. Nous verrons cependant que selon notre définition, seuls certains de ces copules et suffixes sont réellement évidentiels, et que d’autres marqueurs évidentiels du tibétain, en particulier les suffixes épistémiques et les enclitiques de ouï-dire, ont été omis dans cette classification (cf. 3.3).

Observons rapidement le fonctionnement des suffixes verbaux du tibétain, dits « suffixes évidentiels »10, avec un extrait de Tintin au Tibet en tibétain (par Hergé 1960 : 44) :

FIGURE 1 :TINTIN AU TIBET EN TIBETAIN (HERGE 1960)

Dans cet extrait, le lama en lévitation a une vision et aperçoit Tintin, qu’il nomme « Cœur pur ».

Voici sa première phrase transcrite en Wylie (transcription latine de l’alphabet tibétain, Wylie 1959) :

(1)

sems bzang-po de gro-gis

esprit pur DEM aller-ICP DIR

« Ce cœur pur avance. » (Tintin au Tibet en tibétain ; Hergé 1960)

(= Je vois que ce cœur pur avance.)

En utilisant le suffixe perceptif direct présent -gis (réduction de -gi.’dug), le locuteur précise qu’il observe directement l’état des choses qu’il décrit : « Ce cœur pur marche. »

La dernière phrase qu’il emploie est la suivante :

(2)

9 Je conserve dans cette étude les appellations « égophorique » et « inférentiel », mais j’utilise le terme « perceptif direct » à la place de « constatif » et « factuel » à la place « d’assertif ». Le terme « constatif » me semble poser problème, puisque l’on peut tout aussi bien constater un état des choses en l’observant directement ou par inférence, et comme les marqueurs appelés « constatifs » par Tournadre & Sangda Dorje (1998) indiquent que le locuteur est ou a été un témoin direct de ce qu’il décrit, le terme de « perceptif direct » est préférable. Le terme « assertif » porte également à confusion, puisque le locuteur est tout aussi assertif lorsqu’il utilise n’importe quel suffixe ou copule non épistémique (égophorique, perceptif direct, inférentiel ou factuel). Tournadre (2008) utilise le terme de « factuel » (sous la proposition de Guillaume Oisel), car l’utilisation de ces marqueurs semble simplement présenter l’état des choses comme un fait sans préciser un quelconque mode d’accès à l’information.

10 La première description relativement exhaustive du système a été fournie par Tournadre (1996b).

36 sems.bzang khong ril-song

Cœur.pur il (H) tomber-AOR DIR

« Cœur pur est tombé » (Tintin au Tibet en tibétain ; Hergé 1960)

(= Je vois que Cœur pur est tombé)

Il s’agit maintenant du suffixe aoriste perceptif direct -song, qui précise que le locuteur a également observé l’état des choses asserté : « Cœur pur est tombé. »

L’énoncé (2) est à distinguer de :

(3)

sems.bzang khong ril-bzhag

cœur pur il (H) tomber-PARF INF

« Cœur pur est tombé »

(= J’infère que Cœur pur est tombé)

En utilisant le suffixe parfait inférentiel -bzhag, le locuteur préciserait qu’il n’a pas été témoin de l’état des choses asserté, mais qu’il en affirme l’existence par inférence, car il observe les résultats de cet état des choses passé, par exemple le corps de Tintin dans la neige.

Les énoncés (2) et (3) sont également à distinguer de (4) :

(4)

sems.bzang khong ril-pa.red -ze

Cœur pur il tomber-AOR FACT -OUÏD

« Cœur pur est tombé »

En utilisant le suffixe aoriste factuel -pa.red, le locuteur présenterait l’état des choses asserté comme un fait. Le factuel n’est pas à proprement parler une branche évidentielle, mais est souvent associé aux connaissances générales. En ajoutant l’enclitique de ouï-dire -ze après le premier suffixe -pa.red, le locuteur précise qu’il a obtenu l’information qu’il partage de source orale ou écrite.

Ce qu’il est important de noter est que les énoncés (2), (3) et (4) se traduisent généralement tous de la même manière en français : « Cœur pur est tombé. », ou en anglais ‘Pure heart fell’.

L’évidentialité est ainsi une spécificité que l’on trouve dans certaines langues et dont le sens est généralement perdu lorsque l’on traduit ces énoncés dans des langues comme l’anglais et le français.

Si pour qu’un marqueur soit qualifié d’évidentiel, il est nécessaire que son contenu sémantique consiste purement à désigner le mode d’accès à l’information énoncée, ceci est

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impossible ou quasi impossible en anglais. Ceci est par ailleurs impossible en tibétain également, qui est pourtant une langue qui possède un système évidentiel grammaticalisé, puisque la plupart des marqueurs évidentiels portent également entre autres des sèmes de temps ou d’aspect. Quant aux deux enclitiques de ouï-dire du tibétain (-za et -ze), ils encodent certes le ouï-dire sans préciser le temps et l’aspect, mais ils changent également le statut assertif de la proposition en transférant la prise en charge énonciative vers une autre personne. Sera ainsi considéré comme marqueur évidentiel en tibétain et en anglais, tout terme, formule ou construction qui dénote le mode d’accès à l’information du locuteur comme sens principal ou comme sens secondaire. Seront dans un premier temps exclus les marqueurs qui ont le potentiel de suggérer le mode d’accès à l’information comme simple implicature. Les effets de sens par implicature naissent simplement de l’interaction entre une forme linguistique et le contexte, et sont ainsi annulables si le locuteur décide d’expliciter ce qu’il désire communiquer.

Ce premier point permet de dégager un certain nombre de paramètres qui nous aident à cerner les formes linguistiques qui sont des candidats privilégiés pour l’expression de l’évidentialité en tibétain et en anglais. Cependant, certaines formes parmi celles qui sont retenues peuvent être considérées comme plus centrales que d’autres. La perspective que nous adopterons est la suivante : plus une forme linguistique de l’anglais s’approche du contenu sémantique exprimé par les marqueurs des langues qui possèdent un système évidentiel grammaticalisé comme le tibétain, plus cette forme peut être considérée comme un marqueur évidentiel. La question des critères qui permettent de définir les marqueurs évidentiels des langues comme le tibétain se pose maintenant.

Anderson (1986 : 274) nous propose une définition en quatre points du marqueur évidentiel typique :

a) Les marqueurs évidentiels dénotent ce qui justifie la déclaration du locuteur, s’il a été témoin direct, ou si cette affirmation repose sur une observation suivie d’une inférence, une inférence sans éléments de preuve spécifiques, un raisonnement logique, ou si les éléments de preuve sont visuels, auditifs, etc.

b) Les marqueurs évidentiels ne constituent pas la prédication principale d’une proposition, mais s’ajoutent plutôt à une déclaration factuelle qui porte sur un autre élément d’information.

c) Le fait d’indiquer la nature des preuves sur lesquelles repose la déclaration du locuteur est le sens fondamental d’un marqueur évidentiel et pas simplement une supposition pragmatique.

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d) Les marqueurs évidentiels sont morphologiquement des flexions, des clitiques, ou d’autres éléments syntaxiques « libres » (par opposition aux formes compositionnelles et dérivationnelles).

Ainsi, ce dernier point ne s’applique pas aux marqueurs évidentiels de l’anglais et caractérise ceux des langues où l’évidentialité a un statut grammaticalisé. Nous retenons de la définition proposée par Anderson (1986 : 274) que pour qu’un terme, une formule ou une construction soit considéré comme un marqueur évidentiel, il faut que son sens primordial indique des éléments de preuve qui justifient la déclaration du locuteur, ou plutôt, selon notre propre définition, indique le mode d’accès à l’information énoncée. Un deuxième élément important dans la définition d’Anderson (1986 : 274) est le fait qu’un marqueur évidentiel porte sur une proposition, mais n’est pas l’élément d’information le plus important de l’énoncé. Deux points sont à retenir ici : les marqueurs évidentiels ont typiquement pour portée l’ensemble de la prédication et ils sont de plus situés en arrière-plan d’un point de vue informatif, comme nous l’avons évoqué dans notre définition de l’évidentialité (1.1.1). Ainsi, ce principe écarte les adjectifs, et dans une certaine mesure les noms, des formes centrales qui permettent l’expression de l’évidentialité. En effet, les noms et les adjectifs apparaissent principalement soit dans une configuration à portée réduite dans la phrase, soit en tant qu’attribut d’une copule ou en extraposition, ce qui fait porter l’emphase sur eux. Si on prend l’adjectif apparent et le nom rumour par exemple, on peut les trouver dans les constructions à portée réduite suivantes :

(5) Underneath all the apparent complexity, however, the game is really amazingly simple. (BNC) (6) …so perhaps the rumour that [his biological father was a French sailor] was indeed true. (COCA)

Dans ces deux exemples, les termes apparent et rumour encodent bien le mode d’accès à l’information, mais ils s’éloignent de la fonction des marqueurs évidentiels des langues comme le tibétain dans la mesure où ils portent simplement sur un élément d’information non saillant à la phrase et pas sur l’ensemble de la prédication. Dans un autre type de configuration, on peut trouver les noms et les adjectifs dans des structures qui les placent au premier plan :

(7) It is apparent that a step has been made in the right direction… (BNC) (8) Remote offices are worried, but I have a feeling it’s only a rumor. (COCA)

On s’éloigne ainsi du statut informatif d’arrière-plan des marqueurs évidentiels des langues comme le tibétain, car ces derniers ont pour fonction d’indiquer le mode d’accès à une information

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qui est elle-même le focus de l’énoncé, alors que les marqueurs évidentiels ne sont pas censés occuper eux-mêmes cette place de focus.

Par ailleurs, les adjectifs et les noms n’ont pas nécessairement pour centre déictique le locuteur :

(9) Is that why you were so disapproving of my apparent readiness to exploit your father's generosity towards me? (BNC)

(10) I hope I've paid him due credit, though he did start that nasty rumour that he was me or I was him. (BNC)

Dans l’exemple (9), l’adjectif apparent n’exprime pas la perception du locuteur, mais a priori celle de l’interlocuteur. Dans l’exemple (10), le terme rumour n’introduit pas une information à laquelle le locuteur souscrit tout en précisant qu’il y a eu accès par ouï-dire, mais dit qu’une rumeur injuste a circulé et que son contenu ne correspond pas à la réalité. Ainsi, le contenu sémantique inhérent des noms et des adjectifs ne précisent pas leur centre déictique.

Dans certaines constructions toutefois, les adjectifs et les noms peuvent se placer en arrière-plan et jouer un rôle évidentiel typique :

(11) Rumour has it that Bonaparte has panicked and ordered the retreat. (BNC)

Dans cet exemple, le terme rumour se trouve dans la proposition principale, mais l’information la plus saillante est a priori celle contenue dans la subordonnée. Si l’interlocuteur pose la question

‘Is that true?’, on comprendra plus probablement que cette question porte sur la prédication p (Bonaparte/panick and order retreat) que sur le contenu de la proposition principale. La formule

‘Rumour has it that...’ a simplement pour fonction de préciser le mode d’accès à l’information contenue dans la proposition subordonnée.

Afin d’être en accord avec notre définition de l’évidentialité et traiter d’un nombre gérable de formes linguistiques, nous considérons comme marqueurs évidentiels en anglais seulement les formes qui se rapprochent sémantiquement des marqueurs évidentiels grammaticaux des langues comme le tibétain. Sera donc considérée comme marqueurs évidentiels en anglais toute forme linguistique qui encode explicitement le mode d’accès à l’information énoncée, en ayant donc pour centre déictique le locuteur et se situant en arrière-plan par rapport à l’information assertée11.

11 J’utilise le terme « assertion » dans un sens large puisqu’une information assertée peut ne pas être, selon mon emploi du terme, totalement prise en charge par le locuteur. L’assertion correspond ici à la validation d’une relation prédicative

11 J’utilise le terme « assertion » dans un sens large puisqu’une information assertée peut ne pas être, selon mon emploi du terme, totalement prise en charge par le locuteur. L’assertion correspond ici à la validation d’une relation prédicative

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