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Le mal-être psychologique des pères à la suite du dévoilement de l’agression sexuelle : les multiples visages de la détresse (n=14)

Impact psychologique sur des pères non-agresseurs du dévoilement d’une agression sexuelle par un

1. Vivre le dévoilement de l’agression sexuelle de son enfant : une épreuve douloureuse et souffrante

1.3. Le mal-être psychologique des pères à la suite du dévoilement de l’agression sexuelle : les multiples visages de la détresse (n=14)

1.3.1. Les pensées intrusives, l’évitement et l’hyperactivité neurovégétative : les signes d’un stress post-traumatique (n=9). Après l’état de

sidération consécutif au dévoilement, plus de la moitié des pères racontent avoir ressenti divers symptômes qui s’apparentent aux symptômes d’état de stress post- traumatique tel que décrit dans le DSM-IV-TR. Trois types de réactions sont mis en évidence dans le discours des pères.

Tout d’abord, plusieurs pères (n=6) décrivent avoir eu beaucoup de pensées et d’images intrusives au sujet de l’agression vécue par leur enfant. En effet, ils s’imaginent malgré eux, les actes sexuels vécus par leur enfant. Ces pensées intrusives sont sources d’inconfort et contribuent à accentuer leur détresse : « J’essayais toujours d’imaginer l’agression qui s’était passée. J’avais des images qui défilaient, j’avais des pensées négatives tout le temps » (Xavier).

De plus, des comportements pour éviter les stimuli qui éveillent ou qui sont associés au traumatisme vécu par leur enfant sont constatés dans le témoignage de deux participants.

Durant les six premiers mois, je n’étais pas capable d’écouter cette chanson qui raconte l’histoire d’une petite fille qui se fait agresser par son père. On aurait dit qu’il me rentrait le couteau dans la plaie. À chaque fois que je l’entendais, je la changeais. C’est très difficile à expliquer comment tu te sens face à chaque petit détail qui te fait penser à ça (Octavio).

Aussi, deux pères éprouvent un stress important face à la possibilité d’être confronté à la situation d’AS, ressentant ainsi un isolement social : « Ça m’a vraiment isolé. Je me suis senti seul. À un moment donné, tu es avec des amis puis ils parlent de leur belle-famille. Là, tu espères qu’ils ne te parleront pas de la tienne » (Gilles).

Enfin, certains pères (n=3) présentent des symptômes traduisant une hyperactivité neurovégétative comme des difficultés à s’endormir : «J’ai finalement passé six mois à ne pas dormir » (Luke). Des manifestations d’hypervigilance sont également rapportées (n=2) : « Face à la situation, je demeure quand même très vigilant. Je vais dans un centre commercial, je vérifie parce que je vais peut-être les croiser » (Jacques).

1.3.2. Tristesse, humeur dépressive et pensées suicidaires : les témoins d’une souffrance profonde (n=12). À la suite du dévoilement, les pères peuvent

également ressentir diverses émotions qui s’apparentent à une symptomatologie dépressive. En effet, la majorité des participants racontent avoir ressenti diverses émotions allant de la tristesse : « J’avais beaucoup de peine et de tristesse pour Léa » (Xavier) à l’humeur dépressive : «Ça m’a vraiment mis à terre, j’ai eu beaucoup de culpabilité, énormément de colère, de tristesse, pas d’énergie, aucun plaisir à la vie » (Christian); « L’entrée dans la dépression a eu un gros impact sur toute ma vie. C’est comme tomber au fond du baril. J’essayais de ressortir, de prendre un petit peu d’air, mais ça s’ennuageait vite quand je ressortais » (Octavio). Ajoutons que deux pères évoquent avoir eu des pensées suicidaires durant la période entourant le dévoilement de l’AS vécue par leur fille, témoignant ainsi de leur profonde détresse et de leur désespoir.

Les symptômes dépressifs peuvent être accompagnés de symptômes d’anxiété et de conduites pathologiques. En effet, certains pères (n=4) rapportent avoir souffert de symptômes somatiques (p.ex., nausées, sensation d’étouffement,

pression dans la poitrine, difficultés gastro-intestinales), signes d’une anxiété envahissante : « J’étais en train d’étouffer. C’est comme si quelqu’un me serrait le cou. Je pouvais plus respirer » (Michel). Une consommation d’alcool excessive qui se retrouve dans le registre des conduites pathologiques a aussi été rapportée par deux d’entre eux en proie à une importante détresse psychologique à la suite du dévoilement : « J’ai eu une perte d’intérêt envers moi-même. J’étais découragé. J’ai sombré un peu dans l’alcool. La pire étape, ça a été ça. J’ai bu beaucoup » (Guillaume); « Sans dire que j’étais alcoolique, à un moment donné j’aimais faire un feu, je m’asseyais et je prenais un Gin. Je faisais jamais ça régulièrement, mais avant le repas c’était rendu un classique » (Marc). La dénégation accompagne le discours de ces pères qui ont tendance à minimiser leur consommation, probablement source d’un important conflit intérieur.

Le témoignage des participants met en évidence que le dévoilement de l’AS ainsi que les répercussions psychologiques associées peuvent entraîner des difficultés professionnelles : «Je n’ai plus été capable de travailler pendant un mois et demi » (Marc); conjugales : « C’est sûr que ça amène certaines frictions avec ma conjointe » (Jean-Paul); ou encore familiales : « Je n’ai pas senti d’empathie de la part ma famille. J’ai trouvé ça difficile parce que je pensais qu’ils auraient été plus attentifs. Tu te rends compte que tu n’as pas nécessairement l’écoute que tu voudrais » (Bernard). Une perte d’intérêt pour les activités et un repli sur soi se manifestent également chez certains pères : « J’ai relâché mes activités personnelles. Je gardais mon cercle d’amis, mais c’était limité. Je consacrais tout mon temps à Léa. Je me suis renfermé » (Xavier).

Il est important de préciser que le dévoilement de l’AS arrive parfois à un moment où les pères sont confrontés à diverses difficultés dans leur vie, comme une rupture amoureuse, le deuil d’un proche, des problèmes de santé, une perte d’emploi, des conflits autour de la garde de l’enfant ou encore des difficultés financières. L’accumulation de ces événements de vie difficiles les plonge dans une grande détresse et favorise un climat familial tendu, comme en témoigne

l’extrait suivant : « Une accumulation de plusieurs situations, familiales et professionnelles, qui ont fait que je n’ai pas été capable de fonctionner pendant cinq semaines » (Bernard).

1.3.3. Apparition des sentiments de culpabilité : des pères qui se sentent coupables et responsables des actes vécus par l’enfant (n=9). Lors des

entrevues, plus de la moitié des pères ont évoqué les sentiments de culpabilité ressentis depuis le dévoilement de l’AS de leur enfant. Ils se font de nombreux reproches et mettent en avant leur propre responsabilité en tant que parents : « Si je n’avais pas fait cette sortie-là. Si j’avais été plus présent peut-être que ça ne serait pas arrivé » (Guy). Ils peuvent également se sentir coupable de ne pas avoir été à la hauteur du rôle protecteur attribué généralement à la figure paternelle : « Mes émotions sont très fortes. C’est comme si j’avais échoué, j’avais fait une erreur, car peut-être que si Cecilia avait été avec moi, ça ne serait jamais arrivée » (Pedro). Certains sont persuadés qu’avec davantage de vigilance et d’attention, ils auraient pu éviter qu’une telle agression se produise : « Je ressentais de la culpabilité de pas avoir pu déceler ça alors que ça faisait un an que ça durait. Ça m’a écœuré » (Guillaume); « J’ai dû me battre contre ma culpabilité. Ce qui me grugeait, c’était la culpabilité…Je ne pouvais pas concevoir de m’être fait avoir » (Jacques). Pour quelques pères, la culpabilité associée à une blessure narcissique importante est tellement grande qu’ils perdent l’estime d’eux-mêmes et vivent le dévoilement comme un échec personnel : « Moi j’étais rendu un moins que rien, comme si j’avais échoué ma vie. C’est comme un échec carrément, c’est en même temps personnel et social » (Marc).

Les diverses manifestations émotionnelles entourant les phases de choc, de colère ou encore de détresse sont les signes que la perte de l’enfant dit « naïf et innocent » devient consciente. En effet, les pères doivent alors faire face au deuil de leur enfant que la situation d’agression fait grandir « prématurément » ainsi qu’à la douleur que cela occasionne : « Il n’y a plus la brillance d’innocence que tu vois dans les yeux d’un enfant » (Jean-Paul); « Je ne la vois plus comme une petite

fille. Elle a vieilli plus vite que prévu. Ça fait mal » (Christian); « Elle a grandi prématurément, son innocence a été volée » (Xavier).

2. Sur le chemin de l’apaisement : des blessures qui ne sont pas encore