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Le terme protubérance est utilisé pour décrire une variété d’objets, allant de struc- tures relativement stables perdurant quelques mois, à des phénomènes transitoires qui durent quelques heures, voire moins. C’est une structure de matière chromosphérique dans la couronne solaire, qui est plus dense et plus froid que son environnement co- ronal (Leroy [80]). On parle de filament lorsque la structure est observée sur le disque solaire, par exemple en absorption en Hα (Fig. 5.14). On parle de protubérance lorsque la structure est observée au limbe, sur le "fond du ciel" (Fig. 5.8).

Dans et autour des régions actives, on peut voir différentes sortes de protubérances à durée de vie courte (quelques heures) et changeant rapidement. On les appelle protu-

bérances actives. Sur le disque solaire, leur apparence en Hα n’est pas différente des

filaments calmes, mais elles sont généralement plus petites et plus incurvées.

On peut subdiviser ces protubérances de régions actives en deux catégories (Tandberg- Hanssen [130]) :

– les filaments de plage sont des protubérances relativement stables, qui se trouvent au-dessus de la ligne d’inversion de la polarité du champ magnétique dans les ré- gions actives ou au bord des régions actives. Ce sont les précurseurs des protubé- rances calmes et ont généralement des phases d’activité.

– les protubérances actives, comme les "surges", les jets et les boucles, montrent des changements rapides et des mouvements souvent violents. Certaines sont liées aux taches solaires ou associées aux éruptions, et parfois même confondues avec les éruptions.

Fig. 5.13: Protub´erance calme vue en Hα au- dessus du limbe solaire. On peut voir une structure fine spatiale majoritairement verti- cale, et des ”pieds” connect´es `a la chromo- sph`ere. (image du spectroh´eliographe de Meu- don)

Fig. 5.14: Filament observ´e en Hα au-dessus du disque solaire. (image du spectroh´elio- graphe de Meudon)

On appelle protubérances calmes ou quiescentes les protubérances à longue durée de vie -quelques jours à quelques mois- qui changent lentement et que l’on voit, en Hα par exemple, loin des régions actives avec taches solaires. Les protubérances calmes sont des structures longues et fines, quasiment verticales au-dessus de la surface solaire (Fig. 5.13). Elles consistent en une série d’arches dont les pieds sont ancrés dans la photosphère et qui s’étendent jusqu’à la couronne.

Les observations systématiques des protubérances solaires ont commencé dans les années 1940 dans la raie Hα (d’Azambuja & d’Azambuja [11]). Avec l’invention du corono- graphe par Bernard Lyot en 1930, il est devenu possible d’observer les protubérances au limbe n’importe quand et de manière quasiment aussi précise que pendant les éclipses (Fig 5.15). Cela a conduit à une classification complexe des différents types de protubé- rances, en fonction de leur morphologie (Tandberg-Hanssen [130]). Malgré des décen- nies d’étude, les mécanismes de formation des protubérances ne sont pas parfaitement connus. En particulier, aucune théorie n’explique de manière satisfaisante leur impres- sionnante stabilité dans un environnement moins dense qu’elles. Le champ magnétique joue probablement un rôle prépondérant dans la création et la stabilité des protubé- rances (voir les revues de Leroy [84], Landi Degl’Innocenti [77], Tandberg-Hanssen [130], Démoulin [37]).

Les mesures magnétographiques du champ magnétique longitudinal par effet Zee- man, dans les raies spectrales des protubérances, a ouvert la voie de la période polari-

Fig. 5.15: Observation du Soleil avec le coronographe du Pic du Midi en Hα, le 13 Mars 1997. métrique d’observation des protubérances solaires (Zirin & Severny [145], Ioshpa [68]).

J.-L. Leroy a conduit le travail observationnel le plus complet, à ce jour, sur la dé- termination du champ magnétique dans les protubérances. Il a utilisé les moyens de l’Observatoire du Pic du Midi (Ratier [117]). Ses premières mesures ont été faites sur la

raie D3 de He I avec un polarimètre photo-électrique monté sur un coronographe (Leroy

et al. [87], Leroy [81] [82]). C’est à l’Observatoire de Meudon qu’ont eu lieu l’analyse des données et l’interprétation des signaux de polarisation linéaire ainsi obtenus, pour dé- terminer l’orientation et l’intensité du champ magnétique par utilisation de l’effet Hanle (Sahal-Bréchot et al. [125], Leroy [83], Bommier & Sahal-Bréchot [23], Bommier [21], Sahal- Bréchot [124], Leroy et al. [85] [86]). L’effet Hanle a été découvert en laboratoire par W. Hanle en 1924. Il s’agit d’un mécanisme de modification de la polarisation par diffusion, dû à la présence d’un champ magnétique. La raie doit être polarisée linéairement en l’absence de champ, par exemple par diffusion d’un rayonnement anisotrope. Le champ magnétique dépolarise et fait tourner la direction de polarisation linéaire, s’il est dirigé le long de la ligne de visée dans le cas d’une diffusion à angle droit. Pour mesurer le champ il faut donc commencer par effectuer un calcul correct de la polarisation en champ magnétique nul.

Il est également possible de déterminer complétement le champ magnétique d’une protubérance en mesurant simultanément la polarisation linéaire à deux longueurs d’onde différentes (Bommier et al. [24]). Bommier et al. [25] ont utilisé avec succès cette tech-

nique en observant deux raies différentes, le multiplet D3 de He I et la raie Hα ou Hβ de

H I.

Une autre possibilité est d’utiliser les deux composantes du multiplet D3. Ceci nécessite

des observations à haute résolution spectrale, car ces deux composantes ne sont sépa-

rées que de 34 pm. Les premières observations, résolues spectralement, du multiplet D3

Athay et al. [5], Querfeld et al. [115]).

Fig. 5.16: Illustration des r`egles de chiralit´e (d’apr`es Priest et al. [114]) : pour un observateur se tenant du cˆot´e de la polarit´e positive du champ photosph´erique, le champ magn´etique axial de la protub´erance pointe (a) vers la droite pour une protub´erance d’orientation `a droite, ou dextrale, et (b) vers la gauche pour une protub´erance d’orientation `a gauche, ou sinistrale. Dans l’h´emisph`ere nord (respectivement sud), les protub´erances ont une orientation dominante `a droite (respectivement `a gauche).

On peut résumer les résultats importants obtenus avec toutes ces études (cf Paletou & Aulanier [108]) :

– Le champ magnétique obtenu des inversions a une intensité de 3 à 15 G dans les protubérances calmes. Les mesures Zeeman et Hanle sont en accord (voir par exemple Leroy [84], Tandberg-Hanssen [130]).

– Le champ magnétique est principalement horizontal, faisant un petit angle < θ > ∼ 25˚ avec l’axe long de la structure (Leroy et al. [86]).

– L’intensité du champ magnétique augmente légèrement avec l’altitude, ce qui est compatible avec la présence de lignes de champ en couches pour supporter le plasma froid des protubérances contre la gravité (Rust [119], Leroy et al. [85]). – une grande majorité des protubérances sont de polarité inverse (Bommier & Le-

roy [22]). La composante du champ magnétique orthogonale à la protubérance est inverse à celle d’une boucle magnétique qui traverserait la protubérance. Bommier et al. [25] expliquent comment résoudre le problème de l’ambiguité sur la direction du champ magnétique.

– les règles de chiralité (voir Fig. 5.16) : les champs magnétiques axiaux des protu- bérances sont toujours opposés à ce que prédit la rotation différentielle (voir par exemple Leroy et al. [85], Bommier & Leroy [22]). Et elles ont une orientation domi- nante à droite (respectivement à gauche) par rapport aux polarités photosphériques à grande échelle dans l’hémisphère nord (respectivement sud). Martin et al. [93] ont déduit ceci d’observations morphologiques, combinées à des magnétogrammes photosphériques.

Alors que la plupart des mesures directes de champ magnétique dans les protubé- rances sont tirées d’observations faites au limbe, Lin et al. [88] ont réalisé assez récem- ment la première observation spectropolarimétrique dans tous les paramètres de Stokes

des expériences de physique atomique naturelle. Citons par exemple la comparaison d’observations sur le disque et au limbe qui permet de mettre en évidence la polarisation atomique du niveau inférieur, même en présence de champs magnétiques d’une intensité de quelques G et quasi-horizontaux (Trujillo Bueno et al. [135]).

Les données spectroscopiques, et spectropolarimétriques, permettent d’obtenir des informations sur la température, la densité, la vitesse des protubérances, et le champ magnétique via l’utilisation de l’effet Zeeman et de l’effet Hanle. La magnétohydrodyna- mique permet d’étudier le couplage entre les mouvements des plasmas constituant les protubérances, et les champs électriques et magnétiques. Les protubérances étant des plasmas hors-ETL, il faut faire appel a priori au transfert radiatif pour prédire la forme et l’intensité des raies spectrales, et les comparer aux observations.

Protubérance Région de transition P-C

Partie centrale Bords

Te (K) 4300-8500 8000-12000 104-106 ξ (km s−1) 3-8 10-20 30 ne (cm−3) 1010-1011 109.6 3x1010-108 pg (dyn cm−2) 0.1-1 ∼ 0.02 ∼ 0.2 n(H II)/n(H I) 0.2-0.9 B (Gauss) 4-20 V (km s−1) ±5 ∼ 10

Tab. 5.1: Valeurs typiques observ´ees des param`etres physiques dans les protub´erances solaires : Te

est la temp´erature, ξ est la vitesse de microturbulence, ne est la densit´e ´electronique, pg est la

pression gazeuse, n(H II)/n(H I) est le rapport entre hydrog`ene ionis´e et hydrog`ene neutre, B est le champ magn´etique et V est la vitesse macroscopique. Tableau repris de Tandberg-Hanssen [130] (donn´ees : Hvar Reference Atmosphere of Quiescent Prominences, Engvold et al. [43])

Lorsque l’on souhaite traiter le transfert radiatif dans les protubérances, on doit faire face à de nombreuses difficultés (Tandberg-Hanssen [130]) :

– il faut prendre en compte des modèles atomiques détaillés, incluant la structure fine atomique, afin que les profils synthétiques correspondent aux profils observés. – il faut considérer que les plus fortes raies de l’hydrogène et de l’hélium sont opti-

quement épaisses lorsqu’on veut prendre en compte les pertes radiatives dans les protubérances (Kuin & Poland [71]).

– la vitesse macroscopique du plasma induit des effets dits d’illumination Doppler ou d’extinction Doppler sur certaines raies (Heinzel & Rompolt [62]).

– les effets de redistribution partielle en fréquence (PRD) peuvent être importants, en particulier sur les raies fortes de l’hydrogène comme Lyα (Heinzel et al. [63], Paletou et al. [111]).

– les protubérances sont en fait constitués d’éléments de structure fine spatiale, on parle de degré de porosité. La modélisation couramment utilisée des protubérances en géométrie 1D plan parallèle ne permet pas de reproduire les profils observés.

Anzer [61] (et articles suivants). Cette structure filamentaire permet au rayonnement extérieur de pénétrer plus profondément que si la protubérance était uniquement constituée d’une couche de matière.

Les protubérances calmes ont des dimensions typiques : en longueur entre 60000 et 600000 km, en hauteur entre 15000 et 100000 km et en épaisseur entre 5000 et 15000 km. On peut trouver chez Engvold et al. [43] les paramètres physiques typiques des protubérances calmes dont on rappelle les principaux dans le Tab. (5.1).

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