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Protection de l’inondation, reprise de l’urbanisation

Introduction : du marécage à la résidence

Chapitre 2. Des années soixante-dix aux années deux mille : le temps de la densification

2.1. Un développement urbanistique enchâssé dans des stratégies politiques locales politiques locales

2.3.2. Protection de l’inondation, reprise de l’urbanisation

Dans ce développement urbanistique rapide, il est à noter que les éléments ne sont pas venus contrarier les décisions de développement prises. Depuis les travaux de canalisation du Lez terminés en 1982, la région a bénéficié d’une relative tranquillité météorologique : il n’y a pas eu d’événement majeur localement. Ces non événements post-endiguement viennent alors conforter les croyances en la possible maîtrise technique du fleuve, et donc le non-risque de la zone. Le contexte hydro-météorologique n’est pas venu freiner la logique de

86 développement de la ville entamée alors ; et ce, jusqu’à « l’apothéose » de la construction d’un quartier situé contre les digues au début des années 1990 : le quartier de Port Ariane.

Figure 10 : Photos du quartier de Port Ariane Vue aérienne (à gauche); vue sur les immeubles donnant sur la vasque (à droite).

[Ghislain Guénard © (gauche) et S. Durand © 2013 (droite)]. Ce quartier est doublement emblématique de la présente réflexion. D’abord parce que sa construction vient matérialiser la querelle qui aura opposé les maires de Montpellier et de Lattes pendant près de vingt-cinq ans. Ensuite parce qu’il montre des possibilités encore très récentes en matière d’urbanisme vis-à-vis du risque inondation, ainsi que des arrangements politiciens qui peuvent les faciliter.

Le contexte législatif français était pourtant marqué, dès le début des années 1980, par une évolution de la représentation du risque comme danger pour la société (Reliant, 2004)105. La loi106 relative à l'indemnisation des victimes des catastrophes naturelles visait à pallier l'incapacité du marché assurantiel à couvrir les risques naturels. L’État s’était ainsi engagé à définir les secteurs à risques afin de définir l’inconstructibilité ou la constructibilité sous réserve de travaux d’aménagement. Les arrêtés de catastrophes naturelles, pris par le préfet avec l’accord du gouvernement assuraient que les dédommagements consécutifs soient pris en charge par les assurances avec le régime spécifique d’assurance mis en place, le système Catnat. Ce régime assurantiel avait pour objectif d’agir comme un garde-fou pour empêcher la construction en terrains inondables. L’outil qui servit à établir des prescriptions dans ces zones fut mis en place deux ans plus tard (1984). La loi de répartition des compétences107 (loi de décentralisation) introduisit la notion de Projet d'intérêt général (Pig) dont un des objectifs était la prise en compte des risques. Cette procédure permettait à l'État de demander, ou d'imposer, aux communes la mise en compatibilité de leur Pos avec le projet de l'État (Ledoux, 2006). Les inondations généralisées sur le territoire français en 1983 ont encouragé encore cette volonté étatique de gérer l’occupation des sols en zones à risque. En 1984108 sont mis en place les Plans d'exposition aux risques (PER), établi à l’initiative du préfet, dont l’objectif affiché était bien de maîtriser l'urbanisation dans les zones inondables, notamment afin de maintenir l'équilibre financier du système assurantiel. Selon les analystes cependant,

105 Se reporter à l’annexe 1 pour un descriptif des évolutions législatives en matière de gestion des risques et d’urbanisation.

106 Loi n°82-600 du 13 juillet 1982.

107 Loi du 7 janvier 1983.

108 Décret du 2 mai 1984 : « Les PER doivent déterminer les zones exposées au risque et les techniques de prévention à mettre en œuvre tant par les propriétaires que par les collectivités ou les établissements publics » (article 5 loi 1982).

87 ces PER n’ont pas permis de contrôler l’urbanisation dans les zones inondables autant que possible (Pottier, 1998; Ledoux, 2006 ). Dans un contexte de décentralisation, il manquait une concertation entre les services de l’État et les collectivités locales, lorsque ces dernières rejetaient cette politique car elle posait une contrainte nouvelle sur l’urbanisation et le développement économique futur des communes réglementées (Pottier, 1998). La mise en œuvre des PER fut dans la plupart des cas assez longue, avec une procédure lourde, les études pour délimiter les zones en fonction de l'intensité du risque étant longues et coûteuses (Commissariat général du plan, 1997). Bien qu’à la fin des années 1980 commençait à s’opérer un durcissement de la réglementation de la part de l’État pour améliorer la prévention du risque inondation (Reliant, 2004)109, le développement de la commune de Lattes atteste des latitudes qui demeuraient dans l’aménagement de ces zones dites « à risque ». Le PER concernant le Lez a été qualifié de projet d’intérêt général en juillet 1989, mais son établissement n’a pas pour autant empêcher le développement concomitant de l’urbanisation. Pour illustration, dans la réponse de la préfecture à la commune de Lattes concernant le projet d’aménagement de la Zac110 de Port Ariane111, figurait la mention du PER et précisait que « ce projet nécessite des études hydrauliques complémentaires en cours d’exécution […] Les

aménagements prévus sur le Lez nécessiteront le moment venu une enquête hydraulique conformément à la réglementation en matière de police de eaux et que ces aménagements ne devront pas augmenter les risques par rapport à la situation initiale prise en compte dans le cadre du PER » S’il est reconnu par les services de l’État que « à ce stade du projet il n’est pas possible de donner un avis sur les conditions de sécurité des personnes dans la conception des futurs bâtiments », et que les aménagements initialement envisagés rive droite

ne pouvaient être validés compte tenu du fait que « un confortement de la digue ne suffit pas à

la suppression du risque dans ce secteur particulier » ; l’avis favorable formulé au projet de

la Zac Port Ariane (exception faite des aménagements initialement prévus en rive droite) relativise le caractère contraignant des PER sur les possibilités d’urbanisation112.

Plus largement, le bassin versant du Lez113, la région de Montpellier semble faire figure d’exception dans l’articulation des politiques d’aménagements et les politiques de l’eau. En matière d’inondation selon les travaux de Freddy Vinet, l’histoire de la région

109 La loi du 22 juillet 1987109 oblige à prendre en compte les risques naturels dans les documents d’urbanisme et confère aux PER la valeur de PSS. Le 20 juin 1988, le ministère de l'Équipement et des risques majeurs déclare, dans la circulaire n°88-67 relative aux risques naturels et au droit des sols, que « L'État doit afficher les risques en déterminant leurs localisations et leurs caractéristiques, et veillent à ce que les divers intervenants les prennent en compte dans leurs actions. Les communes ont le devoir de prendre en considération l'existence des risques naturels sur leur territoire, notamment lors de l'élaboration de documents d'urbanisme et de l'examen des demandes d'autorisation d'occupation ou d'utilisation des sols.» L’État demande à ses services « de se montrer particulièrement vigilants dans la prise en compte des risques naturels ».

110 Zone artisanale et commerciale.

111 Courrier n°4138, daté du 26.09.1990, du service de la Direction départementale de l’équipement (DDE), signé par le préfet de l’époque, adressé au maire de Lattes.

112 Dans les archives de l’enquête publique relative au plan d’aménagement de la Zac de Port Ariane, un conseiller municipal lattois (de Maurin), qui dénonçait que « faire un port au niveau d’une cité qui de par sa situation géographique a toujours subi – à des degré divers – les conséquences d’une invasion des eaux est vouloir faire courir aux populations actuelles et à venir de réels danger » précisait d’ailleurs que « le plan d’exposition aux risques (PER) n’est pas connu et ne figure par sans le dossier ». Courrier du 25.10.1990 adressé au commissaire enquêteur.

113 Un bassin versant est une portion de territoire dont les eaux alimentent un exutoire commun. Le découpage du bassin Lez-Mosson-étangs palavasien est visible sur la figure 5 (p.18).

88 Roussillon révèle la construction de sociétés locales forgées dans la culture de la maîtrise de l’eau. La longue et forte tradition ingénieriste locale s’accompagne selon lui de

« représentations collectives privilégiant la maîtrise de l’aléa » qui y fait perdurer la foi dans

le bien fondé des mesures structurelles (Vinet, 2007a). Des messages de possibilité de maîtrise des éléments par la technique accompagnaient effectivement la continuité de ce développement en zone pourtant désormais défini comme à risque (par le PER). Montpellier soutenait parallèlement à l’édification du quartier Port Ariane à Lattes, le développement de la commune vers l’Est avec la construction du quartier Port-Marianne, dont nous voyons la localisation sur le schéma ci-dessous. Dans l’édition du journal de la ville présentant le projet, figurait en tête des six arguments listés pour soutenir ce projet que « les crues du Lez sont

maîtrisées : Ce développement de la ville vers l’Est a été rendu possible grâce au recalibrage

du Lez permettant désormais de contenir les crues du fleuve »114.

Figure 11 : Situation des ports Ariane et Marianne, entre Montpellier et la mer méditerranée [Source : Rapport « Le lez, un fleuve en mutation » de Guisset Pierre, commanditaire inconnu, consulté au siège de l’association Apieu, Atelier permanent d’initiation à l’environnement urbain, Montpellier]. Des travaux récents menés localement (Juvenal, 2010) ont justement porté attention sur l’articulation locale entre les deux dispositifs de gestion correspondant à la mise en œuvre de politiques de l’eau115 et les politiques d’aménagements urbain à l’échelle du territoire116. La condition minimale pour qu’il puisse y avoir une relative bonne prise en compte des questions

114 Journal de la ville de Montpellier, n°126, décembre 1989, dossier « la révision du Pos ».

115 Aujourd’hui ces politiques sont cadrées par le Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage), document de planification de la gestion de l'eau à l'échelle d'une unité hydrographique cohérente (bassin versant, aquifère, ...). Il fixe des objectifs généraux d'utilisation, de mise en valeur, de protection quantitative et qualitative de la ressource en eau et il doit être compatible avec le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage). Source : http://gesteau.eaufrance.fr/presentation/sage consulté le 14 avril 2013.

116 Hier encadré par le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), et depuis la loi SRU de 2010 par le Schéma de cohérence territoriale (Scot). Le Scot est l’outil de conception et de mise en œuvre d’une planification intercommunale en orientant l’évolution d’un territoire dans le cadre d’un projet d’aménagement et de développement durable. Il assure la cohérence des documents sectoriels intercommunaux et des Plans locaux d’urbanisme (Plu) ou des cartes communales établis au niveau communal. Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Presentation-generale,13896.html, consulté le 14 avril 2013.

89 de l’eau dans l’aménagement est que ces deux documents soient élaborés de manière à peu près concomitante dans le temps (Barone, 2012). Thibaut Juvenal (2010) montre que ce n’est pas le cas dans l’agglomération montpelliéraine dans un travail d’étude de sur l’articulation entre gestion de l’eau et aménagement sur le bassin Lez-Mosson-étangs palavasiens. Il a analysé comment de tels arrangements avaient été rendus possible avec pour exemple le cas de Port-Marianne à Montpellier. Un autre travail d’étude117 sur le cas de la construction du quartier de Port Ariane a par ailleurs montré comment l’édification de ce quartier est enchevêtrée dans des histoires « personnelopolitiques ». La compétition politique entre le maire de Lattes et celui de Montpellier se cristallisait particulièrement autour d’une course pour construire le premier « son » port sur le Lez. Encore récemment le quartier montpellierain de Port-Marianne avait pour vocation de devenir un port, si le combat mené par Georges Frêche pour l’obtention de l’autorisation de navigabilité jusque ce dernier s’était soldé positivement. Cette bataille apparaît comme un écho à l’histoire lointaine où le port sur la méditerranée a tantôt été à Lattes, tantôt à Montpellier. Dans la communication de la Ville de Montpellier, encore très récemment, l’évocation de ce dossier le révèle comme chargé d’enjeux de développement local fort.

« Montpellier renoue avec son histoire grâce à Port-Marianne. […] Le Lez représente un double vecteur du développement montpelliérain d’une part il constitue un lien avec la mer et les étangs (sa présence et sa bonne santé constituant des conditions nécessaires à leur survie), et d’autre part il peut représenter, comme par le passé, mais sur des bases différentes et plus contemporaines, un des éléments catalyseurs du développement de la ville. »

[Extrait du dossier de presse Projet Port-Marianne : Le projet urbain d’une cité méditerranéenne », Montpellier Agglomération, 2004.]

La possibilité de cet établissement dépendait avant tout de l’obtention de la navigabilité sur le Lez, octroyée par le préfet. Si l’autorisation fut obtenue par le maire de Lattes en 1989 – rendant possible la création du port Ariane à Lattes – la Mairie de Montpellier ne l’a elle, toujours pas obtenue – limitant à l’usage ornemental la vasque centrale du quartier de Port-Marianne à Montpellier. Elle n’en abandonne cependant toujours pas l’idée, comme en atteste les réguliers articles dans la presse locale (par exemple : « Montpellier, la région relance

navigation et port sur le Lez », Midi Libre, édition du 25 septembre 2010).

La réalisation du quartier de Port Ariane à Lattes, au-delà de cette « course politique à l’édification », est une illustration de la politique entrepreneuriale menée par le maire, où la municipalité par le biais de sociétés d’économie mixte s’érige en véritable acteur financier du

117 Concernant ce dossier – débordant le cœur des questionnements de la thèse - un travail de recherche a alimenté l’analyse présentée ici. Eugène Ebodé a réalisé une étude comparative entre le terrain de Lattes et de Piolenc (84) sur le thème des « Interstices du droit et des ressources d’acteurs pour construire en zone inondable » (dans le cadre d’un stage de master 2 Sciences politiques spécialité politique et action publique comparées, Université de Montpellier 1, réalisé de mars à septembre 2011). Sur le cas lattois il s’est concentré sur l’analyse du cas de la construction du quartier de Port Ariane. Ce travail a fait l’objet de la rédaction d’un mémoire de stage non publié. L’extrait du rapport de stage livrant son analyse sur ce dossier et les documents sur lesquelles elle s’appuie figurent en annexe 5.

90 développement urbanistique local, comme en témoigne un ancien membre de l’équipe municipale de l’époque.

« Le port, bon, ça je dois quand même … parce que ça nous a rapporté. Parce que croyez-moi, le terrain on ne l’a pas payé cher ! Parce que j’y étais moi au conseil […] Et un jour le maire me dit : « Vous seriez disponible tel jour ? », Je dis oui, il me dit : « Venez on reçoit les promoteurs, on va leur vendre les patates maintenant que l’on a les terrains à nous. » Ils choisissaient chacun un coin pour construire leurs immeubles ceci cela. […] Alors on a vendu toutes ces patates, on leur a vendu 10 fois ce que l’on avait payé. [...] En moi-même je me disais, en étant les pieds dans la Mairie, j’étais plus content qu’autre chose, mais je me disais, en fin de course quand même, c’est bien le particulier qui va acheter l’appartement qui va payer tout ça. […] Alors cela un jour m’a fait prendre de nouveau, comme pour l’hydraulique une colère en conseil municipal, quand, euh… Je ne sais plus quel conseiller disait que c’était parce que le foncier était cher que l’habitat était cher à Lattes… […] Ne me dites pas que c’est le foncier qui était cher ! Ce n’est pas vrai !

Donc, dans l’histoire, si je comprends bien ce sont surtout les promoteurs qui se sont dégagés une marge importante ?

C’est sur ! C’est le promoteur qui prend une marge énorme ! Quelque soit le prix qu’il achète, il vend au prix maximum ! »

[Un membre de l’ancienne équipe municipale.]

L

es décennies du développement urbanistique des années 1970 et 1980 nous donnent à voir comment un projet d’État, celui de créer de toute pièce un village pour les rapatriés d’Algérie, a suscité des réactions locales vives. Les témoignages mettent des mots sur une réaction à un projet « imposé d’en haut » mais aussi à une certaine réticence d’une part à voir évoluer vers l’urbain le milieu rural auquel ils sont attachés, à l’inclusion de certaines altérités d’autres part. Il est alors surprenant de suivre que ces réactions aient finalement mené à accélérer ce processus d’urbanisation tout en l’inscrivant dans un projet de territoire lui conférant une urbanité « à taille humaine » et conservant une certaine homogénéité sociale. La nature lacustre du milieu vient aussi participer à l’histoire en ce sens. Étonnamment encore, l’inondation a participé au processus d’urbanisation orienté localement pour deux raisons. Tout d’abord parce que l’endiguement du fleuve réalisé par la municipalité, en permettant de se croire protégé des crues du fleuve, a rendu possible de nouvelles constructions. Ensuite parce que le financement de la protection des crues du fleuve a nécessité de trouver des sources de financement et a orienté vers de nouvelles constructions. De plus, l’attribution de responsabilités suite à l’inondation du premier quartier construit a fait partir le dernier maire agriculteur de l’histoire de la ville qui représentait l’histoire rurale locale. Ce changement à la tête de la Mairie se fait emblématique de celui en cours dans la trajectoire de la commune. C’est un « maire entrepreneur » (Lagroye, 1994), de culture urbaine, de conviction politique forte et qui a un projet de développement précis pour ce territoire qui va alors accompagner le boom urbanistique de Lattes. Le fleuve désormais endigué et l’absence d’événement météorologique critique durant les deux décennies, plus que de ne pas freiner le développement urbain, l’encourage par les aménités paysagères et des liens à la mer qu’il permet. L’espace naturel du Méjean encore répulsif et envahi par les

91 moustiques il y a vingt ans, où il était exploité seulement pour les près salés, la pêche et la chasse, par sa protection en zone naturelle s’oriente vers un lieu de détente pour citadins. S’il demeure un milieu privilégié pour la (re)découverte de la faune et de la flore locale, les aménagements dont il est l’objet participe d’une mise en valeur de l’environnement résidentiel (Charmes, 2007) en le transformant peu à peu en parc urbain, ainsi que nous le verrons en détail par la suite.

Ce développement urbain rapide ne sera pas remis en question jusque la fin des années 1990, où la question de l’inondabilité va (re)venir sur le devant de la scène.

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