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CHAPITRE III Un appel à une reconceptualisation du droit traditionnel

B. Une protection adaptée à la réalité du travail domestique

Adoptée lors de la 100e session de la Conférence internationale du travail à Genève, la Convention n°189 concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques et la Recommandation n°201 qui l’accompagne s’inscrivent dans cet esprit de nécessité d’une reconnaissance universelle et d’une protection spécifique de ce secteur d’emploi historiquement dévalorisé. À cet égard, le préambule souligne que malgré « la contribution significative des travailleurs domestiques dans l’économie mondiale »364, ce travail principalement féminin, migrant, informel et fortement marginalisé365 « continue d’être sous-évalué et invisible »366. Rappelant également le fait que les instruments internationaux généraux, de tous les domaines du droit, s’appliquant à l’ensemble des travailleurs s’appliquent également à la main d’œuvre domestique367, le préambule énonce que seules des normes spécifiques sont en mesure d’assurer à celle-ci la pleine jouissance de leurs droits368. Il ressort donc de l’esprit du préambule de la Convention que le travail domestique représente d’une part un travail parmi tant d’autres dont la main d’œuvre bénéficie des mêmes protections et droits fondamentaux que tout autre travailleur, et d’autre part un travail unique dont les conditions particulières nécessitent l’élaboration d’une réglementation spécifique.

Dans le même ordre d’idées, plusieurs articles du corps de la Convention rappellent l’application aux travailleuses domestiques de droits préalablement reconnus par l’OIT comme s’appliquant à tous les travailleurs. À ce titre, l’article 3 de la Convention réfère aux 4 droits fondamentaux au travail tels qu’énoncés dans la Déclaration de l'OIT relative aux principes et

363 A. BLACKETT, préc., note 350, p. 29.

364 Convention (no 189) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc., note

1, préambule, par. 3.

365 Id. , préambule, par. 5. 366 Id. , préambule, par. 4. 367 Id. , préambule, par. 6. 368 Id. , préambule, par. 8.

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droits fondamentaux au travail et son suivi369, soit « la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective; l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire; l'abolition effective du travail des enfants [ainsi que] l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession »370. L’article suivant souligne quant à lui l’importance de l’application des Conventions n°138371 et n°182372, relatives au travail des enfants, en ce qui concerne le travail domestique. Il en va de même pour la réglementation des agences de placement, l’article 15 reprenant plusieurs articles de la Convention n°181 concernant les agences d’emploi privées373. Plus précisément, la Convention demande aux États membres de mettre en place des processus de plaintes374 et des mécanismes de protection contre des pratiques abusives éventuelles des agences375, de légiférer sur leurs conditions d’exercice376 et de s’assurer que ces dernières ne déduisent leurs honoraires à même le salaire des travailleuses377.

La Convention souligne aussi l’importance de considérer le travail domestique comme tout autre emploi en rappelant qu’aucune discrimination ne doit être effectuée à l’égard de cette main d’œuvre dans l’application des lois nationales du travail, notamment en matière de sécurité sociale378, de salaire minimum379 ainsi que des règles relatives à la durée du travail, aux congés payés, aux heures supplémentaires et aux périodes de repos.380

369 Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, adoptée par la

Conférence internationale du Travail à sa 86e Session, Genève, (18 juin 1998) (Annexe révisée le 15 juin 2010).

370 Convention (no 189) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc., note

364, art. 3. Il s’agit bien d’un rappel puisque selon le texte de la Déclaration, tout État membre a l’obligation de respecter ces 4 droits fondamentaux pour tous les travailleurs, et ce indépendamment de leur ratification ou non des conventions particulières à cet égard, mais bien du seul fait de leur appartenance à l’organisation.

371 Convention (no 138) concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, Genève, 58e session, C.I.T., (26 juin

1973)

372 Convention (no 182) concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, Genève, 87e session, C.I.T., (17 juin 1999) .

373 Convention (no 181) concernant les agences d'emploi privées Genève, 85e session, C.I.T., (19 juin 1997) . 374 Convention (no 189) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc., note

1, art. 15 al.1 (b), pendant de l’article 10 de la Convention n° 181.

375 Id. , art. 15 al.1 (c), pendant de l’article 8 de la Convention n° 181. 376 Id. , art. 15 al.1 (a), pendant de l’article 3 Convention n° 181. 377 Id. , art. 15 al.1 (d), pendant de l’article 7 de Convention n° 181. 378 Id. , art. 14.

379 Id. , art. 11. 380 Id. , art. 10 al. 1.

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Toutefois, la Convention n°189 va également au-delà de ces rappels de l’application égalitaire de la législation existante en adressant plusieurs problématiques particulières au travail domestique qui en font un emploi comme nul autre. Ainsi, les membres ayant ratifié le document devront prendre toutes les mesures nécessaires pour prévoir une « protection effective contre toutes les formes d'abus, de harcèlement et de violence »381 faites à ces travailleuses et pour leur garantir des conditions de travail et de vie décentes en respect de leur vie privée, particulièrement pour celles résidant chez leur employeur382. De cette façon, la Convention permet de rendre les gouvernements partiellement responsables des mauvais traitements subis par ces travailleuses afin de faire en sorte que les employeurs malfaisants cessent d’agir en toute impunité.

La Convention fournit par ailleurs aux gouvernements plusieurs critères minimaux pour une pleine réglementation efficace du travail domestique, notamment en ce qui concerne le contrat de travail et la computation des heures travaillées. L’article 7 précise effectivement une liste des informations minimales devant être transmises aux travailleuses au moment de la signature du contrat de travail, telles que le salaire, la durée normale de travail, une description du type de travail, les congés et périodes de repos, la liste de ce qui est fourni ainsi que les conditions liées à la cessation d’emploi et au rapatriement éventuel383. Un contrat de travail écrit, clair et détaillé permettrait alors aux travailleuses d’obtenir des directives précises quant aux tâches à accomplir et attentes de leur employeur, tout en leur fournissant un outil concret pour des revendications advenant le non-respect de ses clauses. L’article 10 établit quant à lui des directives précises sur la réglementation des heures de travail et les périodes de repos. Il indique aux membres que l’encadrement législatif de cet emploi doit prévoir une période de repos hebdomadaire minimale de 24 heures consécutives384 et que le fait pour la travailleuse de demeurer à la disposition de l’employeur advenant qu’il ait besoin de ses services équivaut à du travail devant être rémunéré en conséquence385. Ainsi, à titre d’exemple, les travailleuses domestiques sous le programme canadien s’occupant de jeunes enfants ou de personnes

381 Id. , art. 5. 382 Id. , art. 6. 383 Id. , art. 7. 384 Id. , art. 10 al. 2. 385 Id. , art. 10 al. 3.

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handicapées devraient se voir rémunérées durant la nuit, bien au-delà du contrat de travail signé, puisqu’elles doivent demeurer disponibles advenant le réveil des individus sur lesquels elles veillent. Au surplus, les États ayant ratifié la Convention doivent prendre des mesures afin de garantir la santé et la sécurité des travailleuses domestiques, en tenant compte des particularités de ce travail386. En vertu de cet instrument, les gouvernements ne peuvent désormais plus se cacher derrière les spécificités du travail domestique pour leur retirer les bénéfices des lois sur la santé et sécurité au travail387.

Parallèlement à ces directive précises sur la réglementation de l’emploi, le nouvel instrument oblige également les gouvernements à prendre leurs responsabilités relativement à la réglementation de l’immigration en prévoyant que, dans le cas des travailleuses migrantes, les membres devront s’assurer que l’offre d’emploi qui leur est fournie par l’employeur soit exécutoire avant leur entrée au pays388, afin d’éviter les phénomènes des passeurs, de la traite et les autres problèmes de mise à pied au moment de l’arrivée en sol étranger.

Une des grandes avancées de la Convention, particulièrement en regard de la situation des travailleuses domestiques au Canada, réside dans la reconnaissance que le fait de résider chez l’employeur ne peut être imposé à la travailleuse, mais doit plutôt demeurer un choix à être négocié au moment de l’embauche389. Le même article prévoit également que dans le cas où la travailleuse aurait choisi de résider chez l’employeur, celle-ci ne peut être contrainte à demeurer dans la résidence durant ses périodes de repos et qu’elle doit pouvoir conserver ses documents d’identification en tout temps390.

Enfin, la nouvelle Convention aborde la problématique du difficile accès à la justice pour les travailleuses domestiques en imposant aux États membres de prendre des mesures afin de

386 Id. , art. 13.

387 Au Québec, l’argument qui semble être avancé pour justifier l’exclusion des travailleuses domestiques de

l’application de la LATMP réside dans le fait que cela reviendrait à imposer un fardeau financier trop lourd pour les employeurs. COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, préc., note 327, p. 66. 388 Convention (no 189) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc., note

1, art. 8.

389 Id. , art. 9 (a). 390 Id. , art. 9 (b) et (c).

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garantir à ces dernières un accès effectif aux divers processus judiciaires nationaux, au même titre que tous les autres travailleurs391. Sans spécifier comment doit s’articuler cette garantie d’accès aux tribunaux, l’article suivant précise que les membres doivent instaurer un processus de plaintes, de sanctions et d’inspection du travail, et ce même en maison privée392.

Adoptée au même moment, la Recommandation n°201 vient compléter les normes contraignantes de la Convention n°189 en fournissant des orientations pratiques non- obligatoires pour guider les États dans une meilleure réglementation du travail domestique. Tout d’abord, la Recommandation vient préciser les mesures devant être adoptées par les États afin de respecter les dispositions de la Convention. À ce titre, elle complète notamment l’article 5 de la Convention visant la protection des travailleuse contre les abus, le harcèlement et la violence en « élaborant des programmes de relogement et de réadaptation des travailleurs domestiques victimes d’abus, de harcèlement et de violence, notamment en leur fournissant un hébergement temporaire et des soins médicaux »393. Cette suggestion s’avère hautement utile dans la pratique considérant par exemple qu’au Québec, lorsqu’une aide familiale résidente quitte subitement son employeur pour cause d’abus grave, elle se retrouve généralement à la rue, ne répondant pas à la description des bénéficiaires des centres d’hébergements pour les femmes généralement dirigées vers la protection des femmes victimes de violence conjugale394. La Recommandation souligne également que « la période durant laquelle les travailleurs domestiques accompagnent les membres du ménage en vacances ne devrait pas être considérée comme faisant partie de leur congé annuel payé »395 et que dans le cas des résidentes qui y consentent, le logement fourni devrait être compris comme une pièce privée disposant d’une clé, meublée, convenablement chauffée et aérée, et que la travailleuse devrait bénéficier de repas de qualité et de quantité suffisantes396.

391 Id. , art. 16.

392 Id. , art. 17.

393 Recommandation (no 201) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc.,

note 346, art. 7 c).

394 Information tirée de notre expérience en tant qu’intervenante au sein de l’AAFQ.

395 Recommandation (no 201) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, préc.,

note 346, art. 13.

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En plus de ces compléments à la Convention, la Recommandation n°201 avance de nouvelles propositions, notamment quant à l’établissement de programmes de perfectionnement professionnel, de conciliation entre le travail et la vie privée, ainsi que le développement de programmes facilitant la collecte de statistiques en vue de l’élaboration de politiques effectives au bénéfice des travailleuses domestiques397. L’instrument recommande en outre aux États de coopérer entre eux afin de prévenir les abus opérés dans le cadre de l’immunité diplomatique et d’élaborer des politiques et codes de conduites à cet effet398.