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Protecteurs auditifs individuels en milieu impulsionnel

6.1. Introduction

La législation actuelle se base sur des valeurs d’exposition (limites, supérieures et inférieures), imposant ou suggérant, le cas échéant, le port de protecteurs auditifs individuels dont le rôle sera de ramener l’exposition effective sous ces seuils, afin d’assurer la santé auditive des travailleurs. Or, l’efficacité des protecteurs individuels est donnée pour des bruits continus. Rien ne permet donc, au vu des informations fournies par les fabricants, de connaitre celle-ci pour une exposition à des bruits impulsionnels, même si l’atténuation fournie par les protecteurs est en général supposée constante jusqu’à un certain niveau d’exposition (140 dB SPL) (Murphy et al. [163]). Au-delà de 140 dB SPL, cette atténuation varie avec le niveau d’exposition de manière plus ou moins importante en fonction des protecteurs testés (Murphy et al. [163]), même si pour certains protecteurs la non-linéarité peut apparaitre à partir de 110 dB SPL (Dancer et al. [164] et différents travaux de l’ISL1). La

question se pose donc de la protection effective pour des bruits impulsionnels, comme le suggère l’étude de Wu & Young [165] auprès d’officiers de police. Alors qu’en 1997, ces derniers ne présentaient pas de différences de PTS significatives avant et après des sessions de tirs d’entrainement, dix ans plus tard ces mêmes officiers présentent (en comparaison à des sujets de contrôle) des PTS significativement plus prononcées (pertes unilatérales à gauche et spécifiques aux bandes d’octave à 4 kHz et 6 kHz). Ces pertes à long-terme sont présentes alors que les sessions de tirs s’effectuent sous double-protection auditive. De manière complémentaire, en 2007, les VEMP2 de 9 officiers sur 12 sont absents

ou retardés, alors que les sujets de contrôle présentent des VEMP normaux dans 100 % des cas. Les protections auditives (ici double), même si elles apparaissent efficaces à court- terme, pourraient être insuffisantes pour une protection à long-terme dans le cas d’une exposition chronique à des bruits impulsionnels. Le problème peut alors venir des valeurs limites (VL trop hautes ?) imposées par la règlementation, d’une mauvaise connaissance (ou considération) de l’exposition sous protecteurs ou d’un mauvais positionnement des protecteurs affectant leur efficacité réelle...

6.2. Effets sur les niveaux

Dancer et al. [164] ont étudié l’efficacité de certains protecteurs auditifs dans le cas d’un environnement militaire, abordant, entre autres, le problème de l’exposition impulsionnelle. Le comportement des protecteurs a été évalué pour des niveaux crêtes de 150 dB, 170 dB et 190 dB, certains se comportant linéairement (aucune variation de l’atténuation avec l’augmentation des niveaux crêtes) et d’autres non-linéairement (l’atténuation augmentant ou diminuant avec le niveau crête). Pour les protecteurs non-linéaires, l’atténuation peut alors augmenter jusqu’à 0,5 dB/dB. On note que certains protecteurs testés permettent l’absence de TTS pour des expositions répétées allant jusqu’à 187 dB crête. En 2008, Berger & Hamery [166] ont testé différents bouchons d’oreille passifs conçus pour offrir une atténuation dépendante du niveau et pour des impulsions dont le niveau crête varie entre 110 dB SPL et 190 dB SPL. Ils trouvent alors une atténuation augmentant en moyenne de 0,3 dB/dB (pour les niveaux crêtes). En 2012, Murphy et al. [163] ont mesuré l’IPIL3 pour

4 casques anti-bruits et pour un type d’arme à feu donné (Colt AR-15). Pour chacun des

1Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis : recherches en défense et sécurité.

2 VEMP (Vestibular Evoked Myogenic Potential) : Potentiels Evoqués Vestibulaires Myogéniques. Les VEMP correspondent aux réflexes sacculo-colliques enregistrés en réponse à une stimulation acoustique. Ils peuvent être utilisés en complément de l’audiogramme ou d’autres méthodes de diagnostic de l’audition.

casques, ils trouvent alors des IPIL (1) supérieurs aux NRR1 annoncés par les fabricants ;

(2) augmentant avec le niveau crête d’exposition (130 dB, 150 dB et 170 dB). Si ces résultats demeurent spécifiques à un type de bruit donné (il serait nécessaire de vérifier par exemple la dépendance fréquentielle de ceux-ci), ils confirment le comportement souvent non-linéaire des protecteurs. Evaluant l’efficacité de double-protecteurs (bouchon d’oreilles + serre-tête anti-bruit) pour des impulsions générées par 3 types d’armes ou explosifs (de niveaux crêtes de 165 dB, 172 dB et 178 dB pour des durées A respectives de 0,2 ms, <5 ms et >5 ms) sur des sujets humains2, Toppila & Starck [167] constatent que l’atténuation

dépend (1) des protecteurs ; (2) de la source. On observe alors pour 5 combinaisons différentes des atténuations allant de 5 dB à 25 dB3. Pour une protection donnée,

l’atténuation n’étant pas clairement corrélée à la durée ou au niveau crête, ils en déduisent une influence du spectre sur celle-ci, confirmant que le choix (optimal) d’un protecteur doit dépendre de la source acoustique. La relation entre la source acoustique et l’atténuation du niveau crête (et de la modification de la forme temporelle) a d’ailleurs été mise en évidence par Ylikoski et al. [168]. L’efficacité du serre-tête anti-bruit utilisé par l’armée finlandaise a été évaluée pour différents types d’armes et, si pour les petits calibres la réduction du niveau crête est de quasiment 30 dB, elle chute à 4 dB pour un canon 130mm. La superposition des pressions acoustiques à l’extérieur et l’intérieur du serre-tête montre d’ailleurs bien ce phénomène (cf. figure 5). Ainsi, si des travailleurs sont soumis à des impulsions de forts niveaux, et donc portent des protecteurs, l’efficacité de ces derniers étant dépendante de la source, les dommages potentiels ne sont pas forcément complètement éliminés par le port de protections...

6.3. Effets sur la forme et la durée

En 2007, Zera & Mlynski [169] ont évalué l’atténuation de 32 modèles de serre-têtes anti- bruit pour des impulsions allant de 150 dB SPL à 170 dB SPL. Ils ont alors montré que l’atténuation semblait plus liée à la modification de la durée de l’impulsion (le contenu basse- fréquence augmentant) qu’au niveau crête lui-même. Ce point est intéressant, car il met en lumière l’impact de la durée (ou du spectre) sur l’efficacité du protecteur. Un autre point, peut-être plus important lorsqu’il s’agit de la prévention, est l’effet du serre-tête anti-bruit sur la durée et le temps de montée de l’impulsion (et non l’impact des propriétés de l’impulsion sur l’efficacité du protecteur). En accord avec les résultats de Pekkarinen et al. [170], les protecteurs, via un phénomène de filtrage passe-bas, engendrent une augmentation du temps de montée (ce qui peut être vu comme un aspect positif étant donné que l’on sait que la dangerosité des bruits impulsionnels est en partie liée à la soudaineté de ceux-ci) et la durée (A, C ou D). Les données de Mlynski & Gorski [171] montrent également une augmentation de la durée C de l’impulsion sous protecteur. On trouve un certain nombre de mesures en champ libre et sous serre-tête (avec atténuation active4 ou passive) dans le

rapport de Parmentier & Kronenberger [172] concernant l’étude de protecteurs auditifs pour des bruits impulsionnels. En plus de la réduction des niveaux crêtes et équivalents, l’impact du protecteur sur la forme de l’onde est clair (ce qui est logique, l’atténuation induite par les protecteurs dépendant de la fréquence et du niveau). Mais si cela va en général augmenter le temps de montée, dans certains cas cette altération de la forme de l’onde peut également engendrer la présence d’une seconde impulsion dont l’amplitude peut égaler voire dépasser celle de l’impulsion initiale (après atténuation des niveaux). Ce point est d’ailleurs noté par

1Noise Reduction Rating - Indice de réduction du bruit.

2Ces sujets étaient des militaires volontaires considérés comme étant spécialement résistants aux NIHL, aucune perte n’ayant été observée chez eux malgré des années d’exposition au bruit. Aucune différence n’a été observée entre les seuils d’audition pré et post tests.

3 On note que cela signifie que dans certaines conditions les sujets ont été exposés à des niveaux crêtes allant jusqu’à 170 dB...

Smoorenburg & Bronkhorst [173] qui fournissent deux exemples de changements radicaux de forme (allant parfois jusqu’à l’absence de forme impulsionnelle sous protecteur - cf. figure 6) et confirmant que considérer uniquement les niveaux crêtes sous protecteur afin d’estimer la protection des travailleurs soumis à des bruits impulsionnels de forts niveaux peut s’avérer incomplet... Sans parler de l’impact de l’angle d’incidence sur l’efficacité des serre-têtes anti-bruit1 (Hagerman et al. [174])...

Figure 5. Pression acoustique à l’extérieur (trait noir) et à l’intérieur (trait bleu) d’un serre-tête anti-bruit pour un tir de fusil (en haut) et un tir de canon (en bas).

Figure 6. Forme d’onde d’une explosion (en haut à gauche) en champ libre (en bas à gauche) sous un serre-tête Peltor H7A. Forme d’onde d’un impact (en haut à droite) en champ libre (en bas à droite)

sous un serre-tête Peltor H7A.

6.4. Discussion

Lors d’une étude épidémiologique effectuée dans des forges américaines en 2007 (Brueck et al. [175]), les niveaux d’exposition mesurés1 dépassent généralement les seuils légaux, les

niveaux crêtes pouvant atteindre 150 dB(A). Le port des protecteurs individuels est donc imposé. Malgré tout, des pertes auditives sont reportées chez 65 % des travailleurs. Plusieurs hypothèses sont à envisager : soit les niveaux règlementaires sous-estiment la dangerosité des bruits impulsionnels ; soit les protections sont inadaptées ; soit celles-ci sont mal portées ; soit il est nécessaire d’approfondir les connaissances concernant les effets des protecteurs sur les propriétés des bruits impulsionnels et agir en conséquence (réduction des VLE?). Zera & Mlynski [176] abondent d’ailleurs dans ce sens, rappelant que les critères dommages/risques (au-delà du fait qu’ils paraissent inadaptés à l’estimation des risques pour les bruits impulsionnels) se basent sur des expositions en champ libre. Or, aujourd’hui, les personnes exposées à des niveaux élevés travaillent généralement avec des protections auditives. Même si ces dernières sont prises en compte via l’APV2 et que, pour les bruits

impulsionnels, la distribution fréquentielle est considérée via un facteur correctif dépendant du type de bruit3 (Norme NF EN 458 – Annexe B [177]), on ignore les changements de propriétés du signal sous protecteurs : augmentation du temps de montée, augmentation de la durée, etc. confirmant la nécessité de prendre en considération l’effet des protecteurs via d’autres critères que les niveaux crête et équivalent. De plus, l’impact du spectre sur l’efficacité des protecteurs est également important. Les données utilisées pour l’estimation des dommages semblent donc incorrectes car considérées à la source, et non au niveau de l’oreille. Ceci pose la question de la protection réelle des travailleurs et de la validité des critères de prévention, l’efficacité étant dépendante des propriétés de la source et de celles du protecteur lui-même.

1Trois types de limites et de mesures sont présentés dans cette étude : NIOSH REL (Recommended Exposure Limits), OSHA AL (Action Levels), OSHA PEL (Permissible Exposure Limits).

2 APV : Assumed Protection Value – Valeur de protection supposée.

3 Les sources impulsionnelles (militaires ou industrielles) pouvant être récurrentes dans leurs propriétés, quatre catégories génériques ont été suggérées dès la fin des années 90 (Smoorenburg & Bronkhorst [173], Smeatham & Wheeler [116]) afin de pouvoir prédire l’efficacité d’un protecteur en fonction de ladite catégorie. La faiblesse de cette classification est qu’elle nécessite nécessairement de connaitre la source. Mais elle pourrait permettre de prédire l’atténuation des niveaux crêtes via les valeurs HML (cf. Norme NF EN 458 – Annexe B [177]), indiquées par les fabricants pour les bruits continus et en fonction de la catégorie.

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