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CHAPITRE IV : LES TROUBLES DU LANGAGE

2. CARACTERISTIQUES DES ENFANTS IDENTIFIES COMME LATE TALKERS

2.2. Prosodie

2.2.1. Pertinence de l’évaluation de la prosodie chez les Late Talkers

Si les compétences phonologiques des LT sont largement documentées, les habiletés prosodiques de ces enfants, alors qu’elles font partie intégrante de la phonologie et de la phonétique, n’ont malheureusement été que très peu étudiées. Pourtant, comme nous l’avons vu, la compréhension et la maîtrise de la prosodie et de l’intonation tiennent une place importante dans le développement du langage et de la communication. Il n’est donc

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pas étonnant que différents travaux de recherches montrent des déficits dans ces domaines chez les enfants porteurs d’un TDL. Aussi, il est probable que les LT soient en difficulté sur ces points. Cette piste constitue un réel enjeu clinique dans la mesure où la prosodie est impliquée dans l’acquisition du lexique et de la syntaxe, ces deux aspects langagiers faisant justement défaut chez les LT.

La recherche de prédicteurs non linguistiques, et notamment prosodiques, s’avère pertinente pour au moins deux raisons que Cristia, Seidl, Junge, Soderstrom et Hagoort (2014) exposent dans leur revue systématique. Ce travail tend à comparer différents prédicteurs du développement langagier à travers la méta-analyse d’études portant sur des enfants âgés de quatre à douze mois. Premièrement, il met en exergue que les mesures de la perception de la parole du tout-petit (à travers la discrimination des sons de la parole, la reconnaissance des contours des mots et la prosodie) permettent de prédire la taille du vocabulaire à vingt-quatre mois, et ce au même titre que des mesures habituelles considérées comme spécifiquement linguistiques. Deuxièmement, il ressort de la revue systématique que les mesures linguistiques majoritairement utilisées sont perfectibles, ce qui pourrait enjoindre les chercheurs et les cliniciens à utiliser davantage les capacités de perception de la parole des tout-petits. En effet, les mesures analysées ne sont pas strictement spécifiques du langage mais évaluent également les fonctions cognitives générales ou les habiletés auditives. L’élaboration de mesures pures du développement langagier, exemptes de tout facteur externe, est à ce jour difficile. Néanmoins, les auteurs postulent que les mesures non linguistiques permettent de mieux circonscrire les connaissances de l’enfant sur la langue, celles-ci étant acquises dans le bain de langage de la première année de vie. Ainsi, l’utilisation de ces mesures aiderait à établir des prédicteurs qualitatifs et quantitatifs plus fiables. Chez les LT, ceux-ci pourraient permettre de distinguer précocement les LT et les LB là où des mesures plus classiques ne permettent pas de le faire.

2.2.2. Déficits observés

Pendant des années, la relative préservation de la prosodie a constitué une base de diagnostic différentiel entre les TDL et les troubles autistiques. Si une monotonie très prononcée est caractéristique du discours d’un certain nombre d’enfants porteurs d’autisme, des altérations plus subtiles sont également observables chez les enfants TDL (Gerken et

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Mcgregor, 1998). Marshall, Harcourt‐Brown, Ramus et Van der Lely (2009) étudient les compétences prosodiques d’enfants porteurs d’un TDL âgés de dix à quatorze ans. Afin de les évaluer, différentes tâches sont proposées : certaines portent sur la prosodie de mots isolés, d’autres sur des mots en contexte faisant intervenir la syntaxe et la pragmatique. Trois modalités sont investiguées, à savoir la discrimination, l’imitation et la production spontanée. Les épreuves évaluent notamment l’utilisation de l’emphase pour indiquer le mot important dans la phrase, l’imitation des contours intonatifs d’une phrase, le choix de l’item le plus accentué dans une liste de mots ou encore la discrimination de limites intonatives correspondant à des phrases syntaxiques. Compte tenu des performances obtenues par le groupe contrôle, il apparaît que les enfants TDL sont particulièrement en difficulté lorsque la prosodie est utilisée en contexte. Ils ne semblent pas envisager la prosodie comme un moyen de résoudre une ambiguïté syntaxique ou pragmatique dans un énoncé. En revanche, lorsque la prosodie est testée pour elle-même, c’est-à-dire dans des items isolés ne mettant pas en jeu la syntaxe ou la pragmatique, les enfants sont capables de la comprendre et la produire de manière tout à fait satisfaisante. Cette étude semble donc rapporter un déficit des habiletés prosodiques uniquement lorsque celles-ci entrent en interaction avec d’autres composantes langagières.

Chez des enfants plus jeunes âgés de quatre à six ans identifiés comme LT à l’âge préscolaire, Van der Meulen, Janssen et Den Os (1997) distinguent la prosodie linguistique et la prosodie émotionnelle. Afin de procéder à leur évaluation sur le versant expressif, les auteurs proposent une épreuve d’imitation prosodique et émotionnelle au moyen de répétitions de phrases. Concernant le versant réceptif, les enfants ont pour consigne de désigner le dessin correspondant à l’émotion exprimée dans des énoncés entendus (joie, tristesse, colère ou peur). Les scores mettent en évidence des difficultés dans l’imitation de la prosodie linguistique et émotionnelle chez les LT, tandis que les habiletés de discrimination sont comparables à celles de leurs pairs tout-venants. Les auteurs émettent toutefois des réserves quant à ces observations, les tâches proposées mettant en jeu la prosodie mais aussi le langage. En effet, au-delà de l’aspect prosodique, l’épreuve d’imitation nécessite de traiter le matériel linguistique afin de répéter la phrase. Il se peut que ce dernier point ait été particulièrement coûteux pour les LT, se répercutant sur leurs performances. Van der Meulen et al. observent par ailleurs une amélioration des compétences de discrimination et d’imitation entre quatre et six ans mais mettent en garde contre de probables difficultés mnésiques qui semblent entacher les scores. En effet, au

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cours des tâches d’imitation, les enfants échouent sur la reproduction de la prosodie mais également sur la répétition des phrases, celles-ci comportant fréquemment des omissions. Ce constat fait écho à des travaux plus récents qui étudient l’implication de la mémoire auditive dans le déficit de perception prosodique de la parole en lien avec les capacités de segmentation et d’organisation séquentielle (Le Normand, 2009). D’autres attestent du rôle important de la prosodie dans l’organisation des énoncés, aidant à la compréhension et à la rétention de ces derniers (Frazier, Carlson et Clifton, 2006).

Weinert (1992) s’est intéressée à la capacité de sujets TDL à extraire les indices fournis par la prosodie afin de traiter les énoncés syntaxiques. Deux groupes d’enfants porteurs d’un TDL ont ainsi été constitués. Le premier groupe a suivi des sessions au cours desquelles il était exposé à des phrases énoncées avec une prosodie normale. Le deuxième groupe a également suivi ces sessions mais les phrases étaient cette fois-ci exemptes de toute prosodie ou intonation. L’objectif est de déterminer si la prosodie facilite l’acquisition implicite de régularités syntaxiques chez ces enfants, comme c’est le cas chez les enfants tout-venants. Les scores aux évaluations post-sessions montrent que les deux groupes échouent de la même façon. L’absence d’avantage du groupe ayant bénéficié de la prosodie semble attester que les enfants TDL sont en incapacité de traiter celle-ci comme un système d’indices permettant d’acquérir les aspects formels du langage tels que la syntaxe.