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LA FORME, SON CADRE D’ÉMERGENCE ET SES PROPRIÉTÉS ASPECTUELLES ET SPATIALES

LES CONCEPTIONS DOMINANTES DE LA FORME

2.3.3 Propriété sémantique

La propriété sémantique défi nit le « rapport des symboles aux objets qu’ils signifi ent ou dénotent » (Nadeau, 1999 : 639), un rapport qui s’exerce par le biais d’une fonc- tion de référence. Agissant comme un pointeur, cette fonction est incarnée dans la tradition sémiotique par ce que l’on nomme généralement l’iconicité. L’iconique iconicitéiconicité

9. Bien que les procédures détaillées soient plus nombreuses, Uttal organise les chapitres de son ouvrage sur cette base.

constitue donc l’articulation de cette ressemblance d’une forme avec autre chose, se substituant à elle en son absence. Mais le facteur de ressemblance est une notion très vague en ce qui concerne les images. On a tenté à maintes reprises d’en classifi er les degrés. Umberto Eco (1997), par exemple, distingue les icônes – signes à valeur indicielle, faisant penser à quelque chose – des hypoicônes. Telle une représentation hyperréaliste, ces derniers seraient des doubles absolus, dont l’exemple ultime est l’image réfl échie dans un miroir parfait. Le problème des hypoicônes, c’est que l’on ne sait plus s’il s’agit d’un signe tellement l’occurrence sémiotique et le type coexis- tent (le « référent » se trouvant juxtaposé à la surface réfl échissante, et le support de l’image refl étée ne pouvant être utilisé pour « déformer » la réalité comme on a l’ha- bitude de l’observer dans la majorité des modes de représentation).

En général, l’iconique est ce qui investit une forme de sa signifi cation. Toutefois, concevoir la forme en tant qu’objet signifi ant, dans le langage visuel particulière- ment, c’est se buter continuellement à la dualité iconique et plastique. Un exemple frappant de cette ambivalence a été illustré, non sans humour, dans un fi lm québé- cois récent. Subissant un test de Rorschach, le personnage de Julien Poulin (Elvis

Gratton II : Miracle à Memphis – 1999) ne peut faire autrement que de décoder les Gratton II : Miracle à Memphis

Gratton II : Miracle à Memphis

propositions formelles comme étant des « taches », des « grosses taches » et des « petites taches ». Il n’arrive à les lire qu’à leur niveau plastique. Cet exemple vise simplement à révéler les modalités interprétatives incontournables qui accompagnent tout plan de l’expression. Revoyons-les en regard de leur distribution sur l’axe de notre schéma. Lorsque le référent pointé est extérieur à la forme perçue, comme c’est souvent le cas dans tout ce qu’on entend par « image », la forme est alors considérée comme support du message, opérant une re-présentation de la chose. Mais lorsque le référent pointé se trouve être hic et nunc, celui de la présentation en soi, l’interprétation procède hic et nunchic et nunc

d’une modalité complètement différente. Doit-on maintenir cette distinction entre les types de signifi cation ? Eco, que nous citions un peu plus haut, ne le croit pas puisqu’il considérerait la présence de modalités Alpha et AlphaAlpha Bêta dans le processus BêtaBêta

sémiosique (Eco, 1997 : 345-406). Le première modalité correspond à voir l’icône représentant naturellement la scène, oubliant la fonction référentielle et « sautant directement » au contenu. La seconde équivaut à la conscience de se trouver face à une fonction sémiotique (on perçoit le travail de monstration dans l’image).

Il est bien évident que, quelles que soient les circonstances, il nous faut d’abord perce- voir la substance de l’expression. Mais dans la modalité Alpha, la substance est perçue comme forme avant même que cette forme ne soit reconnue comme forme d’expression. On ne reconnaît qu’une “figure du monde”, comme dirait Greimas. Dans la modalité Bêta en revanche, il est nécessaire d’interpréter la forme d’une expression pour pouvoir l’identifier. (Eco, 1997 : 393)

Un groupe de recherche sémiotique danois (Center for Semiotics de l’Université Aarhus) Center for Semiotics de l’Université AarhusCenter for Semiotics de l’Université Aarhus

s’est aussi penché sur la question en développant un modèle dynamique de l’interpré- tation et en nuançant la préséance de la substance comme l’affi rme Eco. Østergaard et Brandt (1996), dans The dynamics of aesthetics, défi nissent de deux manières le parcours entre présentation et re-présentation face à une proposition visuelle : soit on retarde la fi guration au profi t d’une lecture plastique (le regard vagabonde) jusqu’au point où une décision diffi cilement renversable sera prise sur le contenu représenta- tionnel (rupture du processus d’inférence et stabilisation du sens); soit la dimension représentationnelle s’impose de soi (je comprends en premier de quoi il s’agit) et le mode présentationnel surgit après coup (ma conscience devient préoccupée par la facture visuelle).

Peu importe le sens du parcours, on constate que les deux niveaux de signifi cation demeurent présents. Du fait des frontières imprécises qui séparent les deux avenues, on devra chaque fois être rigoureux dans les exemples utilisés pour exprimer une position théorique concernant cette problématique. Et Eco de souligner :

Dans l’enthousiasme de la polémique [l’auteur parle du débat sur l’iconicité], qui n’a jamais complètement disparu, on a négligé, et peut-être néglige-t-on encore aujourd’hui, d’identi- fier dans chaque cas (selon les individus, les cultures, les circonstances et les contextes) le seuil séparant les deux modalités et d’en reconnaître la nature fuzzy. (Eco, 1997 : 403) À propos de l’impact de cette propriété sur les confi gurations des formes, signalons que la reconnaissance de référents au sein d’une représentation révèle l’importance des isomorphismes. La forme dans l’image perçue est éminemment similaire à la forme du référent, sans quoi le lien ne se ferait pas. Il y a donc un quelconque trans- fert de certaines qualités précises, même si l’on n’arrive pas à dire dans quel sens s’effectue ce passage.