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À PROPOS D’UN FILM À FAIRE SUR LE MÉTRO

Dans le document Tamis lyrique (Page 104-115)

Je venais de réléchir à la notion de circulation comme articulation intéressante pour nouer quels points sur lesquels je travaillais (si je me souviens bien, en méditant l’exemple des grafiti et promenades de Restif de la Bretonne sur l’Ile-Saint-Louis), quand, me retrouvant à prendre le métro, je fus saisie en jetant un œil à travers la vitre de la rame par une afiche publicitaire très spectaculaire représentant une scène de bataille en costumes d’époques selon un modèle pictural du tableau d’histoire dont l’effet évoquait aussi l’esthétique ultra-réaliste de certains jeux vidéo. Le slogan indiquait : « L’histoire n’attend que vous ». Station Charonne... À la station suivante, l’afiche qui était dans mon champ de vision annonçait par l’agrandissement d’un portrait peint une exposition « Napoléon et Paris ». Intriguée du surgissement si fort – dans ma perception – de l’Histoire dans les afiches du métro parisien, je commençais à occuper mes trajets à une étude des images et des slogans, et à les collecter photographiquement.

Parc d’attractions, grands magasins et enseignes marchandes sur internet, médias (presse, radio), ilms, concerts, alcools, armées de l’air, de terre, de mer, expositions, séries télé, campagnes civiques contre le racisme et pour le tri des déchets. Banques, assurances. Empire du burger et royaume du biscuit et des conitures. Peu de parfums, pas de voitures (mauvaise « cible » que les usagers du métro), pas de lessives ni dentifrices. La publicité de ces différentes marchandises luxueuses ou hygiéniques est réservée au genre du spot télévisuel dans la hiérarchie du marketing. Mais dans le métro, c’est l’invitation au voyage : voyages, voyages partout tout le temps. Billets d’avion, billets de train. Vous pouviez lire dans le métro « Avec TGV, l’Europe c’est la porte à côté pour 29 euros » le jour où la photo d’un petit garçon syrien d’origine kurde mort noyé et échoué sur une plage turque faisait le tour du monde comme on dit.

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Des militants anti-pub, anti-capitalistes, ou autres, se chargent régulièrement d’actions : tags, détournements de slogans, caviardages, recouvrements, remplacements, arrachages pur et simple de tout ou partie d’afiches. Il y a là une guerre souterraine des propagandes, des batailles de David contre Goliath, au gré des événements à la surface du globe. Par exemple, sur les deux quais d’une ligne à la station Bastille, les emplacements publicitaires, tous consacrés in novembre 2015 à promouvoir la COP21, furent intégralement détournés pour en dénoncer la farce. Le métro parisien est un prototype très eficace (il reste structurellement et même plastiquement quasiment inchangé depuis plus d’un siècle) du couplage capitaliste des voies de l’ingénierie et de la communication. Les galeries du chemin de fer électrisé du

Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, Paris, Cerf, 1989, p. 109.

métropolitain sont des artères publicitaires 1. Nous avons eu depuis les « autoroutes de l’information » et désormais les smart grids, ou « réseaux intelligents ». Dès le milieu du XIXe siècle, les prémonitions d’un chemin de fer souterrain à Paris le vouaient à la marchandise 2.

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Au moment de commencer ce travail dans le métro, j’avais en tête depuis près d’un an que c’est par des tableaux parisiens, tel que mon image du Pont-Neuf de 2006, que je pourrais trouver une des formes possibles à mes investigations sur les limbes, en retrouvant la référence baudelairienne aux limbes que j’avais d’abord cherché à écarter. Mais je ne me satisfaisais pas d’accomplir un ensemble de photographies de Paris. J’envisageais d’emblée les limites d’images procédant d’une idéalisation et qui paraîtraient a priori (elles ne le sont pas) un peu lisses, lointaines, inactuelles, belles. Il me fallait un contrepoint, un mouvement dialectique vers une brutalité de la matière. J’ai rapidement assimilé les trajets en métro à une descente aux enfers. Je n’étais pas la première à le faire, et j’ai pu vériier que c’est évidemment un lieu commun, mais je l’ai retrouvé par ma propre expérience, mon cheminement, ma rélexion. Ce que j’ai envie de désigner comme étant une allégorie réelle n’a pas échappé à Walter Benjamin, en particulier dans une note de son archive sur les Passages parisiens (voir ci-contre). On peut aussi en déceler des images allusives dans un poème de Jules Romains, le « Poème du métropolitain », un texte publié en 1905, composé de dix sections en prose et d’une onzième en vers libres 3. La Vie unanime parut en 1908. Dans une seconde préface, en 1925, Romains revendiqua comme « principale audace » de la poésie unanimiste de sa jeunesse qu’elle ait « fondé un lyrisme objectif d’essence spirituelle 4 ». En 1906, il écrivait déjà :

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1. Et ce semble-t-il dès l’ouverture de la première ligne en 1900, à la grande époque de l’Art nouveau, à propos duquel Benjamin remarquait : « Avec le modern style s’effectue pour la première fois l’intégration du corps humain dans la publicité. » (Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des Passages, Paris, Cerf, 1989, p. 204).

2. Voir W. Benjamin, op. cit, p. 118, et E. Zola dans Le Ventre de Paris [1875], au chapitre IV.

3. Jules Romains, « Poème du métropolitain », Revue littéraire de Paris et de Champagne, 3ème année, n°27, juin 1905, p. 405-410. Le poème de J. Romains est directement précédé de la deuxième livraison d’un essai (« De l’esprit dialectique ») de l’écrivain anarchiste Mécislas Golberg, à qui la revue avait consacré en mars 1905 un numéro-hommage.

4. Jules Romains, « Préface de 1925 », La Vie unanime, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1983, p. 34. Romains précise immédiatement : « Je m’excuse de cette cascade de mots pédants : ils sont encore plus simple qu’une longue périphrase. »

5. Jules Romains, « Réponse à une enquête », Revue littéraire de Paris et de Champagne, avril 1906, repris dans op. cit., p. 249.

Walker Evans, dernière image de son livre Many Are Called, 1966.

Note du 18 juin 2016

Il y aurait une lecture croisée à faire entre le livre Many Are Called de Walker Evans et le dernier chapitre de Description de l’homme de Hans Blumenberg, « Variations de la visibilité ». Le livre de Evans rassemble 93 portraits anonymes (plus la dernière image, ci-dessus) réalisés entre 1938 et 1941 dans le métro de New York avec un appareil photo caché. Le titre renvoit instantanément au thème du Jugement chrétien.

Hors, dans le chapitre mentionné, Blumenberg décortique les rapports de la visibilité (« optique passive ») au jugement (en distinguant au passage le « jugement particulier » – apparition tardive selon lui dans la théologie chrétienne – du « tribunal charnel inal de l’histoire »), via la nomination et l’appel : « Appelé par son nom, celui qui est caché prend réellement conscience d’être atteignable en tant que celui qui n’a pas pu se défaire de sa visibilité en se soustrayant au regard. » Après un long commentaire sur la chair (Leib) chez Husserl, Blumenberg propose des développements sur le visage et le regard.

Il faudrait peut-être partir d’une comparaison entre la dernière scène des Lumières de la ville de Chaplin mentionnée par James Agee dans sa brève introduction au livre d’Evans (Charlot se percevant dans le regard de la jeune femme aveugle ayant recouvré la vue grâce à lui et qui, après s’être moqué de lui à travers la vitrine, ne le reconnaît qu’en lui prenant la main, parce qu’elle ne pouvait l’imaginer que comme un homme très riche) et un passage des Souvenirs d’égotisme de Stendhal commenté par Blumenberg (Stendhal fait la connaissance d’une jeune femme dans le salon de Mme Cabanis. Il écrit : « Si j’eusse eu la prudence de lui faire comprendre que je l’aimais, elle en eût probablement été bien aise. Le fait est que je ne l’aimais pas assez pour oublier que je ne suis pas beau. Elle l’avait oublié. » Blumenberg commente (p. 778) : « Le sujet dont la perception représentait tout pour lui ne lui sufisait pas pour s’assurer de l’insigniiance de son “apparaître“. » )

Sans chercher à afirmer que le livre d’Evans est une parfaite illustration de l’anthropologie phénoménologique à laquelle Blumenberg travaillait, il faudrait étudier comment il donne à voir les concepts et leurs ambiguïtés soulevés et présentés ensemble par Blumenberg dans ce chapitre. Pour défaire ce qui pourrait trop s’apparenter à un plaquage illustratif réciproque, on pourrait ajouter à cette combinaison de lectures le texte « Caractère et destin » de Walter Benjamin.

Mes pérégrinations dans le métro devinrent une façon de m’essayer littéralement à ce que dans son « Discours sur la poésie lyrique et la société » Adorno avançait : « Il y a au fond de tout lyrisme individuel un courant souterrain collectif. »

Au degré moins un de la culture, les afiches charrient des débris conisqués de la poésie moderne : alcools, saisons, châteaux... Et beaucoup de leurs.

L’apogée du capitalisme n’en init pas.

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Michel de Certeau entame ainsi le chapitre intitulé « Récits d’espace » dans le premier tome de L’invention du quotidien :

Dans le Paris d’aujourd’hui, vous pouvez, en attendant une métaphore, lire sur le quai du métro : « Station suivante / La Grèce authentique / Être différent ! Vivre, sentir, goûter le meilleur de la mer Égée en croisières de 3, 4 ou 7 jours ! À partir de 253 euros par personne. » Le tarif des passeurs de migrants est plus salé.

FILM « METRO »

SEQUENCE Joyce / Machine à laver / Noyés

BANDE SON

PISTE 1 : Son d’une machine à laver en fonctionnement (en continu toute la séquence) PISTE 2 : Lecture en français d’un extrait du chapitre 3 d’Ulysse de James Joyce

- « Saint Ambroise les entendit...»

1. NOIR

2.

3.

- « Cinq brasses plus au large...» PISTE 3 : « Full Fathom Five » – Ariel’s song dans The Tempest de Shakespeare) – chanté par Alfred Deller (en simultané avec la piste 2, jusqu’à « On l’a. Tout doux ») - « Un cadavre remontant blanc de sel...»

- «...à la face du soleil »

Partition de la chanson d’Ariel « Full Fathom Five » dans The Tempest de Shakespeare, composée par Robert Johnson. Manuscrit conservé à la Folger Shakespeare Library

4. NOIR

5.

- « Une déferlante de changement...» - « Mort en mer »

- «...la plus douce de toutes les morts...»

- « Vieux Père Océan »

- « Prix de Paris »

- «...imitations »

7. 8. NOIR 9. 10. 11. 12. 13. NOIR

Dans le document Tamis lyrique (Page 104-115)