autorité en tant que théoricien de la peinture. En outre sont précisés les
destinataires de l’ouvrage. Avant tout faite pour servir aux apprentis
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130 Anaïs Carvalho
artistes qui ne parlent et ne lisent pas le français, la traduction se
rend aussi utile aux connaisseurs. L’avant-propos révèle justement
que la réalisation de cette version allemande duCours de peinture a
été entreprise par l’éditeur Johann Gottfried Dyck (1715-1762) suite
aux sollicitations d’un «Freundes der Kunst
1». Connaisseurs, artistes
ou amateurs, les amis de l’art sont alors nombreux en Saxe attirés
par le lustre de la cour des Auguste de Dresde et de ses collections
princières ainsi que par le dynamisme de Leipzig. Car la capitale
éco-nomique abrite également de grandes collections privées comme celle
de la famille Richter mais aussi une importante université et l’école
de dessin dirigée par Adam Friedrich Oeser (1717-1799). Durant les
décennies 1750 et 1760, se côtoient à Leipzig les principaux acteurs de
l’actualité artistique allemande qui, pour la plupart, entretiennent des
liens étroits avec la France : Johann Christoph Gottsched (1700-1766),
Carl Heinrich von Heineken (1707-1791), Christian Ludwig von
Hage-dorn (1712-1780), Johann Jacob Winckelmann (1717-1768), Johann
Georg Wille (1715-1808), Francesco Algarotti (1712-1764), Christian
Ludolph Reinhold (1737/1739-1791) ou encore Johann Wolfgang
von Goethe (1749-1832). Comme le manifestent leurs publications, la
théorie de l’art depilesienne est au cœur des discussions portant sur
l’analyse de la peinture et sert de base de réflexion pour la mise en
place du vocabulaire artistique allemand. À ce titre, les traductions
des textes du théoricien français sont activement recherchées par ces
érudits de l’art ; la correspondance entre Hagedorn et Friedrich Nicolai
(1733-1811) en témoigne
2.
Leipzig est de plus l’une des places fortes du marché du livre. Vers
Copenhague, Amsterdam et Paris, les éditeurs lipsiens tissent un réseau
tentaculaire. L’un des meilleurs témoins de l’activité éditoriale de
l’époque est la parution de laBibliothek der schönen Wissenschaften und
freyen Künste
3. Publié par Dyck, ce périodique rassemble
transcrip-tions et recensions pour renseigner ses lecteurs sur l’actualité littéraire
allemande mais aussi française et italienne. L’éditeur de l’Einleitung
est donc on ne peut plus au fait des nouveautés littéraires. Sa maison
d’édition publiera d’ailleurs dans les années qui suivent des textes
1. Ibid., p. 2.
2. Par exemple dans les lettres du 26 août 1758 et du 28 janvier 1759,Briefe über
die Kunst von und an Christian Ludwig von Hagedorn, éd. par Torkel Baden, Leipzig,
Weidmann, 1797, p. 250, 254.
3. Bibliothek der schönen Wissenschaften und der freyen Künste, éd. par Friedrich
Nicolai et Moses Mendelssohn, Leipzig, Dyck, 1757-1765.
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Roger De Piles et l’Allemagne : la diffusion par la traduction 131
particulièrement importants pour l’histoire de l’art
1. Une recension
sur l’Einleitung paraît dans laBibliothek der schönen Wissenschaften und
freyen Künste
2. Elle souligne la qualité et l’importance de cette
tra-duction et, si elle n’apporte pas d’éléments d’identification de son
instigateur, elle nous apprend que la rareté du livre de De Piles rend sa
publication allemande d’autant plus indispensable. En effet au même
moment en France, les textes de De Piles font l’objet de grands projets
de rééditions menés par Jombert.
La qualité de la version de 1760 est liée au profil du traducteur qui,
cette fois, est un philologue issu du milieu universitaire. Georg Heinrich
Martini
3(1722-1794) est professeur de linguistique à l’université de
Leipzig. Il y rencontre Johann Friedrich Christ (1700-1756), connu
notamment pour son travail sur la biographie de Cranach (1472-1553)
et aussi pour son rôle de conseiller auprès de Johann Zacharias Richter
(1696-1764), le fondateur de la célèbre collection lipsienne. La curiosité
artistique de Martini peut être esquissée grâce à ses traductions et à
ses publications. De 1761 jusqu’à son décès, il est l’auteur d’une petite
trentaine d’ouvrages rédigés en latin et allemand, principalement des
essais et des commentaires critiques portant sur la littérature, l’histoire
et la musique de l’Antiquité, et aussi sur la façon de les enseigner
4.
Après 1765, il collabore aussi en tant que contributeur à la revueNeue
Bibliohek der schönen Wissenschaften und freyen Künste. Sans être un
expert de la peinture, Martini possède donc un savoir large dans le
domaine artistique, fondé essentiellement sur sa culture littéraire.
La traduction duCours de peinturequ’il réalise est plus fidèle à sa
source que les précédentes. Le frontispice de l’Einleitung (fig. 9, p. 132)
reproduit celui de l’édition française de 1708. Comme l’édition
origi-nale, l’Einleitungne contient pas de dédicace. Le texte est traduit en
totalité, contrairement à la version du poème de Dufresnoy donnée
par Gericke, et n’est pas amplifié par association avec d’autres auteurs
comme l’Historie und Leben der Mahler. Les rares annotations ajoutées
par Martini ne concernent que des questions terminologiques. Les deux
1. À titre d’exemples : Johann Joachim Winckelmann,Anmerkungen über die
Baukunst der Alten, Leipzig, Dyck, 1762 ; Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville
[Johann Jacob Volkmann], Leben der berühmtesten Maler [...], Leipzig, Dyck,
1767-1768, 4 vol.
2. Bibliothek der schönen Wissenschaften und der freyen Künste, 1761, t. 6, vol. 2,
p. 353-354.
3. Anaïs Carvalho, 2016, p. 159-163.
4. Ibid., p. 458-459.
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Figure 9 –Alliance de Mercure, de la Nature et du Génie, gravure sur
cuivre, in-12, dans Roger De Piles [Georg Heinrich Martini],Einleitung in
die Malerey aus Grundsätzen, Leipzig, Johann Gottfried Dyck, 1760,
frontispice. © Universitätsbibliothek Heidelberg.
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Roger De Piles et l’Allemagne : la diffusion par la traduction 133
Dans le document
Lexicographie artistique : formes, usages et enjeux dans l'Europe moderne
(Page 131-135)