• Aucun résultat trouvé

Le projet d’Union bancaire, condition d’une Union économique 109

§1- Vers l’Union budgétaire

Cependant, malgré ces difficultés structurelles, l’Union bancaire n’est qu’une étape du processus d’approfondissement économique de l’Union européenne. En effet, il est frappant d’observer que ce projet est souvent considéré comme un préalable à la mise en place d’une véritable union économique entre les Etats Membres.

110 Dans son discours sur l’état de l’Union prononcé fin 2012, José-Manuel Barroso, président de la Commission européenne, avançait ainsi qu’ « il est essentiel d'achever l'union économique et monétaire. Nous devons mettre sur pied une union bancaire et une union budgétaire ainsi que les mécanismes institutionnels et politiques que cela suppose ».1

Au sein d’une Union intégrée, les décisions économiques d’un Etat membre ont des conséquences immédiates sur ses voisins. Une gouvernance économique unifiée est donc souhaitable ; elle ne pourra se construire que sur la base d’économies solides et assainies. L’union bancaire intervient alors, tant pour prévenir la réalisation du risque systémique, susceptible de plonger les 27 dans une nouvelle crise, que pour éviter la reformation du lien unissant dettes des banques et dettes souveraines.

Cependant, sans politique budgétaire commune, cette gouvernance économique n’aurait que peu de sens : elle suppose en effet de disposer « de mécanismes efficaces pour prévenir et corriger dans chaque État membre les politiques budgétaires non viables ».2 Après la mise en

place de l’Union bancaire, L’Union budgétaire devrait donc rapidement suivre. Elle permettrait d’envisager plus sérieusement la réalisation de l’un des objectifs à moyen terme de l’Union européenne : l’émission commune de dette.

La réalisation de cet objectif supposerait au préalable la définition d’un cadre budgétaire strict, les moyens de contrôler son respect par les Etats Membres, « en définitive la mise en place, au niveau de la zone euro, d'une instance budgétaire de type ministère des finances. »3

On peut néanmoins se demander si cet ambitieux projet d’union budgétaire, souhaité par José Manuel Barroso, Hermann Von Rompuy, mais également appelé de ses vœux par le Conseil économique et social européen4, verra le jour dans un avenir proche. L’adoption du

1 José Manuel Durão Barroso, Président de la Commission européenne, « Discours sur l'état de l’Union 2012 »,

Session plénière du Parlement européen/Strasbourg, Le 12 septembre 2012

2 « Vers une véritable union économique et monétaire », Rapport présenté par M. Herman Van Rompuy,

président du Conseil européen, Bruxelles, le 26 juin 2012, EUCO 120/12, PRESSE 296

3 « Vers une véritable union économique et monétaire », Herman Van Rompuy, préc.

4 « Rétablir le respect des règles devient de plus en plus indispensable dans la zone euro, car il importe de

favoriser l'union bancaire en s'appuyant sur l'union budgétaire, au moyen d'un mécanisme commun d'émissions de dettes (…) en vue de contrer les cycles générant des chocs asymétriques tels que ceux qui ont frappé plus lourdement les pays de la zone euro ces dernières années », Avis du Comité économique et social européen sur

111 « pacte budgétaire européen »1 , entré en vigueur le 1er Janvier 2013, et qui prévoit une « règle d’or budgétaire » constitue certes un premier pas.

Cependant, les difficultés rencontrées par les Etats membres pour trouver un compromis sur le champ d’application du MSU laissent penser qu’un accord sur l’union budgétaire sera difficile à obtenir. Quel sera son champ d’application ? La seule zone euro semble, à la lumière de la nouvelle ligne directrice du processus d’approfondissement européen que nous avons mise en valeur, la solution la plus probable.

Comme le rappelle la Commission européenne, « les autres éléments à mettre en place pour donner naissance à une véritable union économique et monétaire sont, outre les autres piliers de l’union bancaire (…), un cadre budgétaire intégré (union budgétaire), un cadre de politique économique intégré (union économique) et un renforcement de la dimension démocratique (union politique) ».2 Or, c’est bien cette dimension démocratique qui semble cruellement manquer à l’Union européenne aujourd’hui et sans laquelle un approfondissement plus important semble manquer de pertinence.

§2- Le projet d’Union bancaire, révélateur d’un déficit démocratique européen

Dans le domaine bancaire et financier, l’harmonisation des réglementations par voie de soft law est un processus courant. De l’Organisation Internationale des Commissions de Valeur (OICV) au Groupe d’Action financière (GAFI), en passant par le comité de Bâle, il est fréquent que des organismes internationaux, composés d’experts, établissent un corps de règles reprises par les autorités européennes et nationales, sans que celles-ci disposent d’une réelle marge de manœuvre pour les modifier. Comme le remarque Thierry Bonneau, « on leur fait d’ailleurs comprendre que les normes proposées doivent être reprises en l’état ».3

(…) la « Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil – Une Feuille de route pour une union bancaire » COM(2012) 510 final (2013/C 11/08), JO de l’Union européenne, 15 Janv. 2013, C 11/34

1 Conseil européen, « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et

monétaire », 2 Mars 2012, T/SCG/fr 1

2 Commission européenne, MEMO, « Vers une union bancaire », Bruxelles, le 10 Sept. 2012, MEMO/12/656 3 Thierry Bonneau, « Démocratie et secteur financier », Bull.Joly Bourse, 1er Juill.2012, n°7, p.277

112 Dans la formation de la norme européenne, le recours aux experts est également fréquent, notamment à travers le processus de comitologie. La modification du processus de vote au sein de l’EBA leur confie un rôle encore plus important. Les dispositions proposées par les experts de l’EBA seront désormais considérées comme adoptées, à moins qu’une majorité d’Etats Membres (au sein de laquelle on devra compter un certain nombre de pays n’appartenant pas à la zone MSU) ne les rejette. Le changement de philosophie est frappant : la norme rédigée par le collège d’experts est, par principe, adoptée. Les Etats Membres ne voteront que sur l’opportunité de la renverser.

Certes, l’élargissement rapide de Union européenne a rendu l’élaboration de projets communs plus difficile, la recherche de compromis plus périlleuse, la prise de décision à l’unanimité presque impossible. Le recours aux experts est alors un moyen plus rapide et plus efficace d’approfondir l’intégration. Mais un tel procédé est problématique. Que penser de l’élaboration de la norme juridique par un groupe de personnes dont la légitimité ne procède que de leurs compétences, et non de l’aboutissement d’un processus démocratique ?

Les experts constituant des personnalités indépendantes qui ne représentent pas leurs pays d’origine ils seraient, aux yeux des autorités européennes, mieux à même de prendre en compte l’intérêt supérieur européen. Est-il permis d’en douter ?

En outre, « la démocratie est encore altérée (…) par l’effacement systématique du juge au profit des autorités administratives » 1. L’octroi d’importants pouvoirs de sanction à la BCE le souligne bien. Le projet de règlement MSU ne mentionne d’ailleurs aucune voie de recours…

La proposition de directive sur la résolution des défaillances bancaires va dans le même sens, en confiant aux « autorités de résolution » des pouvoirs extraordinaires, dérogatoires de nombreux droits personnels garantis par l’Union (en premier lieu le droit de propriété), comme du droit commun des sociétés. Les voies de recours contre ses décisions sont, on l’a vu, concrètement privées d’effet.

Le projet d’Union bancaire met ainsi en valeur l’existence d’une « realpolitik européenne », qui fait primer l’impératif d’approfondissement sur le processus démocratique de formation

113 de la norme. A trop vouloir mettre en pratique les théories de Saint-Simon, suivi par Auguste Comte, qui prônaient l’avènement d’un gouvernement de techniciens, l’Europe semble avoir oublié qu’elle ne pourra se construire qu’avec l’assentiment et la contribution des peuples.

114