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l’attente dans une perspective de linguistique textuelle (Thierry Herman, 2016)

L’objectif qu’Herman (2016) poursuit dans son article est « d’établir un panorama » des marques de projection « qui invitent à projeter une suite possible au-delà du cadre […] [de] la phrase », et ce, plus particulièrement dans l’article scientifique (p. 98). En établissant un tel panorama, l’auteur souhaite notamment mettre en lumière des moyens concrets permettant aux scripteurs qui rédigent ce type d’article de « donner des signes pour guider les lecteurs », considérant que cela constitue, selon Hyland (2005), l’une des caractéristiques de l’écriture performante (Hyland, 2005, p. IX, cité dans Herman, 2016, p. 99).

Dans l’introduction de son article, Herman défend le fait que l’énoncé suivant, qui constitue le début d’un paragraphe dans un article scientifique, crée des attentes par rapport aux énoncés subséquents : « Il est important de considérer l’aire de recoupement et de chevauchement de ces trois zones. » (Lebrun, 2015, paragr. 22, citée dans Herman, 2016,

p. 98) Pour défendre son point, l’auteur invoque trois arguments : un argument sémantique, un argument générique et un argument graphique. Le premier d’entre eux soutient plus précisément que l’énoncé présenté suscite des attentes quant aux énoncés qui le suivent parce qu’il contient les termes « important » et « considérer », et que ces derniers appellent au moins deux suites : l’une dans laquelle le scripteur justifierait l’opinion traduite par l’adjectif évaluatif, l’autre dans laquelle il en dirait davantage sur « l’aire de recoupement et de chevauchement » qu’il a invité le lecteur à « considérer » (Herman, 2016, p. 98). Le deuxième argument qu’invoque l’auteur repose sur le fait que dans l’article scientifique, genre reconnu comme étant dominé par l’explicatif ou l’argumentatif, il existe une « norme implicite de justification de tout point de vue avancé par le chercheur » (p. 98). Or, l’énoncé donné en exemple prend place dans ce genre de texte et il exprime un point de vue; il suscite donc chez le lecteur des attentes de justification. Le troisième argument qu’avance Herman pour démontrer que l’énoncé présenté crée des attentes quant à ce qui suit s’articule autour du fait que, dans les textes argumentatifs ou explicatifs, on s’attend généralement à ce que la première phrase d’un paragraphe soit « suivie de détails ou d’arguments » (p. 98). Ainsi, comme l’énoncé présenté apparaît dans un texte qui est globalement argumentatif ou explicatif et qu’il constitue le premier d’un paragraphe, il laisse attendre que les énoncés suivants le détaillent ou l’étayent.

Dans une section subséquente, Herman établit une distinction entre les concepts d’attente et de projection. Pour lui, l’attente renvoie au « processus cognitif [déclenché] par une projection »; la projection, elle, constitue le « lieu langagier par lequel le lecteur peut envisager, avec plus ou moins de certitude, qu’une incomplétude sémantique ou pragmatique inhérente à la marque de projection sera saturée dans l’aval du texte. » (p. 100) En lien avec cette dernière définition, l’auteur ajoute que si cette incomplétude n’est pas comblée dans la suite du texte, cela « demande un ajustement du lecteur. » (p. 100)

Entrant dans le vif du sujet, l’auteur aborde par la suite les marques de projection, qu’il divise en trois catégories : entamées, programmatiques ou potentielles. Les marques de projection entamées se définissent globalement comme étant une « composante facultative qui signale que l’on se situe au sein d’un mouvement projectif non terminé » (p. 104). Cette catégorie

nous étant très peu utile vu nos objectifs de recherche, elle ne sera pas détaillée davantage. Cependant, dans le cadre de l’explication de cette catégorie, Herman soulève un point qui, lui, est susceptible d’être pertinent pour notre recherche, soit le fait que certains connecteurs constituent des marques de projection. L’auteur traite plus précisément des connecteurs « d’un côté » et « certes » en mentionnant que ceux-ci renvoient à l’aval textuel en projetant leur « marqueur corrélé » respectif – « d’un autre côté » et un connecteur adversatif – ainsi que, dans le cas du second connecteur, une contre-argumentation (p. 108).

Pour ce qui est des marques de projection programmatiques, ce sont des marques qui impliquent « un engagement fort sur l’aval du texte » et qui doivent donc en principe être saturées dans la suite de celui-ci, que ce soit directement ou en passant par une projection entamée (p. 105). L’engagement contracté par le scripteur par le biais de ces marques de projection porte plus précisément sur « un futur acte discursif » (p. 105). Voici quelques-uns des types de marques de projection programmatiques que présente Herman : « les ouvertures d’hypothèses discursives » (ex. : « Mettons que les deux pays se nomment Atlantis et Erewhon et que […] »); « les étiquetages de futurs actes discursifs » (ex. : « Cette analyse nous mène à faire une importante distinction entre le revenu réel et le revenu monétaire. »); « les amorces d’énumération », qui contiennent un nom énumérable (« avantages », « raisons », « aspects », « exemples », etc.) accompagné d’un déterminant numéral ou de l’adjectif « suivants » (p. 105-106-107).

Quant aux marques de projection potentielles, elles ne promettent pas, contrairement aux marques programmatiques, que la projection sera actualisée dans la suite du texte. L’attente est tout de même présente chez le lecteur, qui se livre à un « calcul cognitif sur une suite probable », mais elle est un peu moins élevée qu’avec les marques programmatiques et elle ne sera pas nécessairement comblée (p. 111-113). L’un des exemples de marque de projection potentielle que donne l’auteur est le groupe « pour plusieurs raisons ». C’est que ce groupe ne constitue pas en soi une promesse quant à une réalisation future, à la différence, par exemple, de « pour trois raisons » ou de « pour les raisons suivantes »13, qui constituent, eux,

des amorces d’énumération et qui relèvent donc de la projection programmatique (p. 107).

Si le premier groupe est tout de même la source d’une projection, c’est parce que « raison » est un nom « sous-déterminé14 » et que, comme Herman l’affirme en s’appuyant notamment

sur Francis (1994), « toute désignation sous-déterminée […] a un potentiel projectif », puisqu’elle laisse attendre une spécification dans le contexte postérieur (p. 112). Outre les noms sous-déterminés, les énoncés qui véhiculent une opinion et certains groupes détachés en tête d’énoncé ont, eux aussi, un potentiel projectif selon Herman. Pour les premiers, cela s’explique par le fait qu’ils portent en eux « un appel à arguments » (p. 111). Pour les seconds, cela s’explique par le fait que le détachement en tête de phrase peut conférer à un groupe nominal ou à un groupe prépositionnel une dimension projective qu’il n’aurait pas forcément dans un autre emplacement. Par exemple, dans « Sur le plan rhétorique, la métonymie trouve sa spécificité… », le groupe prépositionnel projette l’évocation éventuelle d’un autre plan (projection potentielle seulement); or, le même groupe, dans « La métonymie trouve sa spécificité, sur le plan rhétorique, … », n’a pas ce potentiel projectif vu son emplacement (p. 109).

L’article d’Herman (2016) est une ressource digne d’intérêt pour notre propos, en ce sens que son contenu nous aidera à repérer, au sein de notre corpus, les énoncés qui sont « projetants » et, par le fait même, les énoncés qui sont « décevants » parce qu’ils n’actualisent pas la suite que les premiers appellent. De plus, le contenu de cet article pourra éventuellement nous aider à catégoriser ces énoncés « décevants » et à analyser les ruptures qu’ils causent.

2. Expectations: Teaching writing from the reader’s perspective (George D. Gopen,

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