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Les professionnels de la communication adoptent une attitude prescriptive

C. Brut, au cœur des discours marketing

3) Les professionnels de la communication adoptent une attitude prescriptive

Nous allons maintenant tenter d’analyser les discours que les professionnels de la communication portent au sujet de Brut, ce qui les inspirent et l’effet qu’ils ont. Le numérique a inspiré la création de nombreuses agences de « communication digital » qui

se sont construites en opposition avec les agences de communications traditionnelles et le schéma de création publicitaire et d’achat média. Ces nouveaux entrants sur le marché de la communication se sont en grande partie appuyés sur des concepts tels que le « brand content » (« contenu de marque ») pour développer toute une gamme de services orientés sur la création de contenus. Ce développement, cette ramification du secteur de la communication, s’est caractérisé par une explosion des discours sur la nature médiatique des marques. Mais cette conceptualisation a un impact idéologique : elle fait de toute production de marque une production médiatique et atténue la distinction entre le rôle des marques et des médias, y compris d’un point de vue social. Cette tendance de la vidéo « à la Brut », le directeur de Spintank la qualifie de « snapchatisation du monde » comme 55

pour faire référence à un changement de format de l’information, mais aussi de construction du regard porté sur le réel à travers les contenus qui sont produits par des sources énonciatives beaucoup plus nombreuses qu’auparavant. Or, en dépit de ces formats qui se veulent informationnels et de cette stratégie de marque-média créatrice de contenu qui se différencie autant que possible de la publicité traditionnelle, la dimension publicitaire ne disparaît pas pour autant. Car la publicitarité des discours de marque provient de la dimension matricielle de la marque par rapport au discours produit. Autrement dit, tout discours de marque est publicitaire et c’est sur cette idée que la communication digitale s’est en grande partie construite.

Le directeur associé de Spintank, Guillaume Bernard a ainsi écrit un article qui 56

se veut réflexif sur le sujet de la vidéo « à la Brut » mais qui participe surtout à en faire un « nouveau langage » que les marques doivent apprendre et s’approprier. Il s’agit bien de « s’appuyer sur ce code désormais partagé » mais paradoxalement, il s’agit aussi de s’en émanciper : « Imiter platement Brut ne va pas mener loin, et sera immédiatement repéré et décrié ; il faut qu’on puisse retrouver la marque derrière le contenu, son style, sa façon de parler. » La difficulté du format Brut est qu’il atteint un tel degré de standardisation et de normes de production qu’il devient difficile de se l’approprier. C’est là-dessus que les professionnels de la communication se positionnent : adapter le format « à la Brut » aux marques pour leur permettre de tirer les bénéfices du genre s’en pour autant perdre leur

Art. Cit. Guillaume Bernard, « Vous pouvez me faire une vidéo à la Brut ? »

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Ibid.

identité de marque. Maxime Garrigue, directeur général de X-Prime Group, a lui aussi écrit un article sur le sujet. Son discours transforme littéralement les vidéos « à la Brut » 57

en stratégie de contenu ou de présence en ligne pour les marques. Il n’est plus du tout question de Brut en tant que média et de son format compris comme journalistique, l’auteur compare d’ailleurs la tendance des vidéo brut à celle des « chatbots » ou du « marketing automation » et en fait le format publicitaire par excellence : « Qu’importe le sujet, information, divertissement ou encore promotion d’un produit, le format engage son audience ! ». Il efface ainsi toute considération éditoriale au profit du format pris comme objet communicant qui peut-être mis à disposition de n’importe quel discours comme le prouve la comparaison qu’établit l’auteur entre ce format narratif et le format technique du GIF : « Et pour cause, digne descendant du .GIF, ce traitement est ludique, efficace et surtout ne demande aucun effort à l’audience ». Ce faisant, ces professionnels participent à évangéliser l’ensemble du secteur en popularisant la formule « à la Brut » au point d’en faire un véritable argument de vente que reprennent les agences afin de capter les annonceurs. C’est le cas par exemple de l’agence Newic qui propose à ses clients des « vidéos de storytelling façon ‘Brut’ » ou de ADC Agency qui fait écho à cette 58

expression lorsqu’elle s’adresse à ses clients : « Gageons que demain, la vidéo « à la Brut » sera au nom de votre marque… » en leur promettant que « ce format peut 59

largement être détourné ». Certains reprennent même ce label pour l’apposer à d’autres types de contenus. Cette même agence propose ainsi des « entretien à la Brut, simple, décalés et direct ». Il s’agit ainsi pour les agences d’une façon de renouveler leurs pratiques pour construire de nouveaux modèles de développement en parallèle de la production publicitaire qu’un faible nombre d’agences préemptent désormais.

La reconnaissance, par les professionnels d’un format dit « à la Brut » procède ainsi d’une logique complexe : une superposition entre symbolique de marque, modèles économiques de média et stratégie de développement d’agences. C’est un format sous- tension, car il circule sur des plateformes sociales aux identités fortes. Il doit ainsi

Art. Cit. Maxime Garrigues, « Pouvez-vous me faire une vidéo à la Brut ? »

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cf. Annexe 9

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Site Web ADC agency : [disponible en ligne : http://www.adcagency.fr/les-videos-a-la-brut-tout-le-

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parvenir à exister en tant que contenu, mais surtout à faire exister les personnes qui en sont à l’origine. Or, pour y parvenir, le média producteur, Brut, s’inscrit dans la tradition des médias-marques. Ce choix stratégique, force, à lui seul, une forme d’identification de la part des marques qui sont témoins du succès de ce média réifié. En réponse à cette identification, le média pure player social media a développé un modèle économique business-to-business reposant en grande partie sur la production de contenus en « marque- blanche ». Cette activité a elle-même renforcée le rapprochement entre le format et le média producteur qui a cependant été rejoint par les agences de communication web. Celles-ci ont en effet perçu le potentiel de ces vidéos qui pourraient constituer un excellent relai de croissance à travers le développement de leurs prestations de création de contenus. Un nouveau produit opérationnel, pour une clientèle déjà convaincue : « la vidéo à la Brut ». Pour Valérie Patrin-Leclère : « Les transformations contemporaines des stratégies de marque confinent souvent au « faire-média », au ‘faire comme si’, dans une logique imitative qui consiste bel et bien à produire des dispositifs médiatiques . » 60

Cela dit, il est encore plus évident de se tourner vers une stratégie consistant à « faire média » en s’inspirant d’un média qui « fait marque ». Brut en reprenant des éléments syntaxiques qui appartiennent à l’imaginaire extrêmement normé de la communication marchande et des discours de marque s’inscrit ainsi dans une communication publicitaire qui pourrait être réaffirmée par un statut d’annonceur sur Facebook et un positionnement de « média dans un média » aussi bien vis-à-vis des médias sociaux que d’un média traditionnel comme France Télévision. Il est dès lors flagrant que cette expression de « vidéo à la Brut » doit son succès au capital symbolique qu’elle renferme et qui fait suite au succès fulgurant de Brut. L’ensemble des acteurs du monde de la communication et des médias tentent d’en tirer partie et cela a pour effet de renforcer son autorité tout en fluidifiant sa circulation.

op. cit. Valérie Patrin-Leclère, « Un média est-il une marque ? »

II) Brut, l’incarnation de « bonnes pratiques » qui