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Ce que produit la dépense publique : un projet de société ?

Dans le document L’utilité sociale de la dépense publique (Page 122-125)

La première partie de ce rapport s’est attachée à démontrer la dimension conventionnelle des discours sur la dépense publique. L’exemple longuement analysé des débats sur la sécurité sociale de l’été 1947 témoigne de l’ancienneté des arguments mobilisés pour faire la critique de la dépense publique. Depuis le début des années 1980, le référentiel marchand tend à s’imposer comme clef de lecture universelle pour la politique économique. Or, si cette formulation de la problématique est dominante, il n’y a aucune raison qu’elle soit vraie a

priori. En matière de débat scientifique, l’argument de la majorité ne tient pas : ce n’est pas

parce qu’un courant théorique domine les débats qu’il est le plus pertinent. A partir de l’analyse rigoureuse des faits empiriques, il est possible de tenir un autre discours sur la dépense publique. D’autres interprétations du monde sont possibles.

La thèse centrale développée dans cette deuxième partie est que la dépense publique produit. Il est en effet étonnant de ne parler de l’action publique que sous l’angle de la dépense. Il est dit de l’Etat qu’il dépense tant de point de pourcentage du Produit intérieur brut (PIB) pour telle ou telle raison. Il est dit de la sécurité sociale qu’elle dépense des milliards chaque année sans que l’on ne sache pourquoi. Il est dit des collectivités territoriales qu’elles dépensent (mal) les recettes provenant de la collecte (toujours jugée excessive) des impôts. Que l’on y songe un instant : dirait-on pour qualifier principalement l’activité du boulanger qu’il dépense tant de centaines d’euros pour de la farine et tant de milliers d’euros pour acquérir son fournil ? dirait-on du secteur automobile qu’il dépense tant de milliards d’euros en masse salariale ? dirait-on uniquement de l’industrie agroalimentaire qu’elle dépense des milliards collectés par un impôt privé obligatoire (il faut bien se nourrir !) ? Evidemment, non. Lorsqu’il est question d’analyser l’activité d’une institution privée il est habituel de dire de cette activité qu’elle produit : le secteur automobile produit tant de milliers de véhicules par an, qui correspondent à tant de milliards d’euros, et emploie tant de milliers de salariés. A aucun moment il n’est question de dépense alors que, comme dans n’importe quel type activité, le secteur privé dépense et supporte des charges (loyers, coûts financiers, coûts salariaux, etc.).

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L’activité publique est une production. Lorsque l’on parle du budget de l’éducation nationale comme premier poste de dépense de l’Etat on occulte le fait que les professeurs, les administratifs et autres personnels produisent de l’éducation. Par ailleurs, il n’y aucune raison valable pour dire que l’activité d’une école publique est différente de celle d’une école privée : il serait paradoxal de dire que le même cours assuré par un enseignant de formation équivalente est une dépense dans un cas et une production dans un autre. La seule différence entre les deux cours est le jugement porté par la société à l’égard des conditions matérielles de production. Considérer les deux activités comme radicalement différentes (dépense versus production) relève d’une convention sociale. Cet exemple est duplicable de façon infinie. Pourquoi le personnel de gestion relèverait de l’administration improductive pour les activités publiques alors qu’il s’agirait de fonction support essentielle à la production dans le cas des activités privées ? Pourquoi un infirmier salarié de la fonction publique hospitalière serait un fonctionnaire improductif alors que le même infirmier serait un producteur s’il travaillait dans un hôpital privé ?

La critique de la dépense publique a tout de la convention dominante étant donnée l’hégémonie du référentiel marchand. Cependant, cette présentation est partiale : la dépense publique n’est pas un puits sans fond qui nourrit une armée de fonctionnaires improductifs et de « tire au flanc ». Elle est productive à de nombreux titres. En plus de payer des fonctionnaires qui participent à la production intérieure brute (PIB), elle constitue une ressource directe pour de nombreuses personnes via les prestations monétaires qui nourrissent le secteur privé. Par exemple, lorsque la sécurité sociale fournit aux parents des allocations familiales, celles-ci viennent grossir le budget des parents pour leurs achats et donc valider une production privée qui n’aurait pas été possible sinon. Lorsqu’une collectivité fait construire un gymnase, elle passe des commandes à des entreprises privées qui produisent, une réduction des dépenses conduit à une baisse des commandes et donc à une diminution de l’activité, voire à la faillite de ces entreprises.

Si en renversant nos représentations communes nous arrivons à accepter l’idée que la dépense publique produit, il faut encore nous demander méthodiquement ce qu’elle produit. Parmi les réponses possibles, nous soulignerons dans cette deuxième partie que la dépense publique produit un meilleur état de santé de la population. Dans un contexte où le PIB souffre de nombreuses et profondes contestations dans sa prétention à être un indicateur de richesse des sociétés, il est particulièrement important de mettre en avant l’une des vertus d’une certaine dépense publique : produire de la santé. Or, la santé est à travers les sociétés et les cultures un

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élément fondamental pour mener une vie de qualité. Tout autant que les revenus, la santé est une modalité du bien vire.

Les travaux récents de santé publique permettent dans cet esprit de montrer que la dépense publique est un facteur explicatif de l’amélioration de l’état de santé des populations. D’une part, lorsque l’on étudie les effets de l’austérité ou de la relance non sur le PIB mais sur l’état de santé, la relance sauve des vies quand l’austérité tue. D’autre part, une pléthore de travaux démontre que les sociétés les plus inégalitaires, c’est-à-dire celles où la puissance publique est indifférente aux inégalités et intervient peu pour y remédier, sont aussi celles où l’ensemble de la population – des plus pauvres aux plus riches – connait les conditions de vie les plus détériorées. Alors que l’Etat se cherche de nouvelles formes de légitimité pour fonder son action, il semble que ces travaux dressent un véritable projet de société : la production publique est une condition pour obtenir une meilleure santé pour tous.

Le chapitre 4 propose une lecture renouvelée de la dépense publique en montrant qu’elle constitue une production participant activement à la qualité de vie de la grande majorité de la population. Le chapitre suivant rappelle brièvement les critiques émises sur le PIB comme indicateur de richesse et propose de lui substituer le critère d’état de santé. Il est alors possible de montrer que la puissance publique produit un meilleur état de santé lorsqu’elle se soucie de réduire le niveau des inégalités (chapitre 5.). Dans la même perspective de refondation de la légitimité de l’action publique, le chapitre 6 propose d’analyser l’impact déterminant sur l’état de santé des politiques de relance (contre les politiques d’austérité) lors des crises économiques. On montre ainsi au travers de ces analyses que la dépense publique parce qu’elle réduit les inégalités et nourrit le bien être personnel et collectif est le véhicule du bien le plus précieux : la santé.

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Chapitre 4. De la dépense publique à la production

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