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1. Recension des écrits

1.4 Les acteurs judiciaires

1.4.1 Les procureurs

En matière de contacts, les victimes comprennent souvent que le procureur de la Couronne est l’avocat chargé de les «défendre» et ne comprennent pas pourquoi ils ne se rencontrent pas pour préparer le dossier (Baril, 2002), alors que l’accusé, lui, rencontrera souvent plus d’une fois son avocat avant que la cause ne procède. Bien qu’il n’ait pas de client à proprement parler, le procureur se doit malgré tout de se faire le messager des intérêts de la victime aux yeux de la cour (Caplow, 1998). Or, les procureurs de la Couronne se voient surtout comme les défenseurs de la société (Baril, 2002) et le nombre élevé de dossiers fait souvent en sorte qu’ils ne peuvent accorder aux victimes toute l’attention nécessaire. Ils relèguent alors souvent aux policiers, aux intervenants ou à des procureurs débutants la tâche de rencontrer les rencontrer (Caplow, 1998). Non seulement les victimes rencontrent rarement le procureur à leur dossier, mais celles ayant eu accès à ce type de rencontre disent avoir l’impression que leurs besoins n’ont pas été pris en compte (O’hara, 2005). Dans une étude québécoise réalisée par Wemmers et Cyr (2006a), plus de 90% des victimes ont dit trouver important de pouvoir parler de leur dossier avec le procureur. Enfin, les victimes se disent souvent choquées du peu de contact avec le procureur et y voient un manque d’intérêt et de considération quant à leur point de vue.

Certaines caractéristiques de la victime et du délit favoriseraient le lien entre le procureur et la victime (Caplow, 1998) et aurait aussi une influence sur leur prise de décision (Williams, 1975; Myers et Hagan, 1979; Stanko, 1981; Campbell, 1998; Hartmen et Belknap, 2003); parmi celles-ci on note la gravité des blessures et/ou du crime, la qualité de la victime comme témoin, la relation entre le contrevenant et la victime, le statut socioéconomique, l’emploi et le style de vie de la victime. Toutefois, les procureurs se méprendraient parfois sur les intentions des victimes, les prenant pour des témoins non coopératifs, alors que leurs difficultés résident plutôt dans la confusion et le manque d’information (Kelly, 1983). Une étude faite à Toronto nous apprend entre autres que dans les cas de violence conjugale, un procureur interagissant avec une victime qui se présente comme coopérative sera sept fois plus enclin à déposer des accusations contre le contrevenant (Dawson et Dinovitzer, 2001). Aussi, les victimes ayant complété la Déclaration de la victime ont été davantage contactées par le procureur (84%) que celles ne l’ayant pas fait (62,5%) (Laflamme-Cusson, 1990), signe que des avantages émergent tout de même de cette initiative. Enfin, les juges canadiens apparaissent favorables au fait que les procureurs s’enquièrent de savoir si la ou les victimes au dossier ont été informées de l’existence de cette Déclaration et de l’opportunité de la compléter (Roberts et Manikis, 2010).

Dans le contexte où l’une des décisions que le procureur doit prendre est de présenter ou non cette Déclaration au juge qui préside l’audience – ou à tout le moins d’en mentionner ou non le contenu – l’évaluation faite de la Déclaration devient fondamentale. Une étude réalisée à ce sujet à Montréal par Laflamme-Cusson (1990) montre que le juge a été informé du contenu du formulaire seulement une fois sur deux et, de cette proportion, seulement la moitié des formulaires ont été déposés à la cour.

Le plea bargaining ou négociation entre les parties aurait comme impact que la participation de la victime, entre autres par le biais de la Déclaration de la victime, n’ait au final que peu d’influence (Jerin et Moriarty, 1998). Au Canada, cette pratique

est non seulement considérée comme utile, mais aussi comme nécessaire au bon fonctionnement du système de justice (Manikis, 2012), ce qui indique encore un manque d’égard pour les intérêts de la victime. Toutefois, puisque rien dans la législation canadienne ne nous éclaire vraiment à ce sujet, Manikis (2012) propose que le rôle de la victime dans le plea bargaining en soit un de consultation. Elle pourrait ainsi faire connaître ses réactions et les conséquences subies suite à l’évènement, comme c’est le cas dans la Déclaration de la victime; quant au procureur, il pourrait la tenir informée des développements et des motifs qui sous- tendent une telle négociation. Manikis mentionne enfin l’importance d’informer les victimes sur leur droit de compléter la Déclaration de la victime.

D’ailleurs, des recherches new-yorkaises soulignent que bien peu de procureurs pensent que les juges prennent en considération la Déclaration de la victime au moment de rendre la sentence, alors que dans les faits, les juges trouvent utile d’en apprendre davantage sur la victime en prenant connaissance de ses propres représentations (Henley et al., 1994; Davis et Smith, 2006). Au Canada, les juges interrogés ont dit trouver les informations de la Déclaration de la victime pertinentes dans la majorité des cas (Roberts et Edgar, 2006); ils précisent d’ailleurs y faire référence dans une grande proportion de leurs décisions sur la sentence et ce, à la hauteur de 53% en Colombie-Britannique, de 35% au Manitoba et de 29% en Alberta.

Sanders et al. (2001) soutiennent plutôt que 90% des répondants ayant complété la

Déclaration de la victime ne savent pas ce qui est advenu de leur formulaire et que ce

dernier aurait rarement une influence réelle sur le résultat. De fait, la Déclaration de la

victime se voit complétée dans une proportion bien mince des cas applicables et

lorsqu’elle l’est, il arrive qu’elle ne se rende pas au dossier de la cour ou que l’enveloppe ne soit simplement jamais ouverte (Henley et al., 1994).

Une autre décision d’importance relevant du procureur est de décider de l’autorisation ou non de la plainte portée aux policier, à savoir si la preuve est suffisante, voire hors de tout doute raisonnable, et si des accusations seront portées. À ce sujet, les écrits

scientifiques nous rappellent que différentes avenues se présentent au procureur en matière de poursuite criminelle. Deux de ces avenues sont mises de l’avant dans une recherche américaine en matière de violence conjugale et réalisée par Finn (2013), qui a comparé les poursuites foncées sur la preuve (evidence-based) et celles centrées sur les victimes (victim centered), entre autres du point de vue de la dissuasion et de la récidive. Les poursuites fondées sur la preuve présenteraient plus souvent un règlement par la punition du contrevenant et occasionneraient moins d’abandons de dossiers par la victime, c’est-à-dire moins de 10%. En revanche, les poursuites centrées sur la victime montrent une plus grande conscience des besoins des victimes. On y retrouve davantage de charges abandonnées, un plus grand nombre de références à un traitement à l’intention du contrevenant et au final, un plus grand sentiment de sécurité chez les victimes. D’emblée, on pourrait pensée que le caractère plus punitif et encadrant des poursuites basées sur la preuve constituerait, pour les contrevenants, un important moyen dissuasif. La présente étude montre plutôt que, en réalité, les types de poursuites à l’étude n’ont aucun impact sur le taux de récidive. Toutefois, une approche encourageant la participation de la victime et l’expression de ses objectifs, ces derniers rejoignent alors davantage ceux du procureur, ce qui facilite la coopération.

Enfin, la satisfaction des victimes envers les avocats aurait tendance à être constante (Shapland et al., 1985), bien que moins grande qu’envers les policiers (Kelly, 1984; Shapland et al., 1985; Erez et Tontodonato, 1992). La critique du système de justice formulée par les victimes vise souvent les avocats (Manseau et Grenier, 1979), principalement parce que leur premier objectif ne semble pas être la satisfaction des victimes (Caplow, 1998).

La qualité des contacts avec les acteurs judiciaires a donc son importance non seulement en matière de justices procédurale et interactionnelle, mais aussi en ce qui a trait à la victimisation secondaire. Le «séjour» de la victime dans le système judiciaire a une influence certaine sur sa récupération suite au délit et ce, en plus de toutes les réactions et conséquences directement liées au crime.

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