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Une étroite relation entre plantes et sociétés

B. Processus sociaux d’adaptation aux changements climatiques

La diversité génétique des plantes cultivées est un facteur clé d’adaptation aux conditions climatiques changeantes. Les processus dynamiques d’adapta-tion des plantes sont associés aux contraintes biotiques et abiotiques, et usuel-lement interprétés comme le résultat de l’interaction G ◊ E. Notre étude de l’interaction entre plantes cultivées et sociétés a été poursuivie afin de prendre en compte les barrières sociales comme facteurs d’organisation non seulement de la diversité neutre, mais également de la diversité fonctionnelle et adapta-tive.

L’approche a consisté à utiliser une variation environnementale dans l’es-pace et à l’interpréter comme une variation environnementale dans le temps (space time substitution design). La mise en évidence de processus sociaux d’adaptation au changement climatique a été rendue possible grâce à la

migra-2. Rétrospectivement, huit espèces ont été identifiées comme composantes des systèmes de culture sur le Mont Kenya : haricot — Phaseolus sp, niébé ou pois à vaches — Vigna

unguiculata (L.) Walp, éleusine — Eleusine coracana (L.) Gaertn, “green gram”— Vigna radiata (L.) R. Wilcz, maïs — Zea mays (L.), mil — Pennisetum glaucum (L.) R. Br, pois

tion de deux communautés d’agriculteurs en sens contraire le long de la pente (Fig. 11).

Figure 11: Agriculteurs mwimbi descendant et agriculteurs tharaka remontant en altitude sur le versant Est du Mont Kenya

En descendant la pente du Mont Kenya, les conditions de culture des Mwimbi ont été modifiées avec une diminution des pluies et une augmenta-tion de la température. A l’inverse, en remontant, les Tharaka ont dû faire face à une augmentation des pluies et une diminution de la température. L’étude visait à comparer les échecs des semis en fonction du nombre de jours sans pluie après le semis, alors que les deux communautés partagent aujourd’hui le même environnement.

Les observations ont porté sur quatre saisons de culture, totalisant plus de 1600 parcelles, chacune correspondant à une date de semis pour une variété donnée d’une espèce donnée. Les variations pluviométriques ont été enregistrées heure par heure par une station météorologique, les données étant automati-quement radio-transmis et stockées à l’abri sur une carte mémoire. La station a été positionnée à égale distance des deux communautés.

En remontant la pente, les Tharaka ont conservé leurs ressources géné-tiques, leur savoir et leurs pragéné-tiques, adaptés aux conditions climatiques arides des basses altitudes. En revanche, selon Camberlin et al. (2014), les nouvelles conditions rencontrées par les Mwimbi correspondent à un réchauffement cli-matique de +0, 8C à +1, 09C (100m)≠1et une baisse des pluies de 26,7 à 32,9 mm (100 m)≠1. Cette variation correspond à celle observée en Afrique au cours des 40 dernières années (McCarty et al., 2001). Si des barrières sociales limitent

les flux de gènes via les semences entre les communautés, les semences des Tha-raka, déjà adaptées aux conditions arides, devraient être moins exposées aux aléas climatiques que celles des Mwimbi. La comparaison des niveaux d’adap-tation des semences implique non seulement un contrôle de l’environnement, mais également des pratiques de semis. Nos observations ont pu confirmer que la pratique des semis et la gestion de la diversité des plantes cultivées étaient comparables entre les Tharaka et les Mwimbi (Tableau 3).

Table 3: Caractéristiques générales des systèmes de culture et pratiques des Mwimbi et des Tharaka de 2009 à 2011 (Mwongera et al., 2014)

General Characteristics SR.2009 SR.2010 LR.2010 LR.2011 Mwimbi Tharaka

Mean crops per farmer 5.65 5.52 4.14 4.11 4.2 to 5.6 4.6 to 6.0

Local varieties cultivated (%) 68 63 58 60 33 to 49 38 to 51

Improved varieties cultivated (%) 32 38 42 40 51 to 67 49 to 62

Mixed varieties in a single hill (%) 14 23 6 4 22.2 3.6

Mixed crops in a single field (%) 96 99 93 99 99.8 99.5

Maximum number of re-planting 2 2 2 4 3 4

Same crop species re-planted (%) 27 57 37 14 74.5 42.2

Average crop area (hectares) 0.89 0.94 0.77 0.74 1.23 0.99

No of fields cultivated per farmer 2.7 2.6 2.4 2.1 3.0 2

Crop relative importance (%) SR 2009 SR 2010 LR 2010 LR 2011 Mwimbi Tharaka

Bean 24.7 20.4 19.9 22.3 20.2 5.9 Cow pea 12.3 11.6 14.2 16.5 12.7 14.2 Green gram 7.4 5.2 6.9 5.8 6 12.7 Maize 24.8 30.4 34.4 32.7 29.3 29.2 Pearl millet 7.6 5.4 8.2 6.7 11 13.4 Sorghum 23.1 27 16.3 15.9 20.8 24.5

Seed sources (%) SR 2009 SR 2010 LR 2010 LR 2011 Mwimbi Tharaka

Own, relative or friends 66.5 57.2 65.5 70.7 66.2 69.5

Community chief 21.8 19.9 17.9 12.7 23.1 14.2

Market 5.4 22.3 14.9 8.6 7.8 15.2

Other 6.3 0.6 1.7 7.9 3 1.1

Les dates de semis pratiqués par les deux communautés étaient elles aussi globalement comparables, de même que le nombre de jours sans pluie après le semis, à l’exception d’une saison où la contrainte hydrique a été plus forte pour les Tharaka que pour les Mwimbi (10,1 vs 9,6 jours), cette différence devait toutefois désavantager les Tharaka.

Les résultats ont confirmé la plus grande sensibilité du maïs face aux contraintes hydriques par rapport aux autres espèces. 50% des échec aux semis sont obser-vés pour le maïs après 8,3 jours, alors que ce délai est prolongé à 9,6 jours sans pluie pour le sorgho et le mil. Ils ont aussi montré que la probabilité de perdre des semences lors des semis diffère significativement entre les Tharaka et les Mwimbi. Même en retirant le maïs et les haricots qui pouvaient désavantager les Mwimbi dans l’analyse, la semence des Mwimbi demeure plus lourdement touchée par la contrainte hydrique que la semence des Tharaka (Fig. 12). Figure 12: Probabilité de perte de semences lors des semis pour les Mwimbi et les Tharaka (Mwongera et al., 2014)

Les résultats de cette étude apportent des éléments complémentaires sur l’importance des facteurs sociaux dans la diversité fonctionnelle et adaptative des plantes cultivées. Le fait que les semences cultivées par les deux com-munautés répondent différemment aux contraintes hydriques peut être relié à l’origine différente de leurs ressources génétiques et à l’orientation centripète des systèmes d’échange de semences. En effet, il est raisonnable d’admettre que

les semences des Tharaka ont tiré avantage du processus itératif d’adaptation aux sécheresses, plus fréquentes en basses altitudes. Au contraire, les semences des Mwimbi ont été historiquement exposées à des conditions hydriques moins contraignantes. D’une certaine manière, l’histoire des communautés se reflète dans l’histoire génétique de leurs semences.

Cette composante historique doit être examinée dans son contexte spatial et sociologique. Dans le cas étudié, l’intermariage entre Tharaka et Mwimbi étant rare (Cf supra), ce sont les mariages endogames linguistiques qui déterminent l’orientation centripète des flux de semences. En acquérant des semences auprès d’alliés demeurés à des altitudes plus basses, les Tharaka renouvellent constam-ment l’adaptabilité à la sécheresse de leurs ressources génétiques. Les Mwimbi, au contraire, n’augmentent pas ou peu l’adaptabilité de leurs ressources à des conditions de culture plus sèches, en obtenant des semences auprès d’alliés ré-sidant à des altitudes plus hautes. Cet exemple illustre le rôle déterminant des facteurs sociaux et historiques sur les processus évolutifs de migration et d’adaptation génétique des plantes cultivées.

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