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Les processus de recherche et d’évitement des prédateurs et proies

Comme on l’a vu précédemment, l’utilisation de l’espace intervient à plusieurs étapes de la séquence de prédation, lors des étapes de rencontre, de détection et d’attaque (étapes 1, 2 et 4, fig.1 de l’introduction). De nombreuses études ont montré son impor-tance à travers l’effet de l’habitat sur l’interaction prédateur-proie. De manière directe, l’habitat change la probabilité de détection de la proie par le prédateur ainsi que le taux de

LES PROCESSUS DE RECHERCHE ET D’ÉVITEMENT succès des attaques à travers la probabilité de détection du prédateur par la proie (Kunkel and Pletscher 2000; Thogmartin and Schaeffer 2000), selon qu’il présente plus ou moins de refuges (Koivunen et al. 1998; Friedlander and Parrish 1998). De manière indirecte, l’habitat structure aussi la probabilité de rencontre du prédateur et de la proie. En effet, les probabilités de rencontre sont déterminées par l’utilisation conjointe de l’espace par le prédateur et la proie, et cette utilisation dépend fréquemment des habitats (Courbin et al. 2009 ; Chapitre 2 ; Viejou et al. 2018). L’utilisation de l’espace du prédateur et de la proie n’est cependant pas complètement déterminée par l’habitat. On observe en ef-fet des variations importantes de temps de résidence et de retour dans les parcelles d’un même habitat (Laundré 2010; Courbin et al. 2014) et de nombreux autres facteurs peuvent structurer l’utilisation de l’espace (approvisionnement à un lieu central, Pinaud and Wei-merskirch 2005 ; territoires, Rubenstein 1986, Bekoff and Wells 1982 ; tanières, Mauritzen et al. 2001).

Dans cette thèse, on trouve deux exemples de processus où la probabilité de rencontre entre prédateur et proie n’est pas complètement décidée par la sélection de l’habitat. Le Chapitre 2 montre un cas de figure où la proie s’éloigne quotidiennement des zones forte-ment utilisées par le prédateur, pendant la période la plus risquée de la journée. Contrai-rement aux migrations quotidiennes que l’on connaît en milieu aquatique (Hays 2003; Sainmont et al. 2013), cette réaction n’est pas ici déclenchée par des différences de ca-ractéristiques des habitats (quantité de ressources, vulnérabilité variable dans le temps ou l’espace ...) mais bien directement par l’utilisation de l’espace et le rythme d’activité du prédateur. Le Chapitre 3 présente quant à lui un modèle de sélection de parcelle où les prédateurs et les proies peuvent se déplacer en fonction de leur mémoire des ren-contres prédateur-proie passées et de leur estimation de la ressource des proies dans les différentes parcelles. L’investigation des stratégies optimales du prédateur et de la proie à travers de nombreux environnements montre l’importance potentielle de l’imprévisi-bilité du déplacement, les prédateurs ayant parfois intérêt à ignorer leurs connaissances des parcelles pour se déplacer aléatoirement et rendre moins efficace l’évitement par les proies des zones de rencontre.

Cette idée de jeu de passe-passe a été proposée par Mitchell and Lima (2002) : elle montrait à l’origine que les proies pouvaient diminuer leur probabilité de rencontre en se déplaçant aléatoirement entre les parcelles de leur domaine vital. L’efficacité de cette stratégie était cependant fortement dépendante de la mémoire spatiale des prédateurs (Mitchell and Lima 2002; Mitchell 2009). Ici on a développé un modèle où les proies aussi pouvaient utiliser leur mémoire des rencontres passées et l’ensemble des environ-nements testés montraient au contraire l’importance pour les prédateurs d’être imprévi-sibles. Cette différence peut s’expliquer si l’on détaille les coûts et bénéfices d’un dépla-cement aléatoire et donc imprévisible pour les prédateurs et les proies. Pour les proies, il y a deux coûts. D’abord les proies peuvent utiliser des parcelles où le risque de prédation est plus important et qui seraient potentiellement évitées si le déplacement prenait en compte cette information. En se déplaçant aléatoirement, les proies pâtissent aussi d’une exploitation moindre des parcelles ayant davantage de fourrage. Ce dernier coût est pro-bablement plus important dans notre modèle du fait de la prise en compte de la

déplé-tion et de la compétidéplé-tion avec les autres proies, ces mécanismes n’étant pas inclus dans les précédents modèles du jeu de passe-passe (Mitchell and Lima 2002; Mitchell 2009). Les prédateurs, par contre, risquent simplement d’utiliser des parcelles où les proies ne sont pas très présentes ou peu vulnérables. Les bénéfices sont relativement similaires : l’imprévisibilité empêche le prédateur ou la proie d’ajuster efficacement son utilisation de l’espace. Les résultats du modèle suggèrent ainsi que les coûts sont plus importants pour la proie que pour le prédateur et on s’attend donc à ce que les proies soient plus prévisibles que leurs prédateurs, une prévision à même d’être testée.

Le jeu de passe-passe est donc un exemple de processus qui influe les probabilités de rencontre indépendamment de l’habitat : c’est la dynamique du déplacement qui est importante. Ces questions ont donné lieu à un nombre limité d’études empiriques (Gude et al. 2006; Fortin et al. 2009; Laundré 2010). Gude et al. (2006) ont montré que la proba-bilité de présence des wapitis dans les zones cœurs de l’aire de chasse des loups après le départ de ces derniers diminue fortement en quelques jours. Étant donné la très bonne mémoire spatiale des loups, cette réaction était interprétée comme la nécessité pour les wapitis d’être imprévisibles. Un tel patron rappelle les réponses réactives des zèbres qui, après une rencontre avec les lions, s’éloignent de 4 à 5 kilomètres en 24 à 48h (Courbin et al. 2016). Cette réaction pourrait, elle aussi, être interprétée dans le cadre d’un jeu de passe-passe comme la nécessité d’être imprévisible pour la proie. Étant donné que le risque qui contraint ces deux réactions est immédiat et pas uniquement futur, il reste ce-pendant difficile de différencier l’importance de l’imprévisibilité des proies de celle de la fuite d’un risque immédiat, particulièrement grave dans le cas des lions, prédateurs à l’af-fut. Chez les bisons, (Fortin et al. 2009) ont établi que les petits groupes quittaient les prai-ries, habitat risqué et riche en ressources, plus précocement que les grands groupes. Ce résultat est contraire à l’interprétation d’une utilisation de l’espace dirigée par la compé-tition pour les ressources, où les grands groupes devraient épuiser avant les plus petits les ressources d’une prairie. Dans le cadre d’un jeu de passe-passe cependant, les bisons ont intérêt à se déplacer de manière imprévisible et donc relativement fréquemment. Dans ce cas les petits groupes, plus à risque que les grands, seraient contraints à des mouvements plus fréquents et imprévisibles.

L’étude du jeu de passe-passe et sa prise en compte dans les interactions proie-prédateur nécessite ainsi une approche comportementale à l’échelle du paysage (Lima and Zollner 1996) prenant en compte l’importance de la mémoire spatiale des prédateurs et proies (Wolf et al. 2009; Oliveira-Santos et al. 2016; Merkle et al. 2017; Bracis et al. 2015, 2018). Le modèle du Chapitre 3, s’inscrit dans ce cadre et propose un moyen d’évaluer l’importance relative de deux types de mémoire, de travail et de référence (Bailey et al. 1996), des rencontres prédateurs-proies passées et de la ressource des proies dans l’es-timation de l’intérêt d’une parcelle pour les prédateurs et les proies. Ces travaux sou-lignent ainsi l’importance des processus d’évitement basés sur la dynamique du dépla-cement plutôt que sur les dépladépla-cement orientés en fonction des préférences d’habitat. Si les réactions spatiales des proies aux déplacements des prédateurs commencent à être connues (Fortin et al. 2009; Courbin et al. 2016, Chapitre 2), l’étude des comportements de prospection des prédateurs concerne généralement des proies immobiles ou dénuées

LES PROCESSUS DE RECHERCHE ET D’ÉVITEMENT de réactions comportementales (e.g. Benhamou 2007). Conceptuellement cependant, la théorie de la recherche (‘search theory’) étudie l’efficacité des stratégies de recherche spa-tiale (Zoroa et al. 2011, 2015; Gal et al. 2015; Ross and Winterhalder 2015; Hohzaki 2016). Ces travaux se basent fortement sur la théorie des jeux, ce qui permet de prendre en compte les réactions réciproques des prédateurs et des proies ((Lima 2002). Actuellement ces travaux ont cependant peu de liens avec des observations empiriques de systèmes prédateurs-proie.

Stratégies optimales et modèles théoriques dans

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