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Chapitre 3 Synthèse des résultats

3.3 Les facteurs influençant les séries dendrogéochimiques

3.3.4 Les processus physiologiques

L’interprétation dendrogéochimique peut devenir complexe, voire impossible, lorsque les processus de translocation radiale interviennent et masquent les tendances dans les séries temporelles des métaux potentiellement associées à des changements environnementaux. Comme énoncé dans la sous-section 1.3.2.2, plusieurs facteurs tels que la duraminisation (transformation de l’aubier sénescent en duramen), ou encore la mobilité des éléments peuvent être à l’origine de la translocation radiale dans les arbres (Cutter et Guyette, 1993). Les éléments sont alors redistribués radialement dans le tronc au lieu d’être fixés dans le cerne en formation. Par exemple, le K et le P sont des

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éléments très mobiles et se retrouvent généralement dans le symplaste des cellules vivantes de parenchymes proches de l’écorce. Ils sont facilement résorbés vers les cernes récents lorsque l’aubier est sénescent et qu’il se transforme en duramen (Meerts, 2002, Momoshima et Bondietti, 1990). Effectivement, les concentrations de K et P des cernes des sites 2 et 3 (Annexe C) montrent des profils typiques de tendance radiale avec une augmentation des concentrations à partir de la zone de transition aubier-duramen jusqu’à l’écorce (Figure 26A).

Figure 26 Comparaison des profils de concentration des macronutriments (P et K (A), Ca et Mg (B)) avec la zone de transition aubier-duramen

Le rectangle gris foncé correspondant à la zone de transition du site 2 et le rectangle gris clair à celle du site 3.

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En revanche, le Ca et le Mg sont des éléments légèrement moins mobiles que le K et le P. Ils sont principalement adsorbés par les sites d’échanges chargés négativement, incorporés sous forme de pectate ou dans la matrice ligneuse (Houle et al., 2008, Meerts, 2002). Une tendance à la diminution de la moelle vers l’écorce est généralement observée pour ces éléments dans les conifères. Cette tendance est attribuée à la diminution de la capacité de rétention des cations par le bois, de la moelle vers le cambium, en fonction du rayon de l’arbre (Momoshima et Bondietti, 1990). En effet, les concentrations de Ca et Mg des cernes des sites 2 et 3 (Annexe C) diminuent du centre du tronc jusqu’au cambium (Figure 26B) de manière similaire aux deux sites (Ca : r = 0,92 ; P < 0,01 ; n = 48 et Mg : r = 0,75 ; P < 0,01 ; n = 48). Cependant, la diminution devient plus abrupte à partir de la zone de transition aubier-duramen pour les deux sites.

Le Fe et le Cu sont des éléments essentiels (impliqués dans la photosynthèse ; Kabata-Pendias, 2010b) pouvant être facilement recyclés à travers l’aubier, et affectés par de la translocation dans les conifères (Kirchner et al., 2008, Watmough, 1997, Watmough et Hutchinson, 1999). De plus, le Cu forme facilement des complexes avec les substances organiques présentes dans la sève (Mihaljevič et al., 2011). Les profils de concentration du Fe et du Cu (Annexe C) sont très similaires, avec des corrélations significatives entre les deux sites (Fe : r = 0,95 ; P < 0,01 ; n = 48 et Cu : r = 0,94 ; P < 0,01 ; n = 48 ; Figure 27A). Grâce au test d’homogénéité de Buishand, il est possible de déterminer s’il existe un point de rupture significatif dans ces séries temporelles. Les profils de concentration du Fe présentent des points de rupture autour de 1976 (P < 0,0001), et ceux du Cu, autour de 1973 (P < 0,0001) pour les deux sites. Par conséquent, nous considérons que les profils de ces deux éléments reflètent une mobilité radiale due aux processus physiologiques dans les cernes d’épinette blanche.

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Figure 27 Comparaison des profils de concentration des micronutriments (Fe et Cu (A), Mn et Zn (B)) avec la zone de transition aubier-duramen Le rectangle gris foncé correspondant à la zone de transition du site 2 et le rectangle gris clair à celle du site 3.

Le Mn est un élément intéressant car il réagit rapidement aux changements de pH dans le sol. En dessous d’un pH de 5, les oxydes de manganèse se dissolvent, libérant ainsi le Mn dans la fraction échangeable du sol. Le Mn étant plus disponible pour l’arbre, les concentrations dans les cernes augmentent (Augustin et al., 2005, Mihaljevič et al., 2008). Dans le cas des sites étudiés, les profils de Mn (Annexe C) montrent des tendances inverses avec une diminution des concentrations à partir de la zone de transition aubier-duramen pour les deux sites (Figure 27B). Le pH moyen des horizons organiques des sols du site 2 est de 7,25 et celui du site 3 est de 5,83 (Figure 23C). Les sites 2 et 3 ne montrent donc pas de signes distinctifs d’acidification synonymes

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d’apports atmosphériques. En revanche, le site 3 présente un sol moyennement bien drainé par rapport au site 2. Il semble que le drainage du sol joue un rôle dans la disponibilité du Mn. Malgré la différence de drainage que présentent les sols de ces deux sites, les profils de concentration de Mn des cernes de croissance sont relativement similaires (r = 0,43 ; P < 0,01 ; n = 48), avec une diminution depuis la zone de transition aubier-duramen. Les profils du Mn semblent donc être affectés par la translocation à partir de la zone de transition aubier-duramen.

Le Zn est un élément moyennement mobile pouvant être sujet à translocation. En effet, plusieurs études ont reportées ou suggérées une diminution de la concentration du Zn, soit vers le duramen, soit vers l’écorce, attribuée au processus de translocation (ex. Lukaszewski et al., 1988, Vanek et al., 2011). Les profils de Zn dans les cernes aux sites 2 et 3 (Annexe C) sont très similaires et ne font pas exception, avec une diminution des concentrations à partir de la zone de transition aubier-duramen vers l’écorce (r = 0,81 ; P < 0,01 ; n = 48 ; Figure 27B). Lors de la formation du duramen, des produits d’extraction (ex. les phénols) sont fabriqués pour initier la sénescence des cellules de parenchyme de l’aubier. Ces produits d’extraction ont également des propriétés de protection contre les champignons et les bactéries, d’anti-oxydation et de formation de complexe avec les métaux (Schultz et Nicholas, 2002, Su et al., 2012). Récemment, Su et al. (2012) ont montré que les groupes phénoliques ont un plus grand pouvoir absorbant que les groupes carboxyles envers les métaux, comme le Zn, dans le bois d’épinette. De plus, le Zn est un micronutriment essentiel à l’arbre et il offre également une résistance aux maladies liées aux champignons et aux bactéries (Kabata-Pendias, 2010b). Par conséquent, nous en avons déduit que le Zn dans nos séries peut potentiellement être complexé par des groupes phénoliques pour fournir une protection contre les maladies dans la zone du duramen, expliquant ainsi la diminution des concentrations à partir de la zone de transition aubier-duramen (Chapitre 4, Article II).

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Le profil des rapports δ66Zn du site 2 montre une tendance à la diminution significative de 1877 à 2009 (P < 0,0001), tandis que celui du site 3 est inchangé à long-terme (Figure 28 ; Annexe C). En revanche, la plupart des variations observées pour les deux sites se situent à l’intérieur de l’erreur analytique. Le modèle de translocation évoqué pour expliquer les profils de concentration du Zn implique vraisemblablement une série de processus biogéochimiques complexes. Il est possible que les différentes étapes impliquées génèrent des fractionnements isotopiques successifs d’enrichissement et d’appauvrissement (ex. absorption, résorption, complexation). À ce titre, les profils uniformes δ66Zn du bois des cernes des arbres ne sont pas incompatibles avec le modèle de translocation invoqué. Rappelons toutefois qu’il est à ce stade impossible d’expliquer l’influence spécifique de chaque étape de la translocation sur le fractionnement isotopique du Zn (Chapitre 4, Article II). Cette hypothèse pourra être explorée plus en profondeur dans le futur car : (1) il existe très peu d’information sur les phénomènes de translocation du Zn ; (2) le degré de fractionnement de ce genre de processus sur les isotopes du Zn n’est pas connu. Finalement, nous notons qu’il existe des similitudes entre les profils de δ66

Zn des arbres des deux sites, par exemple de 1954 à 1978. Toutefois, nous pensons qu’il serait non rigoureux de les interpréter comme étant influencées par les conditions environnementales considérant que la translocation semble responsable des profils observés.

Les facteurs influençant les séries

Figure 28 Comparaison des profils du rapport δ66Zn des sites 2 (courbe rouge) et 3 (courbe saumon) avec la zone de transition aubier-duramen Le rectangle gris foncé correspondant à la zone de transition du site 2 et le rectangle gris clair à celle du site 3.

La totalité des éléments analysés dans les cernes des épinettes blanches (sauf le Pb) montrent donc des profils pouvant être associés à la translocation radiale ; que ce soit une augmentation (K, P, Fe et Cu) ou une diminution (Ca, Mg) des concentrations du cœur de l’arbre vers l’écorce, ou encore une diminution (Mn et Zn) à partir de la zone de transition aubier-duramen jusqu’à l’écorce (Tableau 11).

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Tableau 11 Tendances radiales des éléments analysés dans les cernes d’épinettes blanches des deux sites et pouvant être liées aux processus physiologiques

Éléments Tendance radiale

K P Ca Mg Fe Cu Mn Zn

: Augmentation de la moelle vers l’écorce : Diminution de la moelle vers l’écorce

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