1.6 Changement de mesure dans le système de particules look-down
1.6.2 Le Q-processus d’un Λ-Fleming-Viot
Nous avons conditionné en section 1.2.5 un CB vérifiant {τ0(X) < ∞} p.s. à l’évènement
{τ0(X) = ∞} par le biais d’un passage à la limite, et avons appelé le processus résultant Q-
la propriété d’absorption p.s., au sens où Rt est, pour t assez grand, p.s. réduit à une masse de Dirac en le type aléatoire ξ0(1). Ceci signifie que le seul type ξ0(1) subsiste au bout d’un temps
suffisamment long. Notre objectif est maintenant de conditionner tout Λ-Fleming-Viot qui vérifie la propriété d’absorption p.s. à la non absorption. Cet objectif avait déjà été menée à bien à l’aide de techniques analytiques dans le cas de la diffusion de Wright-Fisher, on pourra consulter Lambert [86], qui pointe lui-même vers les travaux de Kimura [73]. Nous proposons une approche nouvelle, basée sur le système de particules look-down, qui permet de calculer le générateur du
Q-processus, et permet en outre d’expliquer la forme de ce générateur.
Nous supposons donc dans toute cette section que Z(dx) = R(dx) est un Λ-Fleming-Viot, et on rappelle que l’exposant de Laplace du subordinateur U est lié à la mesure Λ par l’équation (1.32). On choisit de travailler avec l’espace des types E = {1, . . . , K′} plutôt que [0, 1] par commodité.
Un outil important dans cette étude est le changement de filtration. On définit à cet effet les deux filtrations d’intérêt :
– (Ft= σ{(ξs(n), n ∈ N), 0 ≤ s ≤ t}) la filtration associé au système de particules. – (Gt= σ{Rs, 0≤ s ≤ t}) la filtration associée au processus R.
On considère le processus R conditionné à la coexistence des K premiers types à l’instant t, pour
K entier fixé compris entre 1 et K′ :
∀A ∈ Gt, P(R(≥t) ∈ A) = P R ∈ A| K
Y
i=1
Rt{i} 6= 0,
Il n’est pas aisé de définir la structure probabiliste du processus R(≥t) à t fixé. Néanmoins, pour
t grand, on peut en s’aidant du système de particules look-down prouver que R(≥t) restreint à
une fenêtre de temps [0, s] près de l’origine, admet une structure simple, qui peut être décrite en fonction d’un nouveau système de particules ξ∞. Un élément clef dans l’analyse est l’introduction
de L(t) le premier niveau auquel les K premiers types sont apparus dans le système de particules original ξ :
L(t) = inf{i ≥ K, {1, . . . , K} ⊂ {ξt(1), . . . , ξt(i)}}.
On définit le système de particules ξ∞, semblable au système de particules original ξ, avec deux
différences majeures : les K premiers types sont forcés d’occuper les K premiers niveaux, puis les évènements de reproduction impliquant au moins 2 des K premiers niveaux sont interdits, de sorte que les K premiers types restent aux K premiers niveaux à tout instant ultérieur. La définition précise est la suivante :
(i) La suite finie (ξ∞
0 (j), 1 ≤ j ≤ K) est une permutation uniforme de {1, . . . , K}, et la suite
(ξ∞
0 (j), j ≥ K + 1) est une suite aléatoire indépendante échangeable, de fréquence asymptotique
R∞ 0 de loi : P(R∞ 0 ∈ A) = E 1A(R0) QK i=1R0{i} E(QK i=1R0{i}) ! .
(ii) Les évènements de reproduction sont gouvernés par la restriction de la mesure de Poisson N (définie dans à la section 1.5.1 lors de la construction de R) à l’ensemble
V :=n(s, π), π|[K]= {{1}, {2}, . . . , {K}}o,
où π|[K] désigne la restriction de la partition π à {1, . . . , K}.
Par un argument d’absolue continuité, on montre que le système de particules ξ∞ ainsi construit
est bien défini, et admet une mesure de de Finetti notée R∞
R∞t (dx) = lim N →∞ 1 N N X n=1 δξ∞ t (n)(dx),
Notons PK la loi du processus de Markov (L(t), t ≥ 0) issu de K. Nous pouvons alors énoncer le Théorème suivant. Théorème. [65]. Soit s ≥ 0 fixé. Si : lim t→∞ PK+1(L(t) < ∞) PK(L(t) < ∞) = 0, (1.33)
alors la famille de processus (Ru(≥t), 0≤ u ≤ s) converge en loi vers le processus (R∞u , 0≤ u ≤ s)
quand t tend vers ∞.
Noter que la condition (1.33) implique l’absorption p.s. En effet, on a PK+1(L(t) < ∞) → 0 de (1.33), et donc L est infini p.s. en temps fini. Des conditions suffisantes sous lesquelles la condition (1.33) vaut sont explicitées dans l’article. On introduit, pour i ≥ 1, les quantités :
ri = i(i− 1) 2 c + Z (0,1] ν(dx)1 − (1 − x)i− ix(1 − x)i−1.
Elles représentent le paramètre de la variable aléatoire exponentielle qui gouverne le temps passé par une particule au niveau i dans le sytème de particules look-down original ξ. On a alors l’égalité suivante : Proposition. [65]. Soit t ≥ 0, et A ∈ Gt : P(R∞∈ A) = E 1A(R) QK i=1Rt{i} E(QK i=1R0{i}) erKt ! . (1.34)
Noter que cette Proposition vaut sans faire l’hypothèse d’absorption p.s..
Plaçons nous désormais dans le cas K = K′ = 2. La population compte donc deux types, et
nous conditionnons le processus à la survie de ces types en temps long. Dans ce cadre simple, le
Λ-Fleming-Viot est maintenant assimilable au processus (Rt{1}, t ≥ 0) à valeurs dans [0, 1], et Bertoin et Le Gall donnent dans [15] son générateur infinitésimal :
Gf (x) = 1 2cx(1−x)f′′(x)+x Z (0,1] ν(dy)[f (x(1−y)+y)−f(x)]+(1−x) Z (0,1] ν(dy)[f (x(1−y))−f(x)],
de domaine f ∈ C2([0, 1]). On obtient alors le théorème suivant, et son interprétation à suivre :
Théorème. [65]. Supposons K = K′ = 2. Définissons pour f ∈ C2([0, 1]), et x ∈ [0, 1] :
G0f (x) = c(1− 2x)f′(x) +Z
(0,1]y(1− y)ν(dy)[f(x(1 − y) + y) − f(x)]
+Z
(0,1]y(1− y)ν(dy)[f(x(1 − y)) − f(x)],
G1f (x) = 1 2cx(1− x)f′′(x) + x Z (0,1](1 − y) 2ν(dy)[f (x(1 − y) + y)) − f(x)] + (1 − x)Z (0,1](1 − y) 2ν(dy)[f (x(1− y)) − f(x)].
Alors l’opérateur G0+ G1 est le générateur du processus (R∞
t , t≥ 0).
Une preuve directe dans le cadre d’un Λ-Fleming-Viot à sauts purs, c’est à dire pour lequel
Λ{0} = 0, est la suivante. On écrit :
ν(dy) = 2y(1− y)ν(dy) + (1 − y)2ν(dy) + y2ν(dy),
puis on interprète comme suit les différents termes de la somme :
1. Le premier terme est la somme des deux mesures y(1 − y)ν(dy) qui apparaissent dans l’expression de G0. Chacune de ces deux mesures correspond à l’intensité des évènements
de reproduction qui concernent le niveau 1 mais pas le niveau 2, ou le niveau 2 mais pas le niveau 1, puisque ces évènements ont pour probabilité y(1 − y) lorsque l’évènement de reproduction implique une fraction y de la population. Nous interprétons ces évènements comme des évènements d’immigration.
2. Le second terme correspond à la mesure (1 − y)2ν(dy)qui apparaît dans le générateur G1
et correspond à l’intensité des évènements de reproduction qui n’impliquent ni 1 ni 2 : à nouveau, cet évènement a pour probabilité (1 − y)2 lorsque l’évènement de reproduction
implique une fraction y de la population. Le père est alors de type 1 avec probabilité x la fréquence asymptotique des particules de type 1, et de type 0 avec probabilité 1 − x. Nous interprétons ces évènements comme des évènements de reproduction.
3. Le troisième terme de la somme n’apparaît ni dans l’expression de G0, ni dans celle de G1 : il
correspond à l’intensité des évènements de reproduction qui impliquent à la fois les niveaux 1 et 2, mais ces évènements ont été effacés dans notre construction de R∞.
Nous donnons dans l’article une version plus générale, incluant les cas où Λ{0} 6= 0, dont la preuve est basée sur l’expression (1.34) de R∞ comme h-transformée de R. Il est intéressant de
comparer le Q-processus du Λ-Fleming-Viot avec le Q-processus des processus de branchement : alors qu’il est nécessaire d’ajouter des évènements de reproduction lorsqu’on conditionne un processus de branchement à la non-extinction (voir la construction de Kesten de l’arbre de Galton-Watson conditionné à la non extinction par exemple), il faut effacer des évènements de reproduction lorsqu’on conditionne un Λ-Fleming-Viot à la non-absorption. On peut certes interpréter ξ∞ comme un système de particules où les K premiers niveaux agissent comme K
sources d’immigration, mais alors les niveaux suivants se reproduisent selon une mesure biaisée égale à (1 − y)KΛ(dy), et cette mesure est dominée par Λ(dy) au sens de l’ordre stochastique.