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Processus de construction des problèmes sociaux

Chapitre 2 Cadre théorique

2.1 Processus de construction des problèmes sociaux

Donileen R. Loseke (2003) aborde le processus de création des problèmes sociaux selon une perspective constructiviste. Dans cette perspective, les problèmes sociaux n’existent pas de manière purement objective. C’est l’être humain qui attribue un sens aux expériences et qui construit ainsi les problèmes sociaux. Une situation qui cause préjudice peut ainsi exister sans qu’elle soit qualifiée de problème social. Elle deviendra un problème social si certains individus, qu’elle nomme les

claims-makers, militent pour qu’elle soit reconnue comme telle par un ensemble de

personnes (auditoires).

2.1.1 Les trois principaux paramètres

Le processus de construction des problèmes sociaux procède par l’adoption de paramètres qui permettent de catégoriser certaines expériences et personnes comme partie prenante de la problématique, ainsi que de prioriser certaines solutions. Ces paramètres sont: (1) le cadre diagnostique ; (2) le cadre motivationnel; (3) le cadre pronostique.

(1) En établissant un cadre diagnostique, les claims-makers définissent la situation jugée problématique. Ils lui attribuent un sens et des

causes. Ils désignent l’acteur, le groupe ou l’institution qui a causé le problème. Une même situation peut être considérée sous plusieurs angles. Selon l’angle retenu, l’acteur, le groupe ou l’institution tenus pour responsable pourra varier.

(2) Le cadre motivationnel aborde l’importance de mettre fin à une situation jugée préjudiciable. Cela peut se faire en se reposant sur un argumentaire logique ou en faisant appel aux émotions. Pour y parvenir, un portrait typique des acteurs impliqués, victime et vilain, selon l’expression de Loseke, est proposé.

(3) Le cadre pronostique met de l’avant les actions à privilégier pour mettre fin à la situation. Il indique ce qui devrait être fait et qui a la responsabilité de le faire. Il légitime certaines solutions et met de l’avant certains indicateurs de succès.

Au Québec, ce sont les groupes de femmes et leurs alliés qui ont surtout contribué à définir la violence conjugale comme un problème social à partir des années 1970. Ce faisant, ils ont établi les bases pour répondre notamment aux questions suivantes : qu’est-ce qui correspond à de la violence conjugale; qu’est-ce qui ne

correspond pas à de la violence conjugale; qui en est victime; qui en est responsable; doit-on intervenir auprès des partenaires séparément ou ensemble?

Leurs réponses, qui s’articulent à l’intérieur des trois paramètres, orientent le discours social concernant la problématique et offrent des repères afin d’identifier les expériences et les personnes principalement concernées, ainsi que les interventions à préconiser. Cependant, les phénomènes sociaux sont complexes et plusieurs analyses d’une même situation peuvent entrer en compétition. Par exemple, certaines interactions entre partenaires intimes peuvent être catégorisées par certains comme étant de la violence conjugale (problème social), alors que ces mêmes interactions pourraient être catégorisées comme des chicanes de couple (problème privé) par d’autres. Les différents auditoires (personnes à convaincre) ont des ressources limitées (ex. : temps, connaissances) pour évaluer les situations

et les analyses proposées. Les claims-makers doivent donc employer certaines stratégies leur permettant de simplifier leur discours tout en étant convaincants.

2.1.2 L’utilisation du récit typique

Parmi ces stratégies, les claims-makers doivent formuler les problèmes sociaux sous la forme de récits typiques. Les récits comprennent des images emblématiques pour catégoriser les victimes et les vilains. Ils renseignent sur l’expérience vécue par ces personnes, bien qu’ils ne rendent pas compte de la diversité de leurs expériences (Loseke, 2003). Une des stratégies employées par les claims-makers consiste à construire la victime comme souffrant terriblement et comme étant pure. À l'opposé, le vilain est construit comme étant responsable des souffrances causées à la victime et comme étant extrêmement mauvais. Les constructions de victime et de vilain sont présentées comme étant à deux extrêmes : le bien et le mal (Loseke, 2003). Cette stratégie permet de susciter l’indignation des auditoires à l’endroit des vilains et l’empathie envers des victimes.

Dans le cas de la VC, le récit le plus répandu est celui de la femme victime et de l’homme auteur de violence. Il s’agit du discours dominant en VC. La responsabilité est entièrement attribuée à l’homme auteur et correspond davantage à ce que Johnson (2008) nomme du terrorisme intime. Dans le terrorisme intime, l’auteur de violence est très contrôlant et la violence exercée est sévère. Cependant, Johnson (2008) postule que la VC est davantage complexe et qu’elle renvoie à différentes dynamiques de violence. Si la VC est plus complexe, comme le propose Johnson (2008), la VC peut aussi être réactionnelle, donc, utilisée par la victime qui subit du terrorisme intime en réponse à la violence subie. Elle peut aussi être situationnelle, auquel cas un des partenaires ou les deux peuvent utiliser de la violence, généralement moins sévère, mais sans qu’il y ait de dynamique de contrôle.

L’utilisation du récit typique est efficace pour convaincre les auditoires de l’importance d’un problème social et est nécessaire dans le cadre du processus de reconnaissance des problèmes sociaux. Cependant, elle peut créer un écart entre la définition sociale du problème et l’expérience telle qu’elle est vécue par les

individus concernés. Par exemple, certains CCV peuvent ne pas se reconnaître dans les récits qui les identifient comme extrêmement mauvais ou uniques responsables. Cela peut amener ces hommes à ne pas reconnaître leur problématique de violence. Ainsi, les claims-makers ne produisent pas des récits qui répertorient l’ensemble des expériences vécues. Ils produisent plutôt des récits convaincants qui ont des impacts différents sur les plans culturel, institutionnel, organisationnel et individuel (Loseke, 2007).

2.2 Résonnance des récits typiques sur la construction des problèmes