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3.1 Problématique

Du fait de notre inscription professionnelle dans le champ de la formation des soignants et patients en éducation thérapeutique, nous avons centré l'objet de notre recherche sur le discours des infirmières. Nous avons choisi d’analyser les perceptions du geste intracorporel lors de sa réalisation et la construction d’un comportement pour s’en acquitter alors qu’il crée forcément des émotions de part et d’autre chez les acteurs.

Comme évoqué précédemment, nous souhaitons identifier si les infirmières réifient effectivement le corps du malade lors de la réalisation de ce geste et ce qui éventuellement les poussent à le faire.

Dans la partie précédente, nous avons cherché à présenter le contexte dans lequel les infirmières se situent pour réaliser leur geste intracorporel. Nous avons vu que tout vécu ne fait pas expérience car l’expérience nécessite une pensée réflexive confrontée à une relation à autrui. Il est donc important de prendre conscience que le discours d’une infirmière ne révèle pas toujours tout son vécu. Pour rendre visible un geste intracorporel, il est nécessaire d'approfondir ce qui n’est pas toujours pré-réfléchi par cette dernière avec un outil méthodologique spécifique.

Nous avons perçu également que ce geste était assujetti à un environnement spécifique qui englobe une prescription et des paradigmes du prendre soin mais aussi des dimensions didactiques au regard de tâches et de techniques particulières utilisées lors du geste de métier. Cela impose à l’infirmière un rôle social et plus spécifiquement une identité professionnelle (Wittorski, 2008).

Néanmoins, nous avons vu qu’il existait aussi des dimensions subjectives qui intègrent le réel de l’activité de l’infirmière (Clot, 2010) avec des conflits, dilemmes par rapport au savoir, à la difficulté du geste et au rôle social imposé. De plus, un geste de soin n’est pas anodin et impose à l’infirmière de se protéger. Ainsi au regard du concept de mimesis social (Gebauer & Wulf, 2004), les infirmières remodèlent leurs pratiques même si elles sont réglées par un habitus (Bourdieu, 1972 ; 1980) et une reprise de pratiques existantes. Elles jouissent de la possibilité d’une activité créative selon leur touche personnelle avec une certaine part de bricolage (Lévy Strauss, 1962) ou d’improvisation réglée (Meirieu, 1990). Leur ingéniosité

sur le terrain précède et prolonge leur technicité. Certaines sont également prêtent à user d’un certain braconnage (De Certeau, 1981) pour mieux correspondre à leurs valeurs ou besoins. En effet, notre étude précédente (Obertelli, P. (dir.) ; Pouteau, C., Habery-Knuessi, V. ; Dancot, J ; Le Roux, A. ; Llambrich, C. (2015)) a montré que les représentations qu’une infirmière a sur le rôle qu’elle pense devoir jouer vis-à-vis d’un malade impacte sur son comportement mais encore faut-il qu’elle s’autorise à réaliser son geste conformément à ses représentations. Cela peut la conduire à avoir deux identités professionnelles différentes : une identité pour autrui et une identité pour soi (Dubar, 1994). Ainsi, cela implique une rationalisation du geste de métier pour le transformer en geste professionnel et ce au regard de motifs à agir et de pré-occupations et représentations plus personnelles de l’infirmière.

C’est pourquoi, notre recherche vise à approfondir le vécu de ce geste intracorporel par l’infirmière, en identifiant ses activités mentales opérées lors de la résolution de tensions et ses motivations à agir entre ce qu’elle pense devoir faire (Nous, les infirmières) et ce qu’elle peut faire (Moi, l’infirmière).

Obligations professionnelles Intuitions ACTIVITE S MENTALE S Compromis opératoires ACTION ET COMPORTEMENT Recherche d’efficacité et d’efficience dans le rapport au temps et la réalisation du geste : - Objectifs (malade) - Subjectifs (soignant) Se protéger RESULTATS PERCUS Résoudre des tensions entre…

Exigences du corps/ressentis Gestes routiniers ou nouveaux Temporalité dans l’apprentissage Prescription et étiquetage du soin Matériel et environnement Conflits Agir professionnel

Dispositif construit dans un geste intracorporel Savoirs, savoir-faire, savoir-être mis en jeu

Gestes de vigilance

Risques Affects/fantasmes

Malade, son corps, ses attentes, son

vécu Gestes d’autonomisation, de régulation et d’accompagnemen t

DIFFERENTS GESTES ET POSTURES OBJECTIFS LORS DU GESTE Gestes de métier Rôle professionnel Gestes professionnels Rôle personnel Convictions professionnelles et personnelles

Moi : l’infirmière Nous : les

infirmières

Il s’agit de mettre en exergue les conflits et risques auxquels elle doit faire face au regard de motifs personnels et dans quelle mesure cela peut engendrer des comportements différents de ce qui est attendu par les recommandations de pratiques infirmières, notamment la réification du malade. Nous chercherons à identifier quels sont leurs motifs à agir et comment elles priorisent leur choix.

Nous verrons aussi en quoi les spécificités du toucher et du rapport au corps de l’autre ainsi que les transactions émotionnelles qu’elle opère avec elle-même et son environnement interagissent sur la réalisation du geste intracorporel. Il s’agit d’identifier également comment elles s’économisent et se protègent face à des situations difficiles mais aussi comment elles s’autorisent à faire différemment de ce qui leur est imposé.

Ainsi, nous cherchons à décrire, analyser et comprendre les conduites concrètement adoptées par les infirmières en situation réelle lors d’un geste intracorporel, face à l’inconnu et à l’imprévisible de l’acte et de la relation au malade.

En ce sens, nous souhaitons identifier d’autres significations que celles qu’elles accordent spontanément à leurs actes (Barbier, 2008). Il s’agit notamment de découvrir le sens des activités que les soignantes réalisent notamment en termes de représentations, d’intentions/enjeux symboliques, les obstacles et les stratégies soumises à une rationalité de leurs gestes (Dejours, 2014) mais aussi à leurs valeurs.

Pour ces raisons, notre recherche vise à accéder à cette parole du non-dit d’une profession émotionnellement impliquée et de rendre visibles les activités mentales dans le cadre de gestes de soin pour permettre un débat, voir une évolution des regards profanes et des pratiques de la communauté de soignants mais aussi des malades et des formateurs.

Pour ce faire, dans le cadre théorique de notre thèse énoncé dans la partie 5, nous explorerons les faits relevant de l’activité mentale lors d’un geste intracorporel sur un malade. Nous essayerons ainsi de les caractériser en nous interrogeant sur les effets de comportements, l’identité professionnelle utilisée dans les différentes phases d’un soin technique et plus

spécifiquement la posture adoptée par les infirmières envers le malade lors de l’intrusion du corps.

De même, dans cette recherche, il nous semble judicieux de porter une attention particulière à la question spécifique de la micro-culture du geste, ce qui est une seconde façon de mettre en contexte notre objet de recherche puisque nous travaillons à partir des dires des infirmières qui agissent au sein d’une structure donnée. Cette mise en contexte a pour but d’identifier d’une part, l’impact éventuel de l’organisation du service sur la réalisation du geste intracorporel et d’autre part, les évolutions inconscientes que cela peut opérer sur le geste lui-même.

Il s’agit de présenter le cadre théorique qui informe ces questions et qui soutiendra l'interprétation des résultats au regard d’hypothèses que nous formulons dans le chapitre suivant.

3.2 Hypothèses

Au regard de l’ensemble du contexte exposé précédemment, nous proposons trois hypothèses que nous utiliserons pour analyser l’activité des infirmières :

1ère hypothèse : La réalisation d’un geste intracorporel nécessite une préparation mentale spécifique de déroulement des étapes de l’intervention, dès la lecture de la prescription. Cependant, une infirmière prépare son geste sans être en capacité de prévoir le risque de l’intrusion car chaque acte intracorporel est singulier du fait de la personne et de l’environnement.

2ème hypothèse : Pour réaliser des gestes intracorporels, les infirmières se concentrent fortement, s'isolent en créant une "bulle de simplicité" ou par autohypnose (Lachaux, 2013) ou par activité passive (Honore, 2011) où l’intuition prend le dessus sur la conscience de l’acte.

3ème hypothèse : Il existe des micro-cultures d’activité différentes au sein des services dans les gestes intracorporels qui sont indicibles pour les pairs. C’est l’expertise de pouvoir faire des choses rapidement sans savoir ce que l’on mobilise.

4. QUATRIEME PARTIE : CADRE THEORIQUE RELATIF A

L’ENVIRONNEMENT SCIENTIFIQUE