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Au regard des études récentes, l'analyse des rapports intergénérationnels constitue donc un élément essentiel pour comprendre les dynamiques de la sphère publique religieuse qui émergent dans l'Afrique subsaharienne d'aujourd'hui. Ce mémoire souhaite ainsi explorer l'avenue encore peu exploitée de l'intergénérationnel en lien avec la pratique de l'islam, alors que l'imamat et la fonction de prêcheur se révèlent être de bons moyens pour les jeunes de prendre une place dans la sphère publique, de susciter l'intérêt des aînés et par là même de revendiquer et de gagner une certaine légitimité. L'intérêt sera de montrer que l'analyse des interactions intergénérationnelles permet d'apporter un éclairage nouveau et pertinent sur les profondes mutations qu'a subi l'islam burkinabé depuis 1960 : ses rapports complexes avec l'État, les relations internes entre ses différentes tendances, oscillant entre tensions et rapprochement ainsi que l'accroissement de sa visibilité et le nouveau rôle joué par les imams et les prêcheurs, dont plusieurs sont des jeunes, dans l'émergence d'une sphère publique musulmane.

Il s'agira de voir comment l'autoritarisme et les stratégies de cooptation et de clientélisme politique déployées par le pouvoir postcolonial burkinabé jouèrent sur le contenu sociopolitique des discours des imams et des prêcheurs musulmans depuis l'indépendance en 1960. Selon les espaces d'autonomie offerts par l'État, ces acteurs

musulmans, dans leurs différentes formes de participation à la vie sociale à l'occasion d'un sermon, d'un prêche ou de toutes autres interventions dans la sphère publique ou les médias, naviguèrent entre le soutien, l'apolitisme, la contestation détournée et l'opposition plus directe envers le pouvoir. Souvent empêtrés dans leurs divisions dogmatiques, les imams et les prêcheurs furent, dans une grande mesure, absents des débats sociopolitiques en faisant preuve d'un apolitisme, voire même une attitude complaisante envers le pouvoir. Cependant, depuis 1991 avec l'amorce d'une transition démocratique, leurs discours s'éloignèrent des débats doctrinaux au profit des questions sociales, culturelles et, dans une moindre mesure, politiques. Malgré une certaine standardisation de leurs propos, ceux des jeunes imams et prêcheurs et plus particulièrement ceux des francophones participent à l'émergence d'une sphère publique musulmane. À travers la figure du « bon musulman », l'islam sert à définir un ensemble de normes morales et citoyennes sur lesquelles l'individu et le collectif doivent s'appuyer.

Parallèlement à cela, un deuxième axe d'analyse mettra en évidence les développements internes de la communauté musulmane burkinabée entre 1960 et 2012 en relevant les permanences et les ruptures dans la façon dont la légitimité et l'autorité religieuse furent définies et revendiquées par les différentes cohortes et générations d'imams et de prêcheurs. De cette manière, il sera possible de prendre la mesure de l'« effet de cohorte » et du stade de la vie (jeune vs aînés) sur la légitimité et l'autorité spirituelle de même que la place de l'islam dans la sphère publique du Burkina Faso. D'une part, il s'agira de distinguer divers profils d'imams et de prêcheurs à travers trois cohortes successives. La première, celle qui vécut les premiers temps de l'indépendance (1960-1973), fut marquée par l'affirmation d'une vague de wahhabites revenus du pèlerinage de La Mecque en 1962 et 1963. Ces derniers, auréolés d'un grand prestige par leur accomplissement du hadj93, se considérèrent comme les seuls détenteurs du « vrai islam » et critiquèrent fortement l'« ignorance » religieuse de la « vieille génération » d'imams et des marabouts locaux détentrice de la tradition islamique. Une deuxième cohorte, celle du milieu des années 1970 et de la décennie 1980, se caractérisa par l'émergence de jeunes arabisants, dont plusieurs revinrent de leurs études dans les universités arabes, et d'une nouvelle élite de jeunes

musulmans francisants94. Les premiers comptèrent sur leur bonne maîtrise de la langue arabe et leur niveau élevé de connaissances en matière de sciences islamiques pour affirmer leur autorité spirituelle alors que les francophones, malgré leur formation à l'occidentale dans les écoles publiques laïques, revendiquèrent une place aux côtés des arabisants. Enfin, la troisième cohorte, celle de la période de la transition démocratique depuis 1991, se distingua par sa grande visibilité dans la sphère publique. La grande médiatisation des imams et prêcheurs favorisa une reconfiguration de l'autorité religieuse avec l'importance accrue accordée aux connaissances religieuses, mais aussi aux talents d'orateur et au charisme.

D'autre part, l'intérêt sera aussi de souligner l'actuelle reconfiguration des rapports intergénérationnels entre les aînés, qui détiennent l'« autorité traditionnelle » fondée sur l'âge, et les jeunes imams et prêcheurs. Ceci consistera à cerner l'évolution de ces rapports au Burkina Faso et d'analyser dans quelle mesure ils oscillent entre plusieurs postures : le conflit ouvert, la tension latente, la négociation, le compromis ou la concertation. La charge d'imam et celle de prêcheur, longtemps considérées comme une « affaire de vieux », étaient caractérisées par la prédominance des aînés qui fondaient leur autorité spirituelle en grande partie sur l'âge et qui exerçaient leurs fonctions comme une charge coutumière au détriment de leurs cadets. Les jeunes, dans l'ombre des plus vieux, ne contestèrent pas ce contrôle traditionnel. Les années 1980 furent animées d'une double dynamique au niveau des relations intergénérationnelles. Elles furent marquées par des tensions avec le retour des jeunes étudiants musulmans de leurs études dans les grandes universités arabes qui, pour plusieurs, commencèrent à critiquer ouvertement certains comportements de leurs aînés. Ces rapports furent aussi caractérisés par des rapprochements notamment au sein des wahhabites où les aînés laissèrent une grande place aux jeunes en les laissant accéder à la fonction d'imam pour les aider à « combattre » le soufisme. Ce phénomène de

davantage vers la négociation, le compromis et la concertation, il subsiste néanmoins des tensions dans plusieurs mosquées, dont celles de type confrérique, où les aînés détiennent toujours un ascendant sur les cadets.

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