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Lorsque l’on entend parler d’un crime ou d’un acte de violence, les premières questions que nous nous posons concernent généralement l’auteur et la victime de l’infraction (Qui a fait ça ? Qui est la victime ? Quels préjudices a-t-elle subi ?) puis l’acte qui a été commis (Quel a été le mode opératoire ?). Ces interrogations révèlent notre besoin de trouver une explication à la survenue d’un événement et d’en chercher les causes d’abord dans les caractéristiques personnelles des protagonistes impliqués (Ross, 1977).

De nombreuses études indiquent un taux élevé de victimisation des personnes handicapées (Brownridge, 2006; Dube, 2007; Hassouneh-Phillips & McNeff, 2005; Perreault & Centre Canadien de la Statistique Juridique, 2009). Il semble donc important de s'interroger sur la façon dont le handicap est appréhendé dans le domaine de la justice. Un récent rapport de l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) prend en considération pour la première fois le handicap comme variable dans l’analyse des données (Rizk, 2016). La nouvelle enquête sur les violences et rapports de genre (VIRAGE), qui est en cours de réalisation par l’Institut National d’Études Démographiques (INED), va également pour la première fois tenir compte des personnes en situation de handicap. Les recherches portant sur le handicap dans le milieu judiciaire mettent surtout l’accent sur les handicaps mentaux et intellectuels des auteurs et des victimes. Les handicaps physiques et sensoriels ne sont retrouvés que dans les études concernant les victimes en situation de handicap. Les travaux présentés précédemment montrent également que la vulnérabilité des personnes en situation de handicap ne serait la même, ni pour tous les types de handicap, ni pour tous les crimes et délits.

La société porte depuis quelques années un nouveau regard sur la famille et le couple, milieux auparavant clos, au sein desquels il était possible d’exercer la violence de manière quasi-impunie. Petit à petit, la justice pénètre la sphère privée des individus et la prévention des violences intrafamiliales revêt un caractère public. En 2010, « la lutte contre les violences faites aux femmes » a été déclarée grande cause nationale en France. En 2015, l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) a mis en place une plateforme d’écoute spécialement dédiée aux femmes handicapées victimes de violences conjugales. Cette atteinte aux personnes est l’une des infractions choisies pour les travaux de cette thèse. Afin de faire varier la nature des faits, un autre délit a été étudié : les vols avec violence. Les vols sont des infractions relativement courantes que tout le monde peut facilement imaginer. Comme nous avons pu le voir, les vols avec violence sans arme sont les plus nombreux, c’est pourquoi nous avons décidé de prendre ce

81 type d’atteinte aux biens comme deuxième modalité de notre variable « type d’infraction ». Les premiers travaux présentés portent sur l’analyse d’archives judiciaires. L’intérêt de ces études était dans un premier temps de vérifier la présence de handicap dans les deux infractions précédemment citées. Puisque les personnes en situation de handicap sont « plus à risque », nous devrions les retrouver dans les dossiers judiciaires. Ensuite, nous souhaitions comparer les dossiers avec et sans handicap afin d’examiner les facteurs personnels, familiaux, sociaux et légaux en jeu dans ces affaires et constater, ou non, des différences entre ces dossiers. Ce travail étant exploratoire et descriptif, nous n’avons pas émis d’hypothèse particulière relative au handicap pour l’étude portant sur les vols avec violence. Toutefois, concernant l’analyse des dossiers relatifs aux violences au sein du couple, comme l’ont montré Przygodzki-Lionet, Patard et Humez (2016), nous pouvons nous attendre à observer une majorité de mis en cause de sexe masculin, consommant un certain nombre de produits et plus particulièrement de l’alcool, vivant maritalement, ayant un niveau scolaire moyen, une activité salariée et étant connus des services judiciaires (H1).

Un certain nombre de processus psycho-socio-cognitifs vont influencer les interactions sociales. Les relations entre les individus, entre les groupes amènent des pensées, des émotions, des actions. Lorsque l’on perçoit une personne en situation de handicap, on peut ressentir des affects spécifiques vis-à-vis de cette personne et de sa déficience, ces affects influençant le jugement social. Le handicap peut nous renvoyer à nos craintes et nos peurs de moindre performance, d’intégrité physique et intellectuelle altérée, de fragilité humaine. Les affects négatifs tels que la pitié et/ou la gêne peuvent être ressenties vis-à-vis des personnes handicapées : l’interaction avec ces personnes peut alors devenir compliquée. Comment seront perçus les protagonistes d’une infraction (auteur et victime) lorsque l’un des deux présentera un handicap ? Les perceptions étant différentes en fonction des handicaps (Rohmer & Louvet, 2011), plusieurs d’entre eux seront étudiés dans les études expérimentales de cette thèse : (a) le handicap moteur fortement associé à l’image d’une personne en fauteuil roulant (Rohmer & Louvet, 2011), (b) le handicap intellectuel, et plus particulièrement la trisomie 21 renvoyant généralement à l’image d’une personne agréable et joviale (Rohmer & Louvet, 2011), (c) le handicap psychique très souvent associé à la dangerosité (Castillo et al., 2008; Link et al., 1999; Lovell, 2005). Les recherches expérimentales présentées dans la suite de ce document prennent appui sur le modèle de Weiner (1985, 2005) postulant que nos actions découlent de nos cognitions et de nos émotions. Lorsque l’on est témoin d’une infraction, la détermination des responsabilités de chacun des protagonistes provoque des affects qui peuvent être positifs ou négatifs envers les personnes impliquées. Ces

82 émotions ressenties vont déterminer les actions mises en place, actions qui pourront être pro ou antisociales. L’analyse des jugements de responsabilité est complétée par la prise en considération des émotions et des types d'intervention suscités par les situations de handicap. Pour les trois études expérimentales, nous nous attendons à ce que la responsabilité attribuée aux auteurs ayant un handicap soit atténuée par rapport à celle allouée aux auteurs sans handicap (H2) et plus particulièrement, conformément à ce qu’a pu indiquer Sicot (2006), nous postulons que le taux de responsabilité pour les auteurs ayant un handicap mental ou psychique sera inférieur à celui d’un auteur en situation de handicap moteur (H3). Comme ont pu le montrer Burt (1980) ou Hopayian et al. (1983), la victime est considérée comme responsable de sa situation, nous pouvons donc nous attendre à ce que nos participants aient attribué une responsabilité à la victime pour sa propre victimisation (H4). Concernant les affects, nous n’émettrons que des hypothèses générales. Nous nous attendons à observer un effet de la présence d’un handicap sur les affects (H5). Comme ont pu le montrer Rohmer et Louvet (2011), les stéréotypes ne sont pas les mêmes en fonction des handicaps, nous postulons donc que le type de handicap aura un effet sur les affects ressentis (H6). Enfin, sur les intentions et les actions réellement entreprises, nous nous attendons à ce que la présence d’un handicap augmente la mise à distance et donc l’inaction comparativement à la situation sans handicap (H7) comme ont pu le montrer Cottle et al. (1995), Dagnan et al. (1998) ou Stanley et Stander (2000, tous cités par McBrien & Murphy, 2006).

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Deuxième partie

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