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I. Première partie : Synthèse bibliographique

2. Vieil anti ioti ue toujou s d’a tualité : usages et problématiques

2.3. Problèmes de toxicités

2.3.1.

Néphrotoxicité

Historiquement, l’usage de la colistine a été abandonné en raison d’une néphrotoxicité élevée. Il est probable que cette toxicité ne soit pas aussi importante qu’anciennement suggérée (Lim et al., 2010) en raison d’un manque d’études pharmacocinétiques et pharmacologiques à propos de cette molécule (Li et al., 2005a). Toutefois, ce phénomène n’est pas à négliger car des signes d’insuffisance rénale aigue (IRA) seraient présents dans des proportions atteignant

60 % des patients traités avec des polymyxines (CMS ou polymyxine B) (Zavascki and

Nation, 2016). Il s’agit de l’effet indésirable majeur et limitant dans le choix des doses théra- peutiques.

2.3.1.1. Etudes cliniques et facteur de risques

La toxicité rénale associée à l’usage de polymyxine survient généralement dans les 5 à 7 premiers jours de traitements et est le plus souvent réversible après l’arrêt du traitement (Kelesidis and Falagas, 2015). L’augmentation du taux de créatinine sérique est le critère gé- néralement observé dans ces cas-là mais d’autres symptômes tels qu’une hématurie ou une pro- téinurie peuvent également être présents (Falagas and Kasiakou, 2006).

Une méta-analyse récente comparant polymyxine B et colistine a montré que des signes de néphrotoxicité apparaissaient dans 24 à 74 % des patients traités avec du CMS (Vardakas and

Problèmes de toxicités

35 Falagas, 2016). Les auteurs ont également conclu que la néphrotoxicité associée à la colistine était plus fréquente et plus précoce que pour la polymyxine B (Vardakas and Falagas, 2016).

De nombreux facteurs de risque de néphrotoxicité ont été mis en évidence comme la dose de CMS utilisée (cumulée ou non), la durée du traitement, l’administration concomitante d’autres agents néphrotoxiques, l’existence de comorbidités, l’âge, la sévérité de la maladie (Fiaccadori et al., 2016; Ordooei Javan et al., 2015; Pogue et al., 2015). Un modèle prédictif a même été développé pour identifier les patients à risque pour cette toxicité (Phe et al., 2014). Cependant, ces résultats ne font pas consensus : en raison des disparités importantes, de la pré- sence de facteurs confondants et le manque d’harmonisation dans la définition de néphrotoxi- cité entre les différentes études, les facteurs de risque ne sont pas réellement bien définis (Kelesidis and Falagas, 2015; Pogue et al., 2015). Ainsi, une étude rétrospective d’une cohorte de 258 patients traités par la colistine n’a montré aucun lien statistique entre la dose cumulée et la présence d’une néphrotoxicité (prévalence de 10 % dans cette étude) (Falagas et al., 2010). Une autre étude a observé que ce lien existe mais seulement pour les patients avec une fonction rénale anormale (taux de filtration glomérulaire trop bas) (Lee et al., 2015b). Enfin, deux études récentes chez des patient de réanimation ont conclu qu’une concentration plasmatique de colis- tine à l’équilibre supérieure à β mg/L pour l’une (Forrest et al., 2017) et 2,42 mg/L pour l’autre (Horcajada et al., 2016) représenterait le facteur de risque majeur pour l’apparition de la né- phrotoxicité. Ceci souligne que l’index thérapeutique de la colistine est très étroit car obtenir des concentrations plasmatiques à l’équilibre supérieures à β mg/mL est l’objectif pour un effet thérapeutique (Nation et al., 2016).

Concernant les populations pédiatriques, des désordres ioniques tels que une hypo-

magnésie ou une hypokaliémie sont décrits parmi les effets secondaires les plus fréquents (İpek et al., 2017; Tekgunduz et al., 2015), mais des effets néphrotoxiques sont également rapportés. Ce taux varie entre 0 et 19 % selon les études (Alan et al., 2014; Celebi et al., 2010; Falagas et al., 2009b; Goverman et al., 2007; Iosifidis et al., 2010; Karbuz et al., 2014; Ozsurekci et al., 2016; Paksu et al., 2012) mais cette valeur est, là aussi, difficile à comparer entre étude en raison des disparités dans les doses utilisées. Si une majorité d’études conclut que l’usage de la colistine dans les populations pédiatriques semble globalement sûr, certains auteurs soulignent néanmoins la nécessité d’un suivi rapproché de la fonction rénale durant le traitement (Ozkaya- Parlakay et al., 2015).

Problèmes de toxicités

36 Des études se sont intéressées aux biomarqueurs les plus pertinents pour détecter de façon précoce les signes de néphrotoxicité. Le dosage de créatinine sérique est le plus courant mais il existe des limites à son interprétation (Ordooei Javan et al., 2015). Parmi les autres marqueurs plasmatiques prometteurs, le dosage de la cystatin C apparaît plus pertinent que la créatinine ; pour les biomarqueurs urinaires, l’urinary neutrophil gelatinase-associated lipocalin (NGAL) et la kidney injury molecule 1 (KIM1) seraient les plus sensibles (Ordooei Javan et al., 2015).

2.3.1.2. Mécanismes impliqués

La colistine a tendance à s’accumuler dans les cellules tubulaires proximales, comme décrit précédemment et il est très fortement suspecté que ce phénomène produit les effets toxiques (Azad et al., 2015a; Azad et al., 2015b). Cette néphrotoxicité induite par les po- lymyxines se traduit notamment par une apoptose précoce des cellules tubulaires, un arrêt

du cycle cellulaire, une diminution de l’excrétion urinaire et du stress oxydatif (Abdelraouf

et al., 2012; Azad et al., 2013; Eadon et al., 2013).

Pour l’apoptose des cellules tubulaires, l’activation de la voie des caspases liées aux « ré- cepteurs de mort » et aux mitochondries semble être le mécanisme principal in vitro (Azad et al., 2015a). Ceci est corroboré par des études d’imagerie ayant montré que la colistine se fixe, au moins en partie, sur les organites comme les mitochondries et le réticulum endoplasmique (Yun et al., 2015). L’implication de ces mécanismes, en plus de la voie faisant intervenir le reticulum endoplasmique, dans la néphrotoxicité de la colistine a également été prouvée in vivo

Problèmes de toxicités

37 Figure 8 : Principaux mécanismes cellulaires responsables de la néphrotoxicité induite par la colistine (et potentiellement le CMS).

Concernant le CMS, aucun mécanisme actif lié au transport rénal n’a été identifié pour le moment. De plus, il n’est pas encore défini si le CMS et/ou ses dérivés sulfonés partiels sont

néphrotoxiques également. Il est cependant probable que le rein soit exposé à de fortes quan-

tités de CMS qui soient par la suite converties en colistine (en intra-rénal), et donc contribuent à la toxicité (Zavascki and Nation, 2016).

En bilan, le mécanisme exact lié à la néphrotoxicité reste globalement méconnu et il est par conséquent nécessaire de faire des études complémentaires à ce sujet pour améliorer la sécurité d’utilisation des polymyxines (Nation et al., 2014a).

2.3.2.

Neurotoxicité

Des cas de toxicité centrale ont été rapportés dans la littérature jusque dans les années 1990 suite à l’utilisation de polymyxines par voie IV ou IM, se traduisant par de la paresthésie (bénigne généralement) et/ou des épisodes d’apnée (Falagas and Kasiakou, 2006). La neuro- toxicité liée à l’utilisation de la colistine serait due à une interaction directe entre la molécule

Colistine et antibiorésistance

38 et les neurones et serait dose dépendante. L’utilisation concomitante des polymyxines avec d’autres médicaments tels que les corticoïdes ou des relaxants musculaires est rapportée comme facteur de risque de cette toxicité. Ces effets neurologiques disparaissent rapidement lorsque le traitement est arrêté (Falagas and Kasiakou, 2006).

Quelques cas de neurotoxicité ont été rapportés après les années 2010, chez des patients atteints de mucoviscidose et traités avec du CMS par voie IV (paresthésie, maux de tête, vertige) (Claus et al., 2015). Les perfusions de CMS effectuées sur une période trop courte (30 min) sont suspectées d’être à l’origine de ces effets toxiques mais un lien avec une diminution de la fonction rénale d’un des patients n’est pas à exclure (Claus et al., 2015). La faible incidence des cas de neurotoxicité est en accord avec la faible pénétration de la colistine dans le système nerveux central, qui a été estimé à 5 % environ chez des patients de réanimation (Markantonis et al., 2009).

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