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3.2 Approches historiques

3.2.3 Les problèmes de l’application des technologies numériques à la

Cette documentation, conçue avant l’aube des musées publics, a connu une évolution minimale. (Zorich, 2008) Elle persiste en format proto-ordinateur et a peu contribué ou soutenu les nouvelles formes des technologies numériques et optiques. D’ailleurs, le glissement entre index, inventaire, catalogue, catalogue raisonné, catalogue numérique, catalogage et documentation est au centre des difficultés de l’enregistrement (l’inscription) des objets muséaux. L’histoire de la documentation muséale liée aux méthodes bibliothécaires et numériques aussi bien que le mélange des termes et intentions ont grandement entravé son évolution.

De nos jours, les bibliothèques, les archives et les musées ont tendance à faire converger leurs efforts. Cette convergence des LAMs19 se produit sous la forme d’un fusionnement physique (voir par ex. Clement, 2007), mais plus souvent sous forme numérique. (Voir par ex. Allen, 2002; Caron, 2010; Martin, 2003; Vitali, 2006)

Au premier abord, il semble que les missions de ces institutions collectionneuses s’alignent étroitement. Mais les valeurs qui sous-tendent les bibliothèques et les archives par rapport aux musées sont aussi différentes et peut-être antagonistes. Chaque domaine a son propre « modèle d’expertise » qui énonce des valeurs différentes. (Poulot, 2013, p. 33) Le modèle des archives et des bibliothèques est de

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Terme commun en Amérique du nord pour décrire les bibliothèques (L pour Library), les Archives et les Musées. On voit de temps en temps le terme « GLAM » qui inclut les galeries, bien que ce ne soit pas toujours clair si « Gallery » indique un musée, comme la National Gallery of Art, ou une galerie privée à but lucratif. On utilise aussi BAM en Allemagne et ABM en Scandinavie. Le terme « Memory Institutions » est utilisé en Europe et « Collecting Sector » en Australie et Nouvelle-Zélande. Voir, Birtley et Bullock, Will Collections Vanish in the Urge to Converge? Observations on Convergent Evolution in the Collections Sector, 2008 ; et Hedegaard, The Benefits of Archives, Libraries and Museums Working Together: A Danish Case of Shared Databases, 2004.

rendre accessible au public toutes les données, les informations et les ressources qu’elles collectionnent. Leur histoire est ancrée sur la dissémination de l’information et les types de matériaux, la plupart étant des livres, des documents ou des photographies documentaires (c’est-à-dire non « artistiques »), qui sont dans un format tel que ces documents peuvent être analysés et partagés facilement dans l’ère numérique. Pour eux, la traduction de la forme analogique à la forme numérique est souvent directe. 20

De plus, quelques auteurs suggèrent que cette convergence est dépendante d’une approche avant-gardiste de la formation des « professionnels de l’information », qui fait aussi converger les domaines, c'est à dire les bibliothècaires, les archivistes et les conservateurs. (Voir par ex. Constantinescu, 2010; Keene et Fairman, 2011; Tibbo et Lee, 2010) Paul Marty prédit la création de ce nouveau domaine, « Museum Informatics », mais il l’a conçu en dehors de l’expertise traditionnelle des conservateurs (passim Marty, 1999, 2000, 2004, 2005, 2006a, 2006b, 2007a, 2007b, 2008, 2012) et envers les besoins des « utilisateurs ». Néanmoins, tandis que les musées sont reconnus de plus en plus comme des institutions d’éducation et de mémoire et leurs conservateurs de temps en temps comme des « professionnels de l’information » (Mason, R. O., 1990), les collections d’objets de musées ont été moins adaptées aux pratiques de numérisation que celles de leurs homologues du « secteur des collectionneurs21 » et la tradition documentaire des musées d’art a forcément limité la quantité et la qualité de l’assemblage de l’information.

La doctrine d’unicité et de révérence continuent d’être la fondation de la formation des historiens de l’art (Zorich, 2012) et la source des antagonismes entre les technologies numériques et le travail traditionnel des conservateurs d’art. Ainsi toute

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Voir Stauffer, The Nineteenth-Century Archive in the Digital Age, 2012 pour mieux comprendre les enjeux des livres qui sont uniques.

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méthode de reproduction est presque hérétique, même en prenant compte des illusions, des simulacres (Baudrillard, 1968, 1981, 1983, 2000) et des reproductions numériques en 3D. (Bearman, 2011, p. 60)

Les technologies numériques lancent un défi contre cette épistémologie matérialiste, qui est en contraste à l’extrême avec des concepts comme les musées sans objets (MacDonald et Alsford, 2010 [1991]) et les objets « born digital ». (Cameron, 2007) De plus, les technologies numériques proposent de nouvelles façons d’appréhender et de comprendre l’art. (Latour, 2014; Latour et Lowe, 2011) Mais, « In a culture where visual literacy is increasingly important, the most visually literate discipline in the world is absent from the realm of public discourse. » (Zorich, 2012, p. 22)

Les images des objets continuent d’être limitées en termes de qualité, de nombre ou de transférabilité. (Marty, 2012) Le texte est court et faible et l’information sur les objets est souvent confinée aux quelques champs d’information identiques aux catalogues anciens : l’artiste, la date, le titre, les dimensions et, de temps en temps, la provenance et la nationalité de l’artiste en indiquant d’une façon générale son école. « Many collections are held hostage from the public, not by technology problems, but by the challenges of grasping the social changes involved with acts of this magnitude. » (Ibid.) Plusieurs auteurs contemporains citent notamment cette raison : une perspective qui adopte les technologies numériques sans compréhension de leurs capacités couplée avec une adoption de la rationalité technologique.

L’application de la logique de la technologie (une hyper-rationalité) force une perspective linéaire et aussi dualiste. La pensée empirique, enfant des Lumières, persiste et s’applique naturellement à la technologie dont la nature est fondamentalement décrite en bits. (Negroponte, 1995) Plusieurs auteurs appellent ce phénomène le déterminisme technologique. (Doueihi, 2011 ; Ellul, 1964 ; Parry,

2010a ; Peacock, 2007 ; Welger-Barboza, 2001) Mais les musées en général, surtout les musées d’art, demandent plus de nuance. (Cameron, 2007; Peacock, 2007)

La lenteur avec laquelle la technologie a percé le domaine a mené à une tendance à comprendre et conceptualiser les technologies numériques par rapport aux analogies et aux paradigmes de la « print culture » (Doueihi, 2011), c’est-à-dire surtout d’une manière statique. En conséquence, les musées continuent à considérer l’espace numérique en tant qu’imitation de l’espace physique. (Trant, 1998, republié en 2008) Dans cette circonstance, l’espace virtuel ne devient qu’une imitation pauvre de la réalité. Cette transposition est maladroite et mal adaptée aux affordances de l’espace virtuel.

Pire, selon plusieurs auteurs, une compréhension pauvre des affordances des technologies et de la transposition des paradigmes de l’analogique mène à 1) la réduction continue de l’objet muséal jusqu’au plus petit dénominateur commun pour qu’il soit homogène avec toute autre forme de patrimoine ou de document – c'est-à- dire le code binaire, les 1 et les 0 (Welger-Barboza, 2001) ; et 2) la documentation de l’objet reste statique. (Trant, 2008) En contraste, certains auteurs suggèrent que la documentation d’un objet muséale se réoriente vers la dynamique (Bearman, 2008; Zorich, 2008), un acte qui rassemble nécessairement l’activité des conservateurs et le travail des registraires. (Dietz et al., 2003) Fiona Cameron note que la documentation statique des objets muséaux conserve les valeurs traditionnelles unidimensionnelles de l’expertise et qu’elle rend par ailleurs difficile l’échange d’information par rapport aux systèmes dynamiques des TIC. (Cameron, 2008) Ainsi, la qualité et la portée des données de la documentation muséale est au sein des enjeux technologique des musées. (Cameron, 2010; Cameron et Mengler, 2009; Cameron et Robinson, 2007) Les données ne sont pas l’équivalent de l’information et l’information n’est pas égale à la connaissance ; la nuance et la richesse de la connaissance se perdent face à la

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réduction aux données. (Bearman, 2008 ; MacDonald et Alsford, 1991/2010 ; Orna et Pettitt, 1998/2010 ; Trant, 2008)

En réponse au manque de compréhension de la technologie et de son adoption maladroite ainsi que la réticence continue de la part des responsables des collections à utiliser les technologies numériques (Zorich, 2012) et l’évolution minimale du niveau de documentation, plusieurs écrivains dans le domaine voient la nécessité d’un nouveau domaine de théorie (Peacock, 2007) qui unifiera les besoins de la technologie et ceux plus profond de la compréhension de l’art. (Zorich, 2012) D’autres souhaitent la création d’une méga-profession (Sola, 1992; Sola et al., 1997) qui rassemble la formation des bibliothécaires, des archivistes et des muséologues (Trant, 2009) pour mieux comprendre que :

The choices made when representing knowledge of and about the physical world in digital form – in creating digital surrogates for original materials, or abstracting the content of digital materials to enable their discovery – define (and confine) the informational value of digital representations. Technical formats may accentuate one characteristic over another. (Ibid.)

Cette nouvelle littératie numérique (Doueihi, 2011) permet aux musées d’éviter le déterminisme technologique. (Heidegger, 1977; Sola et al., 1997; Welger-Barboza, 2001) Il y a en général un penchant à parler des problèmes muséaux ou de la mort du conservateur chez les conservateurs formés de manière traditionnelle. (Janes, 2009; Tobelem, 2010) Il y a également un consensus autour du fait que les tâches traditionnelles du musée doivent s'étendre et se diversifier. (Cameron, 2010)

CHAPITRE IV

CAS D’ÉTUDE N˚ 1 : LA NATIONAL GALLERY, LONDON 22

Fondée comme un antidote à l’agitation populaire qui a fait suite au ralentissement économique causé par des guerres constantes, et dans un contexte de méfiance face à d’éventuelles influences de la France postrévolutionnaire, la National Gallery,

London (NGL) s’est trouvée, durant la première moitié de son histoire, en proie à des

tensions liées principalement aux divergences de goûts de ceux qui en exerçaient le contrôle, mais aussi quant à la manière dont la collection devait être gérée. Alors que la NGL avait été présentée dès son lancement comme une collection démocratique, ses premières itérations se sont avérées refléter davantage les goûts de la noblesse. En effet, très rapidement, une certaine image de prestige associée au collectionnement des beaux-arts s’est imposée – favorisé par les goûts élitistes, par une langue exclusive et par la richesse de l’aristocratie – qui a influencé et s’est reflétée dans la manière dont la Galerie était administrée, et notamment dans ses pratiques en matière de documentation. D’ailleurs, le modèle du musée public en Angleterre23, avec l’idée

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Tout au long cette étude, je vais utiliser le nom anglais.

23 NGL

Le Royaume-Uni est une désignation politique créée en 1801 par les nations constitutives de la Grande Bretagne et l’Irlande. La-Grande Bretagne désigne l’union politique de 1707 de l’Angleterre avec le Pays de Galles et l'Écosse. Elle est aussi le toponyme de la plus grande île et territoire

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de rendre des collections accessibles à l’ensemble de la population dans un but d’éducation, n’était-il pas né de principes plus anciens, d’embourgeoisement personnel, d’auto-élévation sociale ? Or, à mesure que la classe moyenne gagnait du pouvoir en grimpant l’échelle sociale et en étant de plus en plus représentée au Parlement où la Chambre des communes gagnait le pouvoir, le public s’est mis à désapprouver ce qui ressemblait davantage à une galerie privée devenue superficiellement publique. La nation a alors exigé une galerie dont les fondements reposent sur l’accessibilité, la communication, l’intendance responsable des trésors nationaux et l’éducation des citoyens. Ces deux éléments rivaux, à la base ˗ la poursuite des principes élitistes en même temps que la recherche d’un format plus égalitaire ˗ ont donné lieu à près d’un siècle de considérations internes et de conflits au sein de l’institution, qui ont eu un profond impact sur la documentation de la collection de l’art, l’élaboration des catalogues des collections et le moment où la numérisation des collections est devenue possible. Afin de comprendre ces conflits formatifs, il est important d’examiner en détail la nature de ces deux modèles concurrents au moment de leur émergence en Angleterre afin de comprendre comment ils ont influencé la création de la NGL et l’évolution de ses méthodes documentaires.

4.1 Le contexte historique de la documentation en Angleterre : Les modèles

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