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Chapitre 1 : le paludisme et le parasite Plasmodium

III- Moyens de lutte actuels

4) Problèmes de chimiorésistance

Emergence, transmission et propagation de résistances

Avec les antipyrétiques, les antipaludéens sont les médicaments les plus consommés dans les régions tropicales du globe. Plus particulièrement la Chloroquine et la combinaison Sulfadoxine-Pyriméthamine ont été massivement utilisées puisqu’elles sont bon marché, disponibles à grande échelle et bien tolérées. Leur

72 A. A. Divo et al., Antimicrob. Agents Ch. 1985, 27, 21-27.

73 R. Kiatfuengfoo et al., Mol. Biochem. Parasitol. 1989, 34, 109-116.

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27 utilisation très répandue et parfois inadaptée a entraîné l’émergence de parasites résistants, principalement chez P. falciparum, et a contribué à la résurgence du paludisme dans les quatre dernières décennies. 75,76,77,78

La résistance à un médicament se définit par un décalage vers la droite de la courbe concentration-effet (fig. 24). Il existe différents schémas de résistance avec décalage parallèle de la courbe (B), ou une modification de l’effet maximum atteignable (C), et une modification de la pente (D).

L’émergence de résistance peut être considérée en deux temps : d’abord l’évènement génétique qui produit le parasite mutant résistant, et ensuite le processus de sélection dans lequel l’avantage de survie en présence du médicament conduit à la transmission et à la propagation de la résistance.

Les évènements génétiques qui confèrent la résistance à un médicament (tout en maintenant la viabilité du parasite) sont spontanés et rares. Ils sont indépendants du médicament. Ce sont des mutations et/ou une modification du nombre de copies des gènes qui codent pour la protéine cible du médicament ou pour les pompes d’efflux qui affectent la concentration intra-parasitaire en médicament. Un seul évènement génétique peut être suffisant pour conférer la résistance, ou plusieurs évènements indépendants peuvent être nécessaires. En supposant une distribution égale des probabilités au cours du cycle de vie du parasite, l’évènement génétique a probablement lieu dans un seul parasite au moment du pic de l’infection. Ces évènements génétiques peuvent résulter en un changement modéré de la sensibilité du parasite au médicament, tel que celui-ci soit toujours efficace. Ils peuvent aussi résulter, bien que moins souvent, en une grande réduction de la sensibilité du parasite au médicament, telle que toute concentration physiologique atteignable soit complètement inefficace.

La probabilité de sélection du parasite résistant dépend de plusieurs facteurs :  du nombre de parasites exposés au médicament

 de la concentration en médicament à laquelle les parasites sont exposés  des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du médicament  du degré de résistance qui résulte des modifications génétiques

 du niveau de défense de l’hôte (immunité spécifique ou non-spécifique)

 de la présence simultanée d’un autre médicament antipaludéen auquel le parasite n’est pas résistant.

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A. L. Pickard et al., Lancet Infect. Dis. 2002, 2, 209-218.

76 N. J. White, J. Clin. Invest. 2004, 113, 1084-1092.

77 J. E. Hyde, FEBS J. 2007, 274, 4688-4698.

78

N. J. White, W. Pongtavornpinyo, Proc. R. Soc. Lond. B 2003, 270, 545-554.

Figure 24 : courbe concentration-effet pour différentes populations de parasite (A parasites sensibles au

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28 Dans les zones de transmission intense, une personne peut se faire piquer par un moustique infecté jusqu’à trois fois par jour. Dans ce contexte, une personne prenant un traitement contre des symptômes palustres expose les parasites causant cette infection, mais aussi

les parasites provenant de nouvelles infections et sortant du foie lors de la phase d’élimination du médicament. Le temps de demi-vie d’élimination du médicament détermine la probabilité que des parasites acquis lors de nouvelles infections soient en contact avec une concentration partiellement efficace en médicament (ie concentration sélective) (fig. 25). Les médicaments rapidement éliminés, comme les dérivés Artémisinine, ne présentent jamais une concentration sous-thérapeutique aux parasites puisqu’ils sont éliminés complètement en 48h. D’autres médicaments, comme la Chloroquine et la Méfloquine, ont des temps de demi-vie d’élimination de quelques semaines, voire un mois et présentent une longue opportunité de sélection.

Des concentrations sous-thérapeutiques en médicament dans le sang peuvent aussi exister à cause d’automédication inadaptée, d’un manque d’observance du traitement, de médicaments de mauvaise qualité ou achetés à des doses incorrectes.

La recrudescence et la transmission ultérieure de l’infection ayant généré des parasites résistants sont nécessaires à la propagation de la résistance. Eliminer les stades sexuels transmissibles (gamétocytes) durant la première infection n’affecte pas l’émergence de résistance puisque ces gamétocytes dérivent de parasites sensibles au médicament. Les gamétocytes portant le gène de résistance n’atteindront des densités assez importantes pour être transmis que lorsque la population de parasites résistants sera proche de celle produisant des symptômes (plus de 107 parasites). La probabilité de survie et de transmission peut être réduite par l’immunité non spécifique, mais surtout par l’immunité spécifique de l’hôte, acquise au cours des infections répétées dans les zones de forte transmission. La probabilité de transmission peut aussi dépendre de la présence de parasites avec d’autres génotypes, entrant en compétition pour l’invasion des globules rouges et pour la multiplication.

Gènes et protéines impliqués dans la résistance aux antipaludéens actuels

La résistance à la Chloroquine a d’abord été observée en Thaïlande en 1957 et à la frontière Colombie/Venezuela en 1959, puis s’est propagée dans la plupart des pays de l’Afrique Sub-Saharienne dans les années 80, jusqu’à perdre son efficacité dans presque toutes les régions du monde aujourd’hui. Elle est multigénique et est initialement conférée par des mutations touchant le gène pfcrt (chloroquine resistance transporter) codant pour une protéine transmembranaire de la vacuole digestive PfCRT, permettant le transport de la Chloroquine (et autres solutés) dans la vacuole digestive. 79 Le remplacement de la Lysine 76

79

D. A. Fidock et al., Mol. Cell 2000, 6, 861-871.

Figure 25 : concentration plasmatique en fonction du temps pour différents antipaludéens (l’origine des courbes représente la concentration maximale (100%) atteinte après

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29 par une Thréonine, causé par une mutation génétique, est toujours observé chez les parasites résistants à la Chloroquine et souvent accompagné d’autres mutations. En présence de mutations du gène pfcrt, des mutations au niveau du gène pfmdr1 modulent l’effet de la résistance à la chloroquine. 80 Le gène pfmdr1 code pour une P-glycoprotéine, PfPgh1 ou PfMDR1, pompe ATP-dépendante transmembranaire assurant le transport de solutés à travers la membrane de la vacuole digestive, incluant les médicaments Chloroquine, Méfloquine, Artémisinine. La résistance à la Méfloquine serait liée à une amplification du nombre de copies du gène pfmdr1. Les mutations des protéines PfCRT et PfMDR1 empêchent l’accumulation de la Chloroquine/Méfloquine dans la vacuole digestive par un phénomène d’efflux.

La résistance aux antifolates est apparue rapidement après leur introduction en monothérapie, ce qui explique qu’ils ont ensuite été utilisés en association synergique, comme la Pyriméthamine-Sulfadoxine, largement répandue à partir des années 60. La résistance aux antifolates est due à des mutations des gènes dhfr et dhps codant pour les protéines cibles de ces médicaments (cf fig. 20, page 22). 81 Le génotype le plus commun des parasites résistants à la Pyriméthamine-Sulfadoxine en Afrique combine trois mutations de dhfr et deux mutations de dhps. En Asie du Sud-Est, une quatrième altération de DHFR est observée (Isoleucine164 remplacée par une Leucine) et rend le parasite complètement résistant aux concentrations physiologiques atteignables de Pyriméthamine-Sulfadoxine.

Dans les régions où l’Atovaquone a été utilisée en monothérapie, une résistance a très rapidement émergé, avec des mutations du gène du cytochrome b, affectant principalement le codon 268 (la tyrosine est remplacée par une sérine, une asparagine ou une cystéine). 82 En association avec le Proguanil, la manifestation de résistance est nettement retardée et cette association est utilisée avec succès en prophylaxie, notamment pour les voyageurs à destination de l’Asie du Sud-Est où les parasites multi-résistants sont communs. Le mécanisme expliquant la synergie entre ces deux composés est mal compris, mais il semble que le Proguanil ait la capacité de sensibiliser la mitochondrie en bloquant un mécanisme secondaire de maintien de son potentiel membranaire.

Le phénomène de résistance à l’Artémisinine a été tout d’abord observé dans l’ouest du Cambodge dans les années 2000 et a ensuite émergé indépendamment et/ou s’est propagé dans plusieurs régions d’Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Laos et Vietnam) (fig. 26). 83,84,85 La résistance à l’Artémisinine et ses dérivés se caractérise par une clairance parasitaire ralentie, qui reflète une réduction de susceptibilité des parasites au stade anneau. Dans l’Ouest du Cambodge par exemple, le temps de demi-vie de clairance parasitaire est passé de 2.6 heures en 2001 à 5.5 heures en 2010.

80

M. B. Reed et al., Nature 2000, 403, 906-909.

81 A. Gregson, C. V. Plowe, Pharmacol. Rev. 2005, 57, 117-145.

82

M. Korsinczky et al., Antimicrob. Agents Ch. 2000, 44, 2100-2108.

83 Global Report on Antimalarial drug efficacy and drug resistance 2000-2010, World Health Organization, 2010.

84 A. M. Dondorp et al., N. Engl. J. Med. 2009, 361, 455-467.

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Figure 26 : localisation des sites d’une étude conduite de mai 2011 à mai 2013 et proportions de patients présentant une résistance à l’Artémisinine, définie par une clairance parasitaire > 5h

Le mécanisme de résistance à l’Artémisinine est très mal connu. Des études récentes montrent qu’il serait associé à des mutations de gènes impliqués dans le repliement des protéines, ainsi que dans la réponse au stress oxydatif. 86,87,88,89 Plusieurs mutations ont été observées au niveau du gène kelch13 codant pour une protéine hélice K13 dont la fonction dans le repliement des protéines reste à clarifier.

Le ralentissement du développement du parasite au stade anneau est associé à des niveaux plus faibles d’endocytose et de digestion de l’hémoglobine, ce qui diminue l’activation de l’Artémisinine par l’hème et augmente la tolérance du parasite au médicament. Ce phénotype peut aussi être lié au mécanisme de dormance de Plasmodium, décrit comme lui permettant de résister à la pression du médicament et de reprendre sa croissance lorsque les conditions sont favorables.

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R. M. Fairhurst et al., Nature 2014, 505, 50-55.

87 J. Straimer et al., Science 2015, 347, 428-431.

88 S. Mok et al., Science 2015, 347, 431-435.

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31 Combinaisons thérapeutiques à base d’Artémisinine (CTA)

L’association de médicaments ayant des mécanismes d’action différents repose sur deux principes : (1) l’association a souvent une meilleure efficacité qu’un seul médicament grâce à une synergie d’action (exemple Proguanil-Atovaquone), (2) la probabilité d’apparition simultanée d’une résistance à deux médicaments est plus faible. En effet, dans le cas peu probable où un parasite mutant résistant à l’un des médicaments apparaîtrait spontanément au cours de l’infection, il serait éliminé par l’autre médicament.On estime que cette protection mutuelle permet de retarder l’émergence de résistances.

Depuis 2005, l’OMS recommande l’utilisation de Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine (CTA) comme traitement de première ligne contre le paludisme simple à P. falciparum. Elle recommande également le retrait du marché des monothérapies à base d’Artémisinine, afin de limiter l’émergence de résistance à l’Artémisinine. 50

Les dérivés Artémisinine sont particulièrement efficaces en combinaison car ils entraînent une rapide clairance parasitaire et la prompte disparition des symptômes ; aussi ils présentent peu d’effets secondaires et l’émergence de résistance a été tardive et principalement concentrée en Asie du Sud-Est. Comme ils sont rapidement éliminés, un traitement de sept jours est nécessaire lorsqu’ils sont administrés en association avec des médicaments dont l’élimination est également rapide (Tétracycline, Doxycycline, Clindamycine). La durée de ce traitement peut être ramenée à trois jours en associant l’Artémisinine à des antipaludéens à élimination lente (Méfloquine, Amodiaquine). Avec un tel traitement sur trois jours, l’obtention d’une clairance parasitaire de 100 % est tributaire de l’efficacité du médicament associé qui doit persister à une concentration parasiticide jusqu’à ce que tous les parasites aient été éliminés. Différentes CTA sont actuellement recommandées : Artéméther/Luméfantrine, Dihydroartémisinine/Piperaquine, Artésunate/Amodiaquine, Artésunate/Méfloquine et Artésunate/Sulfadoxine-Pyrimethamine.

Le prix des CTA est plus élevé que le prix des monothérapies classiques ou autres combinaisons thérapeutiques, ce qui en limite l’accès pour certaines familles durement touchées par la pauvreté (par exemple, au Sierra Leone en 2012, dans le secteur public l’Artésunate-Amodiaquine est à 1,56 $US contre 0,31 $US pour la Quinine ou 0,63 $US pour la Chloroquine). 90

Dans la dernière décennie, l’utilisation des CTA a permis une réduction importante du taux de mortalité dû au paludisme. 1 Cependant, leur efficacité est désormais menacée par l’émergence de résistance à l’Artémisinine. Cela est d’autant plus préoccupant qu’aucune alternative pleinement efficace comme traitement de première ligne n’est aujourd’hui disponible pour remplacer les CTA.

Ces problèmes de résistance et de coût élevé pour les populations les plus défavorisées encouragent fortement la communauté scientifique à la découverte d’alternatives viables aux options thérapeutiques existantes. Il y a nécessité de découvrir de nouvelles cibles et de développer de nouvelles molécules, bon marché et non toxiques, pour continuer à faire reculer le paludisme.

Récemment, deux nouvelles enzymes protéolytiques, les aminopeptidases PfA-M1 et PfA-M17, impliquées dans le catabolisme de l’hémoglobine par Plasmodium, ont émergé comme candidates potentielles pour la conception d’une nouvelle classe de médicaments antipaludéens. L’identification de ces cibles nouvelles a déterminé les travaux décrits dans ce manuscrit.

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