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3.6 - La prise en compte du végétal 44 et des structures paysagères

La banalisation de l'espace se réalise souvent aujourd'hui à travers l'utilisation du végétal. Les figures paysagères qui formaient autrefois les éléments structurants comme les repères symboliques du territoire disparaissent au profit de masses végétales souvent informes. La composition savante porteuse d'une culture, où les arbres signifiaient l'activité des hommes, et le passage des grandes voies de circulation ne fait plus partie des préoccupations du métier des aménageurs ou même de l'enseignement. Le végétal est employé soit comme accessoire décoratif, soit comme réserve d'une biodiversité. Cela contribue bien évidemment à la banalisation tant des zones rurales que de celles urbanisées. Avec des plantations hors du temps et du lieu, l'espace paraît comme embaumé et n'assure qu'un rôle chlorophyllien pauvre. Cette perte de savoir sur le végétal comme matériau de construction de l'aménagement participe à la formation de ces endroits sans âme, apparus ces dernières décennies accompagnant ces créations ex nihilo qui laissent dans le désarroi les gens âgés comme les plus jeunes. On n'insistera jamais assez sur le fait que les problèmes d'exclusion et tout ceux qui relèvent de la sécurité demeurent liés entre autres à un manque de références d'espaces et que le cadre de vie constitue les premiers repères perceptibles et sensibles. Nous gardons ainsi le besoin d'être ancrés quelque part, dans une géographie qui permettent de retrouver nos histoires personnelles et collectives. Le végétal possède la capacité unique d'évoquer la durée du temps et de faire remonter à la mémoire l'expression sociale et humaine des pays d'Europe, renouant ainsi avec la traversée du territoire. Si les arbres évoquent les régions où ils ont été acclimatés, c'est à travers une culture du vivant développée par le labeur des communautés rurales, dans un dialogue sans cesse répété avec la Nature. Aujourd'hui on parle volontiers des qualités botaniques de l'arbre mais pas véritablement de son « caractère » ; le fait qu'il est lui-même porteur de sens, qu'il marque l'espace, qu'il constitue un repère, n'est pas assez mis en valeur. Le fait aussi que chaque essence possède sa propre culture est oublié.

Ainsi, qui se souvient que le peuplier est le signal du passage de l'eau dans le pays des chênes au Quercy ou que le noyer indique dans le pays de Grenoble la limite intérieure d'un lieu. La tendance naturelle est de se réfugier derrière un savoir technique et savant, d'autant plus obscur pour le néophyte qu'il est en latin. L'arbre, sa mise en œuvre et son groupement constituent une culture utile pour développer de nouveaux repères sensibles dans les sites et pour assurer la liaison entre les espaces. Le végétal a la capacité de susciter les limites, d'introduire des rythmes, des transparences, de construire des voûtes, des dômes, d'évoquer des éléments de géographies et de Nature.

Il convient d'évoquer et de mieux faire connaître les figures végétales45 dont l'alignement est en

44 Dessins AFK in « l'arbre : une grammaire végétale », Ministère de l'Équipement, des Transports et du Logement, texte d' Anne Fortier Kriegel et Chantal Ducruix, Ed. de la DGUHC, Paris 1998

45 Voir Caroline Mollie, Les arbres dans la ville, Actes Sud, 2009.

France l'élément majeur, une colonne vertébrale visible qui conduit le regard jusqu'à l'horizon, évoquant par là, la conquête de la grande distance territoriale. Les mails, les cours, les exèdre, les quinconces ont accompagné les compositions soignées.

Les plantations d'alignement46 avec des arbres de hautes tiges (mettant en œuvre un paysage à la fois ouvert47 sur l'extérieur et protégé, par son couvert végétal à l'intérieur) ont longtemps symbolisé la figure majeure de l'aménagement à la Française. Celles-ci marquaient traditionnellement dans l'espace national, le passage des grandes infrastructures de circulation.

Figures paysagères48 : boulevard urbain canal dans le territoire49

Elles ont aujourd'hui souvent disparu ou sont remplacées par des bandes boisées plus basses. Ces bandes boisées composées d'arbres et d'arbustes révèlent un espace rendu à l'état naturel, ennuyeux et peu hospitalier. Elles attestent surtout d'un manque de gestion et renvoient à la confusion que nous soulignions plus haut entre la Nature et la culture. Elles créent une barrière visuelle, ne favorisant plus la transparence sur le paysage environnant, qui constituait pourtant, à l'époque des chaleurs, la protection comme l'agrément de la randonnée pour le promeneur. Il faut prendre la mesure de ce qu'on introduit dans le paysage national en laissant se répandre de telles réalisations. Si les bandes boisées favorisent le développement d'espèces végétales, elles entraînent aussi l'introduction d'espèces animales dans des lieux à proximité des habitations où elles ne sont pas toujours les bienvenues50.

S'agissant de la composition le même raisonnement s'applique sur la mise en œuvre de l'eau et de la pierre avec diverses typologies51.

46 Voir sur ce point Annexes : rapport du 30 septembre 2010 à la Commission Supérieure des Sites.

« Approche Patrimoniale et paysagère des Plantations du Canal du Midi »

47 Pour mémoire un espace ouvert et protégé est l'essence même de ce que doit être un espace moderne

48 S'appuyant sur l'histoire des lieux comme sur les potentiels des sols et du climat

49 Figure paysagère à quatre temps du canal du Midi : 1) le miroir ou le plan d'eau, 2) le glacis enherbé installé de chaque côté des francs bords, 3) les plantations d'alignements, 4) les ponts de pierre dans les passages urbains

50 Le remplacement des grands alignements par des bandes boisées à proximité des voies d'eau favorisent l'habitat de toutes sortes de rongeurs (Ragondins, rats....)

51 Régis ambroise, Paysages de terrasses, Edisud, Aix en Provence, 1989

Recommandation 10 : Reconstituer une grammaire végétale à l'attention des aménageurs, à travers l'évocation d'une typologie des armatures arborées en ville et à la campagne en montrant l'importance de l'organisation spatiale qu'elles engendrent et les messages qu'elles permettent de faire passer.

En ville, les figures urbaines plantées : 1) les promenades ; les boulevards plantés, les allées et contre allées, les avenues 2) les parcs, jardins et squares 3) les arbres isolés 4) les figures particulières (mail, exèdre quinconce, patte d'oies...)

En milieu rural : 1) l 'alignement (alignements routiers ou agricoles) 2) les haies hautes et les haies basses (ragosse) 3) les arbres isolés, les bosquets 4) les bois, (prés-bois, les forêts pâturées, la forêt)