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ATTEINTS D’UNE

PATHOLOGIE HEPATIQUE

PAR LES MEDECINS

TRADITIONNELS

1. Contexte et objectifs

Dans les chapitres précédents, nous avons vu que le cancer du foie constituait un problème majeur de santé publique au Cambodge, que les virus de l’hépatite B et C étaient respectivement responsables de 44,3 et 43 % des cas, et que sa prise en charge à l’hôpital se réduisait à la prescription de traitements palliatifs. Il a aussi été montré que les patients font appel à d’autres thérapeutiques en complément des traitements de l’hôpital, en utilisant à la fois des médicaments issus de la médecine occidentale et des traitements définis comme traditionnels. Ces thérapies traditionnelles incluent une variété de pratiques et de remèdes, et sont, soit pris en automédication soit prescrits par un médecin traditionnel.

Au Cambodge, les médecins traditionnels khmers (kruu khmer et moines bouddhistes11)

exercent dans un cadre légal puisqu’ils sont reconnus par le gouvernement comme

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professionnels de santé à part entière. Ainsi, le Centre National de Médecine Traditionnelle s’occupe de promouvoir la médecine traditionnelle, ainsi que de former et d’enregistrer ces tradithérapeutes. Cette formation leur permet d’acquérir des bases en médecine occidentale et dans d’autres domaines liés à la pharmacopée. Elle vient s’ajouter à leur expérience de terrain et à un apprentissage généralement transmis de père en fils. Enfin, seule la validation de cette formation leur permet de bénéficier d’une licence professionnelle et du droit officiel d’exercice. Étant donné que plus d’un tiers des patients de notre étude (cf. chapitre 2) ont eu recours à un médecin traditionnel, le rôle du médecin traditionnel dans la prise en charge des patients souffrant de pathologie chronique du foie est donc crucial, puisqu’il peut permettre de soulager certains symptômes, et aider à améliorer le confort du patient.

Dans ce contexte, une enquête ethnopharmacologique a été conduite auprès de ces praticiens afin d’avoir une vue globale de leur connaissance sur les maladies du foie, ainsi que de décrire leurs pratiques de prise en charge des patients.

2. Matériels et Méthodes

De septembre 2015 à janvier 2016, trente-trois médecins traditionnels, exerçant dans la capitale ou à proximité (trois provinces visitées), ont été interrogés à l’aide d’un questionnaire.

Les informations relevées étaient les suivantes : • Données sociodémographiques

• Formation et contexte d’exercice du médecin traditionnel

• Connaissance et perception des maladies du foie (types de maladie du foie connus, causes des maladies du foie, méthodes de diagnostic)

• Prise en charge de la maladie (recommandations hygiéno-diététiques et types de thérapeutiques prescrites).

En plus de ces informations, le détail des remèdes administrés a été recueilli. Ainsi, les noms de plantes composant chaque remède, et les parties de plantes utilisées ont été notées.

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Des indications sur les méthodes de préparation et d’administration ont également été relevées. Et pour chaque plante mentionnée, un échantillon d’herbier a été réalisé et identifié botaniquement.

3. Principaux résultats

Parmi les 33 médecins traditionnels interrogés, 31 étaient des hommes dont l’âge était compris entre 32 et 73 ans. 26 pouvaient être classés dans la catégorie « kruu khmer » (cf. introduction), 6 étaient des moines bouddhistes et le dernier était un médium.

Les maladies du foie identifiées par les médecins traditionnels étaient principalement les hépatites virales A, B et C désignés par le terme khmer « propet A », « propet B », « propet C » pour 6, 8 et 8 tradipraticiens respectivement, et la cirrhose « krenn thlaeum » (ou foie dur) citée par 6 tradipraticiens.

Les principales causes des maladies du foie mentionnées par les médecins traditionnels étaient la nourriture contaminée (soit par des pesticides ou par le partage de nourriture), l’alcool et les microbes avec 10, 9 et 7 citations respectivement.

Afin de réaliser le diagnostic, les médecins traditionnels se basent principalement sur les examens médicaux apportés par le patient, et secondairement sur une symptomatologie caractéristique (jaunisse). Par ailleurs, chaque médecin traditionnel possède ses propres pratiques de soins. La plupart d’entre eux prescrivent un traitement général composé de plusieurs plantes (une douzaine en moyenne) et traitant différentes maladies du foie (ex. : cirrhose, hépatite, cancer du foie, abcès du foie). Ces traitements sont principalement préparés sous forme d’une décoction et administrés oralement.

Concernant les plantes composant ces remèdes, 83 espèces ont été identifiées. Cananga

latifolia, Andrographis paniculata, Smilax glabra, Gomphrena celosioides, Passiflora foetida, Phyllanthus amarus et Willughbeia edulis étaient les plus citées.

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Ces plantes sont soigneusement sélectionnées par les médecins traditionnels afin de combiner plusieurs propriétés pharmacologiques telles qu’explicitées dans la médecine khmère (cf. introduction). Ainsi, une majorité de plantes (33 espèces) dites « trocheak » (froides) sont utilisées pour traiter les maladies du foie perçues comme « kedaeu » (chaudes). Un nombre équivalent de plantes (34 espèces) est qualifié de « psah » (terme relatif à leurs propriétés curatives et cicatrisantes des infections et des inflammations) et possède, dans plus de la moitié des cas, des propriétés « trocheak » également. Ce terme « psah » fait aussi référence aux traitements antibiotiques (tnam psah, médicament psah) considérés comme un traitement curatif rapide et efficace. Par ailleurs, 18 plantes sont dites « ktchol » (vent/air) désignant leur effet sur la circulation interne des fluides (selles et urine), et donc leurs propriétés diurétiques et laxatives. Enfin dans une moindre mesure, certaines plantes sont qualifiées de « mérok » pour désigner leur effet contre l’origine de la maladie (par extension, les microbes).

4. Discussion et conclusion

Au total, 42 remèdes médicinaux différents ont été reportés par les 33 médecins traditionnels, incluant 83 espèces identifiées botaniquement. Une grande majorité des plantes utilisées dans ces remèdes sont connues dans d’autres pharmacopées pour leur action sur le foie, et nombre d’entre elles ont également démontré leur action pharmacologique comme hépatoprotectrice, antimicrobienne et anti-inflammatoire. Ces informations suggèrent que les plantes utilisées pourraient avoir un rôle dans la prévention et le traitement des maladies hépatiques en agissant sur plusieurs cibles pharmacologiques.

Aussi, deux espèces (Cananga latifolia et Willughbeia edulis12) ont été très citées dans

l’enquête et peu d’études ont été réalisées pour évaluer leur activité pharmacologique, il serait donc intéressant d’entreprendre un examen approfondi de ces espèces.

12 Cette espèce a déjà été reportée comme très citée dans les maladies du foie dans la revue bibliographique de

l’introduction (voir §3.4). Cette troisième étude permet de confirmer l’importance de l’usage traditionnel de cette espèce dans les pathologies hépatiques, en particulier au Cambodge.

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Finalement, les pratiques des médecins traditionnels semblent avoir largement évolué depuis ces dernières années, notamment grâce à la mise en place de cette formation spécifique dispensée au Centre National de Médecine Traditionnelle de Phnom Penh. Ainsi, leurs méthodes de diagnostic reposent désormais sur la lecture d’examens médicaux, leurs conditions d’exercice se rapprochent de celles des médecins modernes (cabinet privatif, formulation galénique élaborée, notice d’emploi détaillée), et ils utilisent des concepts médicaux empruntés à la biomédecine (notion de psah et de mérok).

Ce travail s’est traduit par la rédaction d’un article soumis le 2 Janvier 2017 à la revue scientifique internationale indexée Journal of Ethnopharmacology, publié dans cette même revue le 9 mars 2017 après révision, et intitulé :

Article 3. « Treatment and management of liver diseases by Khmer traditional healers

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