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Par-delà la prise en charge de groupes réduits, une problématique centrale : le travail conjoint

4. Optimiser l’organisation, améliorer le service rendu

4.2. Une nécessaire interpellation de la recherche

4.2.3. Par-delà la prise en charge de groupes réduits, une problématique centrale : le travail conjoint

Marie Toullec-Thery, à la suite d’un stage national tenu à l’initiative du centre Alain Savary dans le cadre de l’IFÉ (institut français de l’éducation), relève pour sa part des points positifs.

Le sentiment dominant, selon elle, est que le dispositif rompt les habitudes de travail au quotidien sans pourtant prendre en compte les vrais impacts des conditions nouvelles qu’il génère. Elle observe en tout cas, avec cette initiative, que les portes de la classe, même celles des maîtres expérimentés, s’ouvrent plus facilement et perçoit qu’une idée dominante, dont

32 Marie TOULLEC-THERY, entretien du 23 août 2013, http://www.snuipp.fr/Un-travail-d-equipe-requis

tous les acteurs de l’école se disent très satisfaits, s’impose : celle de la co-intervention pour laquelle elle préfère parler de co-enseignement.

Or, plutôt que du co-enseignement ce à quoi, dit-elle, il est le plus souvent donné d’assister, c’est à la mise en œuvre d’ateliers tournants, construits autour de compétences très ciblées : mots-outils, phonologie, vitesse de lecture…Selon les maîtres questionnés, on se situe davantage sur une pratique de « boostage », correspondant à des modules focalisés sur des objectifs précis mais assez peu reliés – faute de temps de préparation conjointe – aux exercices mis en place par le maître de la classe. On est loin de l’objectif de prévention de la difficulté scolaire fixé par la circulaire. En revanche, les apports qu’il convient de mettre en place sont d’autant mieux identifiés qu’ils correspondent, selon les affirmations des maîtres, à des exercices établis a posteriori pour traiter des difficultés recensées par le maître principal.

Les souhaits et demandes formulés par les équipes des écoles suivies par l’équipe de Marie Toullec-Théry33 sont en cohérence avec ces constats. Les enseignants ressentent un besoin accru d’échanges entre collègues, de temps, et surtout d’outils, parmi lesquels des instruments d’évaluation.

Qui, pour qui, avec quels instruments ? Toutes ces questions, généralement très chronophages, accaparent aujourd’hui les équipes. Or, les outils, cela se vérifie pour les évaluations, peuvent surdéterminer les pratiques. On ne voit pas en effet l’apport réel des instruments utilisés quand d’autres observations, celles des cahiers d’élèves par exemple, permettraient de parvenir en moins de temps et avec autant de pertinence, à identifier les besoins très génériques auxquels on aboutit in fine.

Marie Toullec-Théry s’est attachée à identifier l’ensemble des « tensions bipolaires » 34 qu’elle a pu relever dans le cadre de la co-intervention. Elle est amenée à constater que les enseignants sont démunis au regard de ces tensions. Ainsi quand ils sollicitent plus de temps et qu’il leur est demandé comment ils l’utiliseraient, ils ne savent que répondre. Pascal Bressoux35 fait une observation similaire : à force de réformes, les maîtres semblent manquer de repères avec cette impression qu’on change « parce qu’ils ne font pas bien ». Ce sont des professionnels, dit-il, à qui l’on n’a peut-être pas suffisamment enseigné les gestes techniques.

Pour sa part, Françoise Lantheaume36, dans le cadre de ses recherches, pose la question suivante : « comment les acteurs s’approprient-ils les conditions de mise en œuvre de la réforme ? » Elle travaille à ce titre, dans la continuité des recherches de la sociologie de la

33 Les éléments ici rapportés font suite à un entretien avec Marie Toullec-Théry à Nantes le 18 février 2014. Par ailleurs, la mission tient à remercier Marie Toullec-Théry et Corinne Marlot, auteures d’un article : Premiers éléments d’analyse de deux dispositifs contrastés « plus de maîtres que de classes », à paraître, d’avoir autorisé qu’une partie des observations contenues dans cet article soit citée.

34 Parmi ces « tensions bipolaires » Marie Toullec-Thery énumère les suivantes : difficulté / grande difficulté, besoins / niveau, besoins / ressources, hétérogénéité / homogénéité, collectif / individuel, internalisation /externalisation, stabilité / transformation des pratiques, organisation / apprentissages, progrès /réusssite, public ciblé / tous, anticipation /remédiation, situations d’apprentissage / transversal, soutenir / laisser tranquille, motivation / adhésion, estime de soi /capital d’adéquation, évaluation / expérience, pilotage / réponse spontanée, équipe d’école /équipe de circonscription, pratique ordinaire / innovante, savoirs / connaissances.

35 Entretien du 18 mars 2014.

36 Entretien du 5 février 2014

traduction sur la manière dont les micro-acteurs traduisent – et trahissent donc – en se les appropriant, les orientations des macro-acteurs. Elle insiste de ce fait sur l’importance de la coordination de l’action et sur l’organisation des adultes (agendas, répartitions, projets..), sur la régulation comme sur la coopération. « On ne peut pas introduire ce dispositif sans penser en même temps l’organisation du travail ». « La question centrale est bien l’organisation du travail dans l’école », ce qui signifie que « l’introduction du dispositif du maître supplémentaire n’est pas forcément synonyme d’un allègement de charges car il suppose de nouvelles tâches. Il faut savoir ce que l’on cherche en mettant en place un tel dispositif. Sur ce point l’institution a quelque chose à dire. Mais il faut savoir que quelles que soient les injonctions, à partir du moment où on crée une nouvelle ressource, celle-ci va être interprétée et intégrée de façon très différente, en fonction des besoins de l’organisation bénéficiaire ou de négociations internes à celle-ci. Ainsi le maître supplémentaire pourra être utilisé pour tenir la classe, pour aider aux apprentissages ou même pour faire en sorte que rien ne change37…».

Cette dernière partie met en évidence un point crucial évoqué par l’un des chercheurs rencontrés, à savoir que le corps enseignant semble ne plus savoir où sont ses fondamentaux.

Marie Toullec-Thery cite à ce propos un rapport de l’IGEN : «… des réformes successives au titre de la lutte contre l’échec scolaire ont instauré des dispositifs (…) dont la diversité même est maintenant source de grande confusion chez les enseignants et dont la juxtaposition risque de nuire à l’efficacité de cette lutte »38.

La circulaire n° 2012-201 du 18 décembre 2012 renvoie de manière implicite à un important travail d’organisation, de réflexion sur les adaptations du métier. L’introduction d’un espace destiné à laisser de la marge à la « traduction » des orientations assignées par l’institution aux équipes est favorisée par la notion de projet d’école comme par le respect de la liberté pédagogique des maîtres. On en appelle ainsi au professionnalisme des enseignants.

La tension induite entre des éléments de cadrage précis de la circulaire et les marges d’interprétation qu’elle autorise revient à en appeler au savoir-faire des praticiens. Cela au moment où, du fait de changements multiples et répétés, les professionnels en question semblent, si l’on en croit certains témoignages, douter de leur identité professionnelle. Faut-il voir là l’origine d’une demande accrue d’accompagnement, de temps, d’outils… ?

Cela interpelle l’institution et ce qu’on appellerait la conduite du changement.

Il faut un cadrage formel, dire ce qui doit être et ne pas être, préciser les objectifs fondamentaux et rappeler, parmi ceux-ci, que l’action se joue dans la classe, au sein du groupe classe, à partir d’un projet, avec l’engagement d’une équipe et en ciblant les apprentissages attendus par les programmes. Mais il faut peut-être faire plus et pour cela proposer de nouveaux outils, des formations mettant davantage l’accent sur les situations d’apprentissage les plus complexes et les gestes professionnels, apporter une aide accrue à la mise en œuvre comme au suivi.

37 Françoise Lantheaume, entretien du 18 décembre 2012, http://www.snuipp.fr/Coordination-regulation

38 Rapport N° 2010-114-IGEN-IGAENR, octobre 2010, cité supra.