• Aucun résultat trouvé

D. Une prise en charge variable selon les médecins

2. Une prise en charge centrée sur la communication orale

• Des outils restreints

Que le sujet soit abordé à la suite d’une demande du patient, en prévention primaire ou dans un contexte pathologique, il est traité principalement à l’oral. Cela rejoint les résultats d’études quantitatives antérieures dans lesquelles l’échange verbal prédominait dans 80,4% à 90% des consultation (31,34). Néanmoins, d’autres moyens ont été cités dans notre étude :

Le journal alimentaire est une technique utilisée par les médecins les plus impliqués en nutrition mais abandonnée par les autres car il nécessite souvent de dédier une consultation spécifique ou, du moins, en très grande partie accordée à l’alimentation. Il est aussi qualifié plusieurs fois de « complexe à utiliser » pour le patient qui rapporterait au médecin des documents parfois non exploitables.

Le cas de la fiche alimentaire est différent. Elle est utilisée par un plus grand nombre de médecins soit pour dispenser les conseils et donc ne pas « perdre de temps » en consultation, soit comme introduction à la nutrition pour y revenir dans un second temps, soit encore comme prolongement des informations données en consultation. Elles peuvent être issues d’un livre, éditées par un laboratoire pharmaceutique, issues du PNNS, créées par le médecin lui-même. Le type de fiche nous semble assez révélateur de l’intérêt du médecin pour la nutrition. Les fiches personnalisées demandent en effet plus de temps et d’investissement pour leur réalisation et des travaux avaient montré une meilleure efficacité qu’une fiche pré-imprimée (54).

Afin de donner une information au patient, les médecins ont aussi avancé l’utilisation des outils numériques : internet et applications. De nombreuses informations circulent sur internet mais faut-il encore savoir quelles sont les sources valides. Le médecin peut là aussi conseiller le patient et l’orienter vers des références de qualité comme le site du PNNS, ou les tables Ciqual.

79 Nous pouvons d’ailleurs remarquer que les outils du PNNS remportaient une adhésion variable de la part des médecins interrogés. Ceux abordant le moins la nutrition les utilisaient pour donner une information générale. Mais ceux qui abordaient la nutrition plus spécifiquement les trouvaient souvent trop généralistes et ne les utilisaient pas. Le but des plans nationaux est en effet de s’adresser à la population la plus large possible, ce qui ne correspond pas à la réalité de la consultation de médecine générale ciblée sur un individu ou son environnement familial proche. Une utilisation synergique des deux modes d’abord nous semblerait tout à fait pertinent : plans nationaux et leur communication pour une sensibilisation au sujet avec une information générale, relayés par une exploration « sur- mesure » et une information personnalisée en consultation.

• Des conseils proches du PNNS 4

Les informations délivrées en consultation s’inscrivaient dans les idées d’équilibre général, de qualité, de quantité et de diversité des aliments, de plaisir de manger, d’adaptation à la dépense physique, d’opposition aux régimes amaigrissants... Même sans se réclamer des campagnes nationales les médecins généralistes rejoignent globalement leurs notions. Le PNNS 4 aborde notamment la nutrition sous l’aspect « augmenter », « aller vers», « réduire», ce qui est proche de ce qu’évoquent les médecins (55). Pour certains cela passe également par de l’approvisionnement local, en circuit court, voir en « bio », notions nouvellement introduites dans le dernier plan national.

Dans le propos, certains nutriments sont reliés plus spécifiquement à des pathologies: les glucides avec diabète et surpoids, les protéines chez la personne âgée, les lipides pour le cholestérol et surpoids, le calcium chez les femme. Mais les médecins ne se concentrent pas sur cette échelle du nutriment, ce qui pourrait relever du « nutritionisme ». Ils gardent un discours global d’équilibre et insistent dans un second temps sur les problématiques plus spécifiques de la personne à qui ils s’adressent.

La notion de plaisir est souvent mise en avant. Indissociable de l’alimentation, le changement doit également passer par lui selon nos médecins, loin de la classique association nutrition - privation. Ceci est en accord avec le PNNS 4 qui ne prône aucune interdiction mais incite à des modulations, évitant ainsi la frustration et la possible restriction cognitive. Cependant, certains discours laissent encore transparaître des notions d’interdiction ou de privation.

• La nécessaire adaptation du discours

L’idée générale d’adaptation au patient est fortement mise en avant afin de correspondre à ses besoins et d’avoir un discours qui soit audible et acceptable, condition sine qua non pour impulser un changement.

80 Pour Tristan Fournier, l’observance diététique répond à plusieurs déterminants : le niveau de gestion alimentaire de l’individu (cuisine, courses) ses critères socio- démographiques (famille, lieu de résidence, genre), mais aussi le contexte des repas (3). Dans notre étude le Docteur F évoquait bien cette complexité de la chaîne de l’alimentation.

Notre corpus a évoqué à plusieurs reprises la nécessaire adaptation au patient. Ce sont des consultations pensées comme « sur-mesure ». Comme observé dans les discours, chaque personne a son propre vécu de l’alimentation et il semble donc naturel que le médecin doive s’y adapter.

L’adaptation est aussi celle du discours médical, correspondant au patient. On remarque l’utilisation de techniques retrouvées en éducation thérapeutique et en sciences de l’enseignement en général : simplicité, brièveté, explication des mécanismes, transmission des savoirs. En plus des conseils que les médecins prodiguent on peut retrouver aussi des images véhiculées comme celle de l’importance de la nutrition, du potentiel thérapeutique, mais aussi des conséquences possiblement néfastes d’une alimentation inadaptée. Ils essayent par se biais d’induire une « prise de conscience » ou un « déclic » chez le patient. Il faudra toutefois veiller à ne pas susciter une peur contre-productive dans l’information sur les risques inhérents à la nutrition.

• Induire les changements de comportement

Les docteurs B et D qui traitent beaucoup de nutrition, utilisent sans les nommer des techniques d’approche motivationnelle. Ces techniques se centrent sur le patient plus que sur la maladie, se focalisent sur ses attentes, ses besoins et ses possibilités. Elles cherchent à faire émaner la solution et fixer des objectifs par le patient lui-même (56). Le docteur B a d’ailleurs suivi la formation en éducation thérapeutique où sont enseignées ces techniques du changement.

On peut noter que les femmes sont associées à un fort potentiel de changement. Elles sont perçues comme celles qui occupent le rôle central dans l’alimentation de la famille et sont donc un levier important de changement pour tous ses membres. Leur rôle a été mis en avant aussi pour faire changer les habitudes des maris. Mais un des médecins a aussi identifié une potentielle difficulté si les mères et épouses se sentent remise en cause dans leur « rôle nourricier ».