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Priorité : gestion des pièces et équipements

CHAPITRE 2 COMPARAISON DE MODÈLES D’AFFAIRES DANS L’INDUSTRIE DU

2.3 Discussion : pourquoi un modèle d’affaires plutôt qu’un autre?

2.3.1 Priorité : gestion des pièces et équipements

2.3.1.1 Justification du modèle d’affaires

La première famille de modèles d’affaires analysée concerne les démanteleurs orientés vers les activités d’extraction et de revente des pièces détachées et équipements. Tout d’abord, il est à noter que quatre des cinq compagnies étudiées retirent elles-mêmes les pièces détachées demandées par le client : A, B, D et E. Parmi celles-ci, seule B ne propose pas de service revente des pièces récupérées.

À l’instar de nombreuses industries, le marché des pièces détachées se révèle être très rentable (Suomala, Sievänen, & Paranko, 2002), comme l’ont confirmé les différents acteurs contactés. Pour certains types d'aéronefs, la vente séparée des pièces réutilisables est même financièrement plus intéressante que la vente de l'avion dans son ensemble (De Brito, 2007). Certains avions n’ayant pas atteint la moitié de leur espérance de vie peuvent parfois être mis au rebus, pour la simple raison que la valeur qu’il est possible de retirer de ces pièces détachées est plus importante que le bénéfice de son opération. En effet, un modèle aéronef encore jeune signifie que beaucoup d’exemplaires similaires sont encore en état de vol, et qu’il y a donc une demande importante pour les pièces détachées, et une offre assez faible en pièces d’occasion.

Mais l’implication dans le courtage en pièces détachées nécessite un savoir-faire, des installations, des ingénieurs qualifiés et certifiés ainsi qu’un réseau de partenaires, de clients et de fournisseurs bien développé. L’existence d’un réseau d’experts dans ce domaine est essentielle pour le secteur aéronautique. En effet, l’une des principales préoccupations des OEM est le marché noir des pièces détachées. Des composants illégalement récupérés (par exemple après avoir été jetés car déclarés inutilisables ou trop vieux, mais pas suffisamment détruits pour les rendre inexploitables) avec une documentation falsifiée regagnent les circuits de pièces des rechange, se vendent à des prix bradés et se retrouvent dans les flottes aériennes. Cette pratique est un fléau pour tous les acteurs du domaine aéronautique, qui ne tarit pas aujourd’hui avec la tendance des compagnies à externaliser leur maintenance, et donc à avoir de plus en plus de mal à contrôler parfaitement les pièces qui circulent sur leurs appareils. Des préoccupations

majeures évidentes concernent la sécurité des utilisateurs de l’aéronef. Outre cela, OEM et détenteurs du Parts Manufacturer Approval (PMA, autorisation accordée par la FAA à une compagnie de produire des pièces de remplacement sans l’accord du constructeur de l’appareil) perdent illégitimement des parts de marché importantes, les fabricants et opérateurs d’avions doivent changer ces pièces de qualité bien inférieure plus souvent, ils font également face à de gros problèmes d’image de marque si un incident se produit. Ainsi, afin de prévenir la croissance de ce marché, les pièces doivent être très rigoureusement contrôlées.

Un premier tri doit être effectué, séparant les pièces pouvant être réutilisées sur un avion de celles à récupérer pour leurs matériaux constitutifs. Les pièces décrétées non réavionnables doivent êtres irrémédiablement détruites afin d’éviter toute récupération intempestive. Les pièces destinées à revoler doivent subir toutes les vérifications concernant les documents de vol, ainsi que les réparations nécessaires. Un nouveau propriétaire est ensuite cherché, ce pour quoi un réseau bien développé est fondamental. Enfin, les aspects logistiques sont abordés : ces pièces étant fragiles, leur transport et leur manipulation requièrent un soin particulier. Néanmoins, l’ordre de ces étapes n’est pas immuable : en effet, le démontage de l’avion peut également être tiré par la demande en pièces détachées, c’est-à-dire qu’on n’enlève une pièce d’un avion en fin de vie qu’une fois qu’on en a trouvé un acquéreur. Les problématiques rencontrées sont dans ce cas similaires à celles du domaine de l’automobile, en tant que gestion d’une flotte d’avions au sol.

L’absence des capacités décrites ci-dessus pourrait expliquer le choix de B de ne pas s’impliquer dans la revente des pièces détachées. Le PDG de la compagnie a également donné lors d’une rencontre sur son site une autre explication. Il affirme que sa présence sur le marché des pièces détachées risquerait de générer des conflits d’intérêt avec ses clients. Il mentionne la difficulté de satisfaire à la fois l’objectif du propriétaire d’avions qui souhaite vendre ses pièces au prix le plus haut, et celui du courtier en pièces détachées, qui cherche à obtenir des pièces les moins chères possibles pour les revendre plus chères.

Pour les compagnies restituant les pièces au client, comme B, la question du choix des pièces à retirer ne se pose pas : elles se plient à la demande du client, le reste de la carcasse est broyé indépendamment de ce qu’il reste à l’intérieur. Ces demandes peuvent être très variables en fonction de la nature du client. Par exemple, une compagnie aérienne voudra probablement récupérer le plus d’équipements possibles afin d’alimenter la maintenance de sa flotte. À l’inverse, un établissement financier cherchera plutôt à récupérer les fonds le plus rapidement possible, et ainsi pourra ne demander uniquement le retrait des pièces les plus importantes et dont la valeur est la plus élevée. Pour les entreprises qui pratiquent également le courtage des pièces retirées, le choix des pièces à enlever de l’appareil avant démolition prend tout son sens. Certaines pièces ne présentent pas de doute, la revente sera rentable. Parmi elles, il y a évidemment les moteurs, qui peuvent constituer 80% de la valeur de l’appareil en fin de vie; les trains d’atterrissage ou encore l’avionique dont il est possible de retirer 1.5 millions de dollars. Mais pour les autres, comment savoir à partir de quel moment les pièces restantes ne valent pas le coup d’être démontées et que la carcasse peut être broyée? Le choix n’est pas toujours laissé au démanteleur. En effet, certains clients imposeront les pièces à démonter et celles à broyer, même s’ils laissent ensuite au démanteleur le soin de se débarrasser de la carcasse. Ceci s’explique par une volonté de contrôler le marché des pièces détachées. En effet, si le client est lui-même courtier en pièces détachées et qu’il ne souhaite pas récupérer une certaine pièce parce qu’il estime en disposer d’un nombre suffisant, il ne voudra pas non plus qu’elle soit mise sur le marché et concurrence potentiellement son propre stock. Le démanteleur sera alors dans l’obligation de la détruire même s’il estimait pouvoir en tirer un certain profit.

Dans le cas où le choix des pièces à retirer est laissé au démanteleur, il est difficile d’obtenir de l’information sur les facteurs influençant cette décision. Il semble que l’expérience soit pour l’instant le meilleur outil permettant de juger si le retrait d’une pièce peut être économiquement intéressant.

Finalement, il apparaît que le marché des pièces détachées semble être d’une part très rentable, mais d’autre part exigeant d’un point de vue réglementaire et stratégique, dans lequel il peut être difficile de s’insérer. Le cas de la compagnie D, seule compagnie réalisant uniquement l’étape de retrait et de revente des pièces, est significatif. Le métier d’origine de la compagnie est le courtage d’avions et de pièces détachées, elle dispose donc des infrastructures et du réseau nécessaire pour revendre pièces et équipements. L’entreprise a ainsi probablement vu dans le démantèlement d’avions un nouveau moyen d’obtenir des pièces détachées pour alimenter son activité. C’est pourquoi elle ne prend pas en charge la partie de démantèlement de la carcasse.

2.3.1.2 Pistes d’amélioration

L’activité concernant les pièces détachées peut se décomposer en deux parties : le désassemblage à proprement parler, et la gestion des pièces récupérées. Concernant la première, les discussions avec les compagnies de démantèlement ont montré qu’elles retirent la plupart du temps que les pièces requises par le client, ce qui ne laisse guère de marge de manœuvre. Pour les courtiers en pièces détachées, la gestion des pièces récupérées présente en revanche un potentiel d’amélioration. La compagnie peut fonctionner à la fois en flux tiré et en flux poussé. En effet, certaines pièces jouissent d’une demande très importante, et l’on peut considérer que la compagnie doit les gérer en flux tiré. Il s’agit soit des pièces dites « rotables » (pièces qui doivent être changées fréquemment sur un avion), soit des pièces pour des appareils dont de nombreux modèles sont encore en vol. À l’inverse, pour les pièces dont la demande est plus rare, la compagnie se retrouve dans un mode de gestion en flux poussé : la compagnie reçoit un avion qu’elle se doit de démanteler, même si les pièces sont plus difficiles à vendre. Cette gestion des pièces détachées est tout à fait similaire à ce qui se fait dans l’industrie automobile. Or, comme il a été présenté dans le paragraphe 1.1.2, le traitement des véhicules en fin de vie est régulé (notamment en Europe) depuis plusieurs années déjà, ce qui implique une certaine expérience dans le domaine. Ainsi, des méthodes analogues à cette industrie pourraient être utilisées.

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