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a) Evènement prédit mais non anticipé

Il y a cinquante ans déjà, un parasitologue français soulignait que l’ensemble des conditions nécessaires à l’établissement de transmission de schistosomiase étaient réunies en Corse et que « le premier cas certain de bilharziose humaine autochtone n'est donc pas inconcevable… » (Doby et al. 1966). Environ 50 ans plus tard le parasite a pu s’établir, provoquant des cas autochtones de schistosomiase urogénitale en Corse du sud. Les premiers cas ont été diagnostiqués en avril 2014 chez des patients français et allemands n’ayant jamais séjourné dans des zones endémiques de la schistosomiase mais ayant tous été en contact avec la rivière du Cavu entre 2011 et 2013, à proximité de Porto-Vecchio (Figure 4) (Holtfreter et al. 2014; Berry et al. 2016; Berry et al. 2014; Boissier et al. 2015). C’est dans ce contexte que l’enquête épidémiologique sur les cas potentiellement acquis en Corse a commencé.

b) L’enquête Corse

De nombreux acteurs se sont réunis afin de comprendre cette situation inédite dans cette partie du globe. Une vaste campagne nationale de dépistage, de traitement et d’information a été lancée, et en 2015 l'INstitut de Veille Sanitaire (INVS, aujourd’hui Santé Publique France) ainsi que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ont recensé une centaine de cas d’infections en Corse (37 000 personnes diagnostiquées), autochtones mais également de personnes résidant en France métropolitaine et à l’étranger montrant l’étendue du foyer infectieux (Noël et al. 2018). Des investigations épidémiologiques, parasitologiques et malacologiques ont permis d’identifier précisément les sites de transmission et les périodes d’infection, mais aussi de confirmer la présence de l’hôte intermédiaire (Bulinus truncatus) nécessaire à la transmission du parasite (Figure 4) (Boissier et al. 2015). La présence de l’hôte intermédiaire en Corse était connue depuis de nombreuses années (Brumpt 1930) mais le risque potentiel de voir ce mollusque devenir le

vecteur de la schistosomiase sous nos latitudes a échappé aux instances de santé. Le parasite a forcément été importé par une personne infectée, qui a disséminé, malgré elle, les œufs de parasites dans la rivière. En effet, la Corse est particulièrement attractive pour les touristes et sa population s’élève de 300 000 à 3 millions de personnes en saison estivale, faisant autant d'hôtes potentiels pour le parasite, mais également autant d’hôtes réservoirs de la maladie.

Figure 4 : Localisation du site d’émergence de schistosomiase en Corse du Sud, au Nord de Porto Vecchio et photographie d’un site de contamination. Il est également représenté sur cette figure la présence de bulins (hôtes vecteurs du parasite) ainsi que les panneaux interdisant la baignade en 2014. (Crédit photo © Boissier-IHPE-2015).

La rivière du Cavu fut interdite à la baignade pour la saison 2014 (Figure 4). Aucun cas n'a été recensé après cette fermeture. La réouverture en 2015, et l’identification de nouveaux cas contractés durant cette période, mais également la saison suivante en 2016 (au total 7 nouveaux cas) ont mis en évidence une reprise de la transmission (Ramalli et al. 2018; Berry et al. 2016). Le réservoir vertébré et notamment humain est le premier suspect dans le réensemencement de la rivière dans les années qui ont suivi les premiers cas (Berry et al. 2016). En juin 2016, la schistosomiase est devenue une maladie à déclaration obligatoire, centralisée par un même institut et permettant de recenser l’ensemble des cas contractés sur le territoire français. La déclaration doit être faite auprès du médecin de l'Agence régionale de santé (ARS) du lieu d'exercice et à Santé Publique France (SPF). Aujourd’hui la schistosomiase peut être considérée comme endémique en Corse. Concernant l’année 2017

il n’y a pas eu à ce jour de cas identifiés de contamination mais la détection des personnes infectées est difficile: 66% des personnes infectées lors de l'épidémie de 2013 étaient asymptomatiques et le délai médian avant l'apparition du premier symptôme est de 7 mois (Ramalli et al. 2018).

Afin de mieux comprendre et contrôler la situation épidémiologique en Corse il était nécessaire de caractériser la nature du parasite responsable de l’épidémie à la fois au niveau de ses interactions avec ses hôtes potentiels mais aussi au niveau moléculaire. Lorsqu’un foyer de schistosomiase est décrit il est nécessaire d’identifier/confirmer l’espèce de parasite incriminée. L’enquête parasitologique de la schistosomiase est dans un premier temps basée sur la morphologie des œufs, typique d’une espèce ou groupe d’espèces de schistosomes (Figure 5). Les œufs récupérés à partir de l’urine des patients contaminés durant l’infection en 2013 avaient deux morphotypes, i) un morphotype rond à ovale, typique de S. haematobium, ii) un morphotype intermédiaire entre ovale et allongé/losangique non typique de S. haematobium (Moné et al. 2015) (Figure 5).

Figure 5 : Morphologie des œufs issus du parasite ayant émergé en Corse. Deux morphotypes d’œufs ont été observés: à gauche, deux œufs au morphotype non typique de

S. haematobium; à droite, un œuf typique de S. haematobium (adapté de (Moné et al.

2015)).

La caractérisation moléculaire des œufs issus de patients infectés a également indiqué une situation complexe avec, en plus d’une contamination par l’espèce pure S. haematobium, la présence d’un parasite hybride entre S. haematobium et S. bovis qui est l’agent de la schistosomiase intestinale chez le bétail (Moné et al. 2015; Boissier et al. 2016). Nous verrons plus en détails la caractérisation du parasite dans le Chapitre 1 : Caractérisation du Schistosome émergeant en Corse, en nous appuyant sur deux de nos publications. Une première publication nous a permis d’élucider l’origine de l’émergence et de caractériser le statut hybride du parasite grâce notamment à des marqueurs moléculaires représentatifs du génome mitochondrial (COI : cytochrome oxydase I) et nucléaire (ITS2 : espaceur interne transcrit 2) du parasite (Boissier et al. 2016). La seconde publication a permis de caractériser

la composition génomique du parasite hybride et a révélé un mélange complexe de gènes parentaux des deux espèces à l’échelle du génome entier.

c) Quels rôles et quelles conséquences de l’hybridation dans l’émergence en Corse ?

Le caractère hybride du schistosome identifié en Corse rend la situation épidémiologique bien plus complexe et nécessite de prendre en compte les facteurs liés aux traits de vie des deux espèces parasites. Comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes, la schistosomiase est déjà une maladie difficilement contrôlable en partie à cause des multiples facteurs impliqués dans sa transmission. L’hybridation peut donc potentiellement conférer un nouveau facteur important à considérer dans le contrôle de la maladie car elle peut être à l’origine d’une capacité invasive supérieure. Nous ne savons pas encore si l’origine hybride du parasite est responsable de son expansion en Europe. En réalité nous connaissons déjà très peu les caractéristiques de ces parasites hybrides en Afrique et faisons face à une situation inédite en Europe. Nous ne connaissons pas les traits d’histoire de vie des schistosomes sous nos latitudes, et encore moins hybrides. Nous pouvons d’une part proposer que les hybrides pourraient être moins viables que les espèces parentales. Dans ce cas il y a peu de chances que l’hybridation soit à l’origine de l’émergence de la schistosomiase en Europe. En revanche ces croisements d’espèces peuvent dans certains cas conférer des capacités supérieures à la descendance comparé aux espèces parentales. En effet, le parasite peut être plus virulent et son spectre d’hôte peut être modifié ce qui impacterait fortement la transmission du parasite. Ils peuvent également bénéficier d’une meilleure capacité d’adaptation à un nouvel environnement. Dans ce cas là les hybrides peuvent avoir des capacités invasives plus importantes et ceci pourrait expliquer l’origine de l’émergence d’un tel parasite tropical en Europe. Afin d’explorer les conséquences de l’hybridation sur la valeur adaptative des parasites il est nécessaire de comparer ces hybrides aux espèces parentales à l’origine de ces croisements.

IV) Hybridation et introgression génomique : implication dans la