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Le principe de justice : l’élargissement du champ de la recherche

DANS LEQUEL S’ORGANISE

2.2 Les comités d’éthique de la recherche

2.2.1 Le principe de justice : l’élargissement du champ de la recherche

Les dispositions du Code civil du Québec relatives aux expérimentations sur le mineur et le majeur inapte s’inscrivent dans un mouvement d’élargissement de la recherche. L’élément moteur de cet élargissement repose sur le droit à l’égalité face au progrès scientifique lequel participe du principe de justice développé par la bioéthique199. Les différents

amendements apportés à l’article 21 du Code civil du Québec nous permettront de saisir l’ampleur de ce mouvement et les influences de l’autorégulation.

En 1971, seul le mineur doué de discernement peut se soumettre à une expérimentation. On doit toutefois obtenir le consentement du titulaire de la «puissance paternelle» et d’un juge de la Cour supérieure :

198. À notre avis, l’éthique consensuelle est un phénomène d’autorégulation; Mathieu Gagné, L’État et le régulation des médicaments : un dialogue normatif, thèse de doctorat en droit, Université Laval, Québec, 2005 aux pp. 81-84.

199. Cela s’inscrit dans une perspective générale d’intégrer les «exclus» de la recherche dans les protocoles expérimentaux tout en s’assurant d’une protection accrue dictée par les caractéristiques propres des groupes visés. Voir par exemple Conseil des organisations internationales des sciences médicales, Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains, Conseil des organisations internationales des sciences médicales, Genève, 2003, (ci-après «Directives internationales») qui insistent sur l’inclusion de différents groupes tels les femmes enceintes, les mères allaitantes, les malades mentaux, les déficients mentaux et les autres groupes sociaux vulnérables. Au Canada, voir Direction des produits thérapeutiques, Inclusion des femmes dans les essais cliniques, (directive), Ottawa, Santé Canada, 17 avril 1997 et Direction des produits thérapeutiques, Directive provisoire concernant l’inclusion des patients pédiatriques dans les essais cliniques, Ottawa, Santé Canada, août 1997.

(…) Le mineur, doué de discernement, le peut également [se soumettre à une expérimentation] avec le consentement du titulaire de l’autorité paternelle et d’un juge de la Cour supérieure à condition qu’il n’en résulte pas un risque sérieux pour sa santé (…)200

Cette exigence se révèle particulièrement contraignante puisqu’elle nécessite la considération par le tribunal de divers avis, notamment celui des experts, celui du titulaire de la «puissance paternelle» et, dans certaines circonstances, celui du sujet et des personnes qui manifestent un intérêt particulier. En 1987, l’Office de révision du Code civil du Québec propose que le mineur non doué de discernement et le majeur inapte puissent se soumettre à une expérimentation au même titre que le mineur doué de discer- nement :

(…) Le titulaire de l’autorité parentale, le tuteur ou le curateur peut, sous la même condition et s’il est autorisé par le tribunal, consentir à une aliénation ou à une expérimentation qui concerne un mineur ou un majeur inapte à consentir (…)201

Cette proposition est finalement introduite dans le Code civil du Québec en 1994. On établit alors une distinction entre l’expérimentation qui ne vise qu’une personne et l’expérimentation visant un groupe de personnes202. Dans ce dernier cas, l’autorisation du tribunal est remplacée par

l’approbation du ministre de la Santé et des Services sociaux, sur avis d’un comité d’éthique. La démarche est ainsi plus expéditive :

(…) L’expérimentation qui ne vise qu’une personne ne peut avoir lieu que si l’on peut s’attendre à un bénéfice pour la santé de la personne qui y est soumise et l’autorisation du tribunal est nécessaire.

200. Loi modifiant de nouveau le Code civil et modifiant la Loi abolissant la peine de mort civile, L.Q. 1971, c. 84, art. 2 (entrée en vigueur le 1er décembre 1971).

201. Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens, L.Q. 1987, c. 18, art. 18(2).

202. Selon Deleury et Goubau, le législateur voulait ainsi s’écarter de la logique binaire qui conduit à opposer thérapie et recherche. É.Deleury et D. Goubau, Le droit des personnes physiques, 3e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2002 à la p. 145.

Lorsqu’elle vise un groupe de personnes mineures ou majeures inaptes, l’expérimentation doit être effectuée dans le cadre d’un projet de recherche approuvé par le ministre de la Santé et des Services sociaux, sur avis d’un comité d’éthique du centre hospitalier désigné par le ministre ou d’un comité d’éthique créé par lui à cette fin (…)203

En 1998, l’exigence de l’autorisation du tribunal est également levée pour les expérimentations ne visant qu’un individu. Aussi, de consultatifs les CER sont devenus décisionnels :

(…) Une telle expérimentation doit s’inscrire dans un projet de recherche approuvé et suivi par un comité d’éthique. Les comités d’éthique compétents sont institués par le ministre de la Santé et des Services sociaux ou désignés par lui parmi les comités d’éthique de la recherche existants; le ministre en définit la composition et les conditions de fonctionnement qui sont publiées à la Gazette officielle du Québec. (…)204

Bref, on constate que le Code civil du Québec tend à élargir le concept de «sujet de recherche» et à assouplir le mécanisme d’approbation suivant en cela le mouvement initié par la Déclaration d’Helsinki. En effet, dès 1964, la Déclaration d’Helsinki renvoie à l’expérimentation sur le mineur et le majeur inapte en précisant que le chercheur doit obtenir le consentement du tuteur si le sujet est «irresponsable»205.

203. Code civil du Québec, supra note 84, art. 21 (décret 71293, entré en vigueur le 1er janvier

1994).

204. Loi modifiant l’article 21 du Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1998, c. 32, art. 21 (entrée en vigueur le 17 juin 1998).

205. Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale, Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains, adoptée par la 18e

Assemblée générale, Helsinki, juin 1964 et amendée par les 29e Assemblée générale,

Tokyo, octobre 1975; 35e Assemblée générale, Venise, octobre 1983; 41e Assemblée

générale, Hong Kong, septembre 1989; 48e Assemblée générale, Somerset West (Afrique

du Sud), octobre 1996; 52e Assemblée générale, Edimbourg, octobre 2000; l’Assemblée

générale de l’AMM, Washington 2002 (addition d’une note explicative concernant le paragraphe 29) et Assemblée générale de l’AMM, Tokyo 2004 (addition d’une note explicative concernant le paragraphe 30), principe 3a In fine (ci-après «Déclaration d’Helsinki»).

De plus, depuis juin 1998, le Code civil du Québec prévoit une exception au principe de la représentation légale; la situation médicale d’urgence. En effet, lorsque l’inaptitude du majeur est subite et que l’expérimentation, dans la mesure où elle doit être effectuée rapidement après l’apparition de l’état qui y donne lieu, ne permet pas d’attribuer au majeur un représentant légal en temps utile, le consentement est donné par la personne habilitée à consentir aux soins requis par le majeur. Il appartient au CER de déterminer, lors de l’examen du projet de recherche, si l’expérimentation rencontre une telle condition206.

2.2.2 Les comités d’éthique de la recherche : vers la substitution d’une