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3. EXPÉRIMENTATION PRATIQUE : ÉCRITURE COLLABORATIVE D’UN RÉCIT

3.4. Analyse du recueil de données

3.4.3. Le principe des énigmes : corrélation entre texte et illustration

Les élèves avaient été très friands des jeux proposés dans les illustrations des albums de Gründ. Il s’agissait essentiellement de trouver dans l’image des objets dissimulés dont on indiquait le nombre ainsi que des labyrinthes à suivre.

Pour autant, les différents groupes d’écriture ont, par la suite, peu utilisé le principe du jeu et des énigmes. Deux groupes, « cimetière » et « volcan », ont tenté d’utiliser l’illustration comme support de jeu (trouver et compter des éléments dans l’illustration

pour avoir le droit d’avancer dans le récit) mais apprécier n’est pas faire, et les élèves n’ont pas compris que l’échec au jeu devait avoir une conséquence différente dans la suite du récit que la réussite. Ainsi, on trouve p. 36 du livre-jeu69 une consigne : « trouve les cinq rondins et les dix ficelles pour construire un radeau » mais, quelle que soit l’exécution de cette consigne, la progression de la lecture n’en est pas impactée. Le groupe « cimetière »70, en revanche, est parvenu à créer une énigme mathématique en se servant de l’illustration (p. 38 du livre-jeu71), mais seulement après plusieurs explications de ma part sur la logique de leur consigne. Cette difficulté à penser et formuler un jeu est d’autant plus surprenante que la classe est habituée, lors du rituel d’accueil de la matinée, à résoudre devinettes, charades et énigmes en tout genre. J’avais imaginé qu’ils se serviraient davantage de ces exemples pour proposer des défis au lecteur. Lors de la séance d’écriture 2, je leur ai expliqué que le lecteur ne pouvait pas comprendre l’énigme qu’ils avaient formulée (entrant dans une posture d’accompagnement pour préciser, m’appuyant sur le travail de Bruner, les caractéristiques déterminantes de l’exercice.72 Il a été très difficile de montrer aux élèves l’écart entre les attendus de l’écriture d’une énigme et leur proposition).

« Vous arrivez dans le cimetière. Vous voyez une pancarte qui vous indique l’énigme à résoudre, c’est de déterrer un mort-vivant qui vous donnera des potions qui vous serviront. Après cinq minutes, vous serez enterré à tout jamais ou vous retournez à 0 et si vous retournez à 0, vous n’aurez pas les potions et ces potions peuvent se transformer en ce que vous voulez. »

Non seulement, il n’y avait aucune énigme mais, en outre, les élèves semblaient ici confondre réalité et lecture : on imaginait mal comment le lecteur pouvait agir après ce texte. A quoi servaient ces cinq minutes ? Que faire de potions qui, si elles sont gagnées, peuvent avoir des répercussions sur tous les autres groupes du livre-jeu ? J’ai compris trop tard que les élèves ne connaissaient pas le sens du mot « énigme » et le confondaient avec le mot « défi ». Les nombreux échanges que j’ai eus avec le groupe aboutissaient à une impasse puisque je leur demandais de formuler l’énigme dont ils parlaient et qu’ils ne répondaient à ma demande qu’en imaginant des actions.

Voici une deuxième version :

69 cf. ANNEXE XXIV 70 cf.ANNEXE XXV 71 cf. ANNEXE XXIV

« Il y a une pancarte avec une énigme pour gagner une potion. Si tu trouves l’énigme, il faudra déterrer un mort-vivant qui te donnera la potion. Avec la potion, on peut la verser sur les tombes, mais si tu n’as pas fait toutes les tombes et que tu n’as plus de potion, tu as perdu. »73

On note à nouveau que la profusion d’idées des élèves (une potion qui permet des transformations, la menace d’un mort-vivant, des tombes à arroser, une quantité limitée qui fait écho au temps limité de la version 1…) entraine un texte confus et décousu. La simplicité d’un jeu ou d’une énigme est paradoxalement très difficile à atteindre parce qu’elle vient en concurrence avec l’imagination et l’enthousiasme d’une posture

ludique et créative. Il a été même question à un moment d’ajouter des mots croisés,

ainsi qu’un labyrinthe. J’ai une nouvelle fois expliqué aux élèves qu’il n’y avait pas d’énigme dans leur texte et que le lecteur ne pouvait pas faire ce qu’ils demandaient. En vain. Les élèves semblent ne pas avoir encore accès au mécanisme de conception de ces exercices. Ils savent répéter une devinette ou une charade mais, ici, la nécessité de faire corréler lecture et jeu leur demandait de contextualiser ladite devinette ; ils ne sont parvenus à le faire qu’avec un guidage très appuyé de ma part. La situation ne s’est débloquée qu’avec l’arrivée de l’illustration et l’abandon total de la référence à une potion. La version évolue :

« Tu as décidé de résoudre l’énigme. C’est la bonne solution. Trouve sept cristaux qui te conduiront à la bonne tombe (mais ces cristaux ne brillent pas). Si tu trouves, va à la page…, si tu ne trouves pas, va à la page... »

Une nouvelle séance de révision a amené les élèves à comprendre qu’il fallait que le résultat de l’exercice demandé conduise le lecteur à une page différente en cas d’échec ou de réussite. Une discussion leur a fait intégrer un calcul à partir des cristaux dessinés, ce qui a permis le texte final (p. 38).

Il me semble important de préciser que le groupe « cimetière » était composé de trois très bons élèves : le déroulement des séances d’écriture montre les efforts permanents de chacun pour régler le problème auquel ils étaient confrontés. Ils ne l’ont fait qu’en renonçant à leurs idées de départ, l’étayage n’ayant pas pu être pleinement efficace du fait du malentendu initial sur le sens du mot « énigme ». Ainsi, la technique de création d’une énigme, qui me paraissait une composante négligeable parce qu’évidente de l’écriture du livre-jeu, s’est révélée être un obstacle au plaisir d’écrire.