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PARTIE 5. DISCUSSION GENERALE

5.1 Principaux résultats

L’objectif de cette thèse était d’estimer le coût de l’antibiorésistance à partir des données du SNDS et de fournir aux décideurs et à la communauté scientifique des indicateurs économiques. En développant une étude cas-témoin appariés, nous avons estimé le surcoût attribuable à l’antibiorésistance pour l’année 2015 à 110 millions € selon la perspective de l’assurance maladie obligatoire. Ce travail a mis en évidence le surcoût important des bactériémies, des infections ostéo-articulaires et des infections des voies respiratoires basses à germes antibiorésistants dont le surcoût hospitalier dépasse les 1 500 €. Par la suite, nous avons constitué une cohorte de patients avec une infection incidente que nous avons suivie pendant un an. Cela nous a permis de décrire la trajectoire de soins après un épisode infectieux hospitalier via une analyse de séquence [156,157], une méthode peu utilisée en santé publique[154,155]. Près de 50 % des patients avec infection à germe résistant sont réadmis au moins une fois dans un établissement de santé en France.

Parmi les patients avec infection à germe résistant et au moins une hospitalisation durant l’année de suivi, la grande majorité d’entre eux (environ 70 %) sont hospitalisés moins de 20 jours par an en moyenne. Nous avons observé qu’une proportion importante de patients avec une infection du cœur et du médiastin (28 %) et des voies respiratoires basses (29 %) décèdent au cours du suivi. Nos résultats révèlent aussi des séjours hospitaliers longs et coûteux, de plusieurs mois en moyenne en soins de suite et réhabilitation (SSR), particulièrement pour les patients avec infection ostéo-articulaire et infection du cœur et du médiastin à germes résistants.

Afin de comparer les consommations de soins ambulatoires et hospitaliers des patients avec infections à germe antibiorésistant ou sensible, trois autres indicateurs économiques ont été élaborés. En estimant le surcoût ambulatoire induit par l’antibiorésistance avec une approche par double différence [165,167], nos résultats indiquent que ce surcoût est restreint au premier mois post-hospitalisation et ne dépasse pas les 100 € en moyenne par patient.

Par la suite, nos analyses se sont focalisées sur les réhospitalisations. Avec une régression de Poisson, nous avons mis en évidence que les patients avec antibiorésistance avaient une durée d’hospitalisation suite à l’infection plus longue en moyenne à l’exception des infections du cœur et du médiastin. Les principaux secteurs d’activité contribuant à ces durées plus longues

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étaient les réhospitalisations pour infection en médecine, chirurgie obstétrique (IMCO) et les hospitalisations à domicile (HAD). Deux facteurs pouvaient expliquer ce résultat : l’augmentation du nombre de patients avec antibiorésistance réhospitalisé en IMCO et en HAD ou/et un allongement avéré des hospitalisations. Une dernière analyse confirme la contribution de l’IMCO et de l’HAD dans la surconsommation de soins, mais pour deux raisons distinctes identifiées à partir d’un modèle en deux parties [175]. Pour les réhospitalisations en MCO pour infection, l’augmentation de la probabilité de réhospitalisation et une augmentation des coûts d’hospitalisation contribuent à la surconsommation de soins observée. Nous avons mis en évidence une augmentation de la probabilité d’être hospitalisé à domicile pour les patients avec antibiorésistance, sans observer une élévation du coût. Au final, les réhospitalisations engendrent un surcoût induit par l’antibiorésistance de 620 € en moyenne sur une année de suivi.

Puisque les estimations de coûts hospitaliers ont été effectuées selon la perspective de l’assurance maladie obligatoire, elles équivalent au financement des hôpitaux pour la prise en charge des patients avec résistance. Dès lors, une interprétation possible de ces résultats est de se demander si ces montants estimés recouvrent les dépenses selon la perspective hospitalière. Hübner et al. avaient estimé un surcoût induit par l’antibiorésistance similaire au nôtre selon la perspective du payeur dans le système de santé allemand (1 100 €) [58]. Ils ont comparé ce résultat au coût de l’antibiorésistance selon la perspective hospitalière et ont mis en évidence un surcoût 8 fois plus important (8 700 €). Dans une autre étude, cette équipe a montré qu’en termes de revenu par jour et par séjour, le système de T2A allemand finançait de façon similaire la journée d’hospitalisation en cas de codage de résistance que les séjours sans codage de résistance [201]. Ainsi, le surcoût de l’antibiorésistance observé selon la perspective du payeur allemand était principalement causé par l’allongement de la durée de séjour. Or, dans nos travaux, nous avons mis en évidence que la moyenne du coût journalier était assez similaire dans le groupe avec infections à germe résistant et celui avec une infection à germe sensible avec respectivement 696 et 660 € par jour. Ce résultat indique que le surcoût observé est principalement causé par l’allongement de la durée d’hospitalisation plutôt que par un financement journalier plus important. En 2004, Lepelletier et al. sont arrivés à la même conclusion en analysant la différence de coût entre patients avec infections nosocomiales à SARM et les patients avec infections nosocomiales à SASM [202] selon la perspective d’un service de réanimation en France. Dans leurs travaux, ils n’ont pas révélé de différence de coût en termes de prise en charge et un surcoût lié à un allongement de la durée de séjour.

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Toutefois, au vu du codage du PMSI, nous pouvons émettre l’hypothèse d’un sous-financement des hôpitaux pour la prise en charge des infections à germes résistants. En effet, en termes de volume, nous avons mis en évidence l’existence d’un sous-codage de la résistance puisque le coût hospitalier de l’antibiorésistance que nous avons estimé (110 millions €) correspondrait à un tiers du financement théorique dans l’hypothèse où tous les cas d’infection à germe résistant seraient identifiés dans le PMSI (287 millions €). Par ailleurs, à travers l’algorithme RéBA, nous avons dû réidentifier des résistances à la pénicilline en résistance à la méthicilline ou en résistance par bétalactamases à spectre étendu. Or, le niveau de gravité du GHM induit par un codage de résistance à la pénicilline est moindre que celles de ces deux autres résistances. Ce qui implique que les hôpitaux étaient moins financés pour une prise en charge d’une infection à SARM par exemple, car il était identifié dans le PMSI par un codage de résistance à la pénicilline. Dès lors, à cause d’un sous-codage et de la qualité du codage de la résistance, le coût à l’échelle nationale de l’antibiorésistance selon la perspective de l’assurance maladie pourrait être insuffisant pour financer les hôpitaux dans la prise en charge de ces pathologies.

Par ailleurs au-delà de la prise en charge médicale du patient, les mesures de prévention et d’hygiène peuvent être prises par les hôpitaux afin d’éviter l’apparition de nouveaux cas. Ces mesures effectuées par des équipes hospitalières ne sont pas spécifiquement financées par la T2A[203]. Or Le Coz et al. ont évalué à 196 millions € le coût pour la mise en place d’équipes multidisciplinaires pour le bon usage d’antibiotiques dans tous les établissements de santé français [204] engendrant ainsi un poids économique substantiel pour les hôpitaux mettant en place ces équipes. Ces mesures sont nécessaires, puisque comme nous l’avons vu, des réadmissions en MCO pour infection sont plus fréquentes chez ces patients. Or, la réadmission dans un établissement de santé de patients porteurs de germes résistants pourrait contribuer à la dynamique des infections nosocomiales en colonisant de nouveaux patients [205,206].

Nous avons également observé une augmentation de la probabilité d’être admis en HAD sur une année pour les patients avec infection à germes résistants. Ce résultat pourrait être expliqué en partie par la mise en place d’antibiothérapies parentérales ambulatoires (APA). Or, l’APA permet une réduction des coûts en diminuant la durée de séjour hospitalier, tout en améliorant la qualité de vie des patients, évitant ainsi les isolements [207]. Elle n’est pas exempte d’inconvénients, et peut provoquer des complications (thrombose et infections) [208]. Cependant, le mode de prise en charge en HAD de ces patients demande à être confirmé et précisé par des analyses complémentaires. En effet, le nombre d’hospitalisations à domicile est en progression depuis plusieurs années [209], mais, à notre connaissance, peu d’études

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françaises ont évalué ce mode de prise en charge pour les patients avec infection à germe résistant.

En conclusion, nos travaux ont fourni plusieurs indicateurs économiques pertinents de l’antibiorésistance pour les décideurs couvrant un large spectre de la prise en charge des patients. Ces outils d’aide à la décision peuvent être transversaux (coût à l’échelle nationale, coût journalier, coût du séjour) ou longitudinaux (fréquentation des établissements de santé au cours de l’année, coût des réadmissions en MCO pour infection ou en HAD). Ils peuvent servir tout autant aux établissements de santé, aux payeurs (l’assurance maladie) ou aux décideurs politiques pour évaluer leur propre action de lutte contre l’antibiorésistance ou pour la surveillance de l’antibiorésistance en France. L’originalité de ce travail porte sur l’utilisation de la base SNDS, mais aussi sur le nombre de catégories d’infections pris en compte. Ainsi, il est possible que nos résultats estimés par des données individuelles puissent être utilisés pour de futurs modèles de projection économique.