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Chapitre  IV   : Présentation, analyse et discussion des résultats 77

1.   Principaux éléments factuels 78

Contexte de la demande d’AMM

Le contexte institutionnel dans lequel la demande d’AMM est reçue est celui d’un milieu de soins de longue durée québécois (ci-après appelé le Centre), encore novice dans la réception et la gestion d’une demande d’AMM. Il s’agit d’une première demande d’AMM pour le Centre.

Cette demande d’AMM a été formulée par une personne (ci-après nommée Colette) souffrant d’une maladie neuro-dégénérative. Elle est décrite comme une personne attachante, aimée de l’équipe, ayant du caractère, de la conversation et de l’humour, beaucoup de détermination et un amour de la notoriété. Au moment de la demande d’AMM, elle est dysphagique, ne peut plus s’alimenter seule ni pourvoir à ses soins d’hygiène. Sa vision et son ouïe se sont gravement détériorées. Elle dépend à tous égards des soins que lui procure l’équipe traitante. L’équipe traitante au chevet de Colette compte plusieurs personnes. La relation de soins ne se déroule pas ici de façon bipartite, entre le médecin et son patient, mais plutôt de façon multipartite : infirmières, infirmières auxiliaires, préposés aux bénéficiaires, travailleuse sociale sont au chevet. Des équipes de jour, de soir et de nuit se succèdent auprès de Colette. Résumé des événements

Avant l’AMM

Lorsqu’elle demande l’AMM, Colette fait d’abord face au refus du médecin traitant (ci-après nommé le MDT), qui est alors d’avis que sa condition ne correspond pas aux critères d’éligibilité décrits à la LCSFV. Devant son insistance, le MDT fait appel au Groupe interdisciplinaire de soutien (GIS) de l’établissement. Cet appel amorce alors une démarche d’intervention des membres du GIS auprès de Colette, du MDT et de l’équipe traitante.

Après analyse, le GIS recommande que le formulaire de demande d’AMM soit complété, afin de procéder à une évaluation formelle de la demande d’AMM. Le MDT se retire, quelque temps après, du processus d’évaluation de la demande d’AMM (ci-après appelé le

« processus ») en invoquant ses convictions personnelles. Il poursuit toutefois sa relation thérapeutique avec Colette pour les soins réguliers.

Le GIS coordonne la venue d’un nouveau médecin (ci-après appelé le MD1) pour répondre à la demande d’AMM de Colette. Le GIS et les gestionnaires du Centre interviennent aussi auprès de l’équipe traitante, qui réagit fortement à l’évaluation formelle de la demande d’AMM.

Après évaluation, le MD1 conclut à l’admissibilité de Colette à l’AMM. Il obtient l’avis d’un second médecin (ci-après appelé le MD2) qui confirme cette admissibilité, et planifie la date de l’AMM. Colette refuse d’informer sa soeur de sa décision et de la date de l’AMM. La date choisie est une celle d’une journée de congé pour deux des participantes membres de l’équipe traitante, soit son infirmière (Madeleine) et une préposée (Caroline).

Le jour de l’AMM

Le jour de l’AMM, outre le MD1 et le personnel requis pour donner les soins à Colette, deux membres du GIS (Mireille et Sophie, à titre de pharmacienne), la travailleuse sociale (Marie) et une gestionnaire de l’établissement (Suzanne) sont sur les lieux.

Le personnel prépare Colette pour l’AMM, lui achète des beignets, lui offre un café, du chocolat et des roses, et les personnes qui le souhaitent vont lui faire leurs adieux. Colette a finalement accepté que sa soeur soit prévenue et le moment de l’AMM est légèrement retardé afin qu’elles puissent se parler une dernière fois.

Colette choisit trois membres de l’équipe traitante pour l’accompagner jusqu’à la fin, dont Caroline qui s’est présentée à titre bénévole. Elle demande à sa soeur de sortir de sa chambre. L’AMM se déroule dans l’intimité.

Après l’AMM

Après l’AMM, une rencontre dite « de debriefing », à laquelle les gestionnaires assistent, est tenue par les membres du GIS (Mireille, Catherine et Antoine) pour l’équipe traitante.

Rôles et fonctions des participants Trois membres de l’équipe traitante

• une infirmière (Madeleine) ;

• une préposée aux bénéficiaires (Caroline) ; • une travailleuse sociale (Marie).

Madeleine, Caroline et Marie sont chargées des soins de Colette depuis plusieurs années. Toutes les trois décrivent leur relation avec Colette comme une relation où règnent la confiance, l’écoute, l’échange :

« J’étais une personne de confiance pour elle » (Madeleine); « s’il y avait un problème à moi elle était capable de confier ce qui se passait. »(Caroline) « Quand elle voulait me voir elle me demandait souvent du support, souvent en lien avec l’AMM.»(Marie) « On pouvait lui parler de n’importe quoi (...), elle me parlait de son passé, de sa vie, elle était très chaleureuse, (...) dans son regard, dans sa voix c’est quelqu’un qui nous enrobait » (Caroline) « On avait un lien avec Colette, elle faisait presque partie de l’équipe. » (Marie).

Elles m’expliquent qu’en raison de la perte progressive des capacités de Colette, elles passent un peu plus de temps avec elle qu’avec les autres patients. Elles lui parlent, l’écoutent. Caroline, en particulier, lui donne des soins qui sortent de l’ordinaire. Ainsi, pour pallier sa perte de vision, elle lui lit les mots croisés, cherche des définitions dans le dictionnaire, lui raconte ses voyages. Pour compenser sa perte de mobilité, elle fait ses courses, lui prépare des plats maison, lui apporte des douceurs.

Toutes les trois me parlent de la souffrance psychologique de Colette, du fait qu’elle a plusieurs fois exprimé le souhait de mourir pour ensuite demander des soins, ainsi que de demandes contradictoires en matière de soins. Madeleine et Marie me disent aussi que Colette refuse de prendre des médicaments (antidépresseurs, morphine) pour ne pas perdre sa lucidité.

Au moment de la demande d’AMM, elles sont convaincues, comme le MDT, que Colette n’est pas éligible à l’AMM.

Toutes les trois donnent des soins à Colette durant tout le processus. Au cours de ce processus, seule Marie est consultée par les MD1 et MD2. Elle y joue par ailleurs un rôle plus étendu que ses collègues : elle signe le formulaire de demande d’AMM pour Colette, qui en est incapable, elle fait la coordination entre les différents intervenants, planifie les évaluations avec Colette, est présente lors des évaluations des médecins.

Le jour de l’AMM, Madeleine est absente, Caroline est au chevet de Colette et Marie s’occupe de rassurer sa soeur. Elles participent toutes les trois à la rencontre de debriefing tenue par le GIS par la suite.

Les gestionnaires

• la chef d’unité (Suzanne) : infirmière de formation, elle occupe des fonctions clinico- administratives au Centre. Elle est alors responsable à temps plein de 100 résidants ; • la coordonnatrice de site (Ève) : ergothérapeute de formation, elle est responsable à

temps plein de tout le Centre et de sa clientèle.

Elles ne connaissent pas personnellement Colette et n’interviennent pas auprès d’elle au cours du processus. Suzanne, cependant, rencontre la soeur de Colette. Elle fait appel au GIS pour obtenir du soutien auprès de l’équipe traitante. Avec Ève, elle voit au bon déroulement du processus et consacre du temps à l’équipe.

Des membres du GIS :

Les GIS (Groupes interdisciplinaires de soutien) ont été formés dans le cadre de la mise en oeuvre de l’AMM dans les établissements de soins au Québec. Leur mandat a été décrit par directive ministérielle (ANNEXE C).

Ce mandat prévoit notamment que le GIS apporte un soutien clinique, administratif et éthique de proximité aux professionnels de la santé impliqués dans l’offre de service de l’AMM. Il est encadré par des objectifs de :1) soutien aux équipes interdisciplinaires dans le cheminement

clinico-administratif de toute demande d’AMM et 2) soutien aux décideurs de l’établissement quant à l’assurance de la qualité et de la disponibilité des ressources.

Le GIS doit aussi réviser annuellement les activités d’AMM dans l’établissement et identifier les demandes dont la décision finale a été difficile.

Le GIS de l’établissement de soins dont relève le Centre est constitué de personnes provenant de plusieurs domaines des soins de santé (psychologue, médecin urgentiste, travailleuse sociale, infirmière, etc). Ce GIS a été constitué par le service d’éthique clinique de l’établissement, qui en gère également les activités. Toutes les demandes d’AMM reçues dans le secteur sont d’abord acheminées au GIS, la consultation du GIS y étant obligatoire.

J’ai recueilli les témoignages des cinq membre du GIS suivants :

• un médecin de famille (Antoine): ce membre rencontre le MDT à plusieurs reprises au cours du processus;

• une infirmière (Guylaine): ce membre participe aux discussions du GIS seulement ; • une pharmacienne (Sophie): ce membre est aussi le fournisseur des substances

nécessaires à l’administration de l’AMM. Elle est, à ce titre, présente le jour de l’AMM ;

• un ergothérapeute (Mireille), une psychiatre (Catherine): ces membres, également membres de l’équipe d’éthique clinique, rencontrent Colette, les gestionnaires et l’équipe traitante. Mireille est présente le jour de l’AMM.

Tous sont présents à toutes les rencontres du GIS où il a été question de la demande d’AMM de Colette. Antoine, Mireille et Catherine sont présents à la rencontre de debriefing tenue pour l’équipe traitante.

Les médecins :

• Le premier médecin (MD1) : ce médecin évalue Colette pour les fins de sa demande d’AMM ; il administrera l’AMM par la suite.

• Le deuxième médecin (MD2) : ce médecin évalue Colette après le MD1 et confirme l’évaluation de celui-ci.

Le MD1 rencontre Colette pour la première fois dans le cadre de sa demande d’AMM. Il répond, à cette étape, à l’exigence d’accès aux soins qui prévaut dans le cas du retrait d’un médecin pour cause de convictions personnelles. Le MD1 prend donc la suite du MDT en ce qui concerne l’analyse de la demande d’AMM.

Le MD2 ne connaît ni Colette, ni le MD1. Il n’est pas présent lors de l’administration de l’AMM et ne sait pas quand celle-ci a eu lieu.