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3.2 E TAT DES CONNAISSANCES SUR LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DES PATIENTS INFECTES PAR LA COVID-19 EN MARS 2020

3.2.1 Principales molécules candidates

3.2.1.1 Les antiviraux

Une des stratégies de lutte contre le virus est de cibler les protéases virales indispensables à la réplication.

Le lopinavir associé au ritonavir (LPV/r) est indiqué, depuis plus de vingt ans, en association avec d’autres antirétroviraux pour le traitement de l’infection par le VIH. L’activité antivirale de cette association est principalement attribuable au lopinavir, qui est un inhibiteur des protéases. En inhibant les protéases virales, le lopinavir bloque le clivage des polyprotéines du VIH (gag-pol notamment) et entraîne la formation de particules virales immatures et non fonctionnelles. Le ritonavir est utilisé comme « booster » du lopinavir puisqu’il ralentit le métabolisme hépatique de celui-ci par inhibition puissante notamment du cytochrome P450 3A4 (CYP3A4), ce qui a pour effet d’augmenter l’exposition systémique au lopinavir (99).

L’intérêt de cette association médicamenteuse dans le traitement contre la COVID-19 repose sur une activité in vitro et in vivo démontrée au préalable sur des souches de SARS-CoV-1 et de MERS-CoV.

Dans le cas du SARS-CoV-2, le lopinavir inhiberait la protéase de type chymotrypsine ayant des similitudes structurales avec les protéases du VIH. Cette protéase

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est responsable en partie de la protéolyse des polypeptides en protéines non structurales, étape indispensable à la réplication du virus comme on a pu le voir dans le sous-chapitre 2.4 « physiopathologie » (100).

Parmi les autres antiprotéases, on peut citer le darunavir utilisé chez des malades atteints de VIH associé au cobicistat (inhibiteur du CYP3A4/5), et enfin le danoprévir indiqué dans le traitement de l’hépatite C, étudié en association avec la ribavirine et

l'IFN-β dans le cadre du SARS-CoV-2.

L’inhibition de la synthèse du matériel génomique viral a été utilisée avec succès pour le traitement de nombreux virus.

Le remdésivir est un analogue nucléosidique de l'adénosine triphosphate. Il entre en compétition avec l’adénosine triphosphate normalement incorporé dans le nouveau brin d’ARN par l’ARN polymérase. Cela a pour conséquence une diminution de la production d'ARN viral. Il a été identifié en 2015 comme pouvant inhiber la multiplication du virus Ebola. Depuis, son efficacité antivirale a été démontrée dans de multiples systèmes in vitro contre le virus de la maladie de Marburg, ainsi que contre plusieurs virus à ARN monocaténaire comme les virus Junin, Lassa, Nipah ou Hendra, le virus respiratoire syncytial, le MERS-CoV et le SARS-CoV-1 mais également sur des cultures de cellules épithéliales des voies respiratoires humaines.

On peut également mentionner la ribavirine (un analogue de la guanine) inhibiteur de l’ARN-polymérase de nombreux virus à ARN, utilisée dans le traitement contre le VHC. Ainsi que le favipiravir, un antigrippal prescrit au Japon et testé sur le virus Ebola en 2015 étudié seul ou en association avec le tocilizumab ou avec la chloroquine dans le cadre du SARS-CoV-2.

L’entrée du virus peut également être ciblée.

L’umifénovir est commercialisé depuis plus de 20 ans pour la prophylaxie et le traitement de maladies pulmonaires humaines dues aux virus A et B de la grippe, ainsi que d’autres virus respiratoires pathogènes. Certaines études in vitro dont la preuve clinique n’a pas encore été démontrée, suggère que le spectre antiviral pourrait être élargi à des

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pathogènes émergents comme le coronavirus, le virus chikungunya, ainsi qu’aux virus des hépatites virales B et C. Il agit en inhibant la fusion entre les membranes virales et cellulaires, bloquant ainsi l’endocytose des virus (101).

3.2.1.2 La chloroquine et l’hydroxychloroquine

La chloroquine (CLQ) et son dérivé hydroxylé, l’hydroxychloroquine (HCQ) sont des alcaloïdes appartenant au groupe des quinoléines. Ces deux molécules anciennes, disponibles depuis environ 60 ans, sont indiquées dans le traitement et la prévention du paludisme (en France uniquement pour la CLQ) mais leur utilisation s’est progressivement restreinte avec l’apparition de souches de Plasmodium résistantes. Ces molécules sont des bases faibles qui s’accumulent dans la vacuole digestive du parasite et diminuent son acidité. Les données issues d’études conduites in vitro tendent à démontrer qu’elles s’accumulent au niveau des lysosomes, et par leur nature alcaline, modifient leur pH et interfèrent avec certaines enzymes. Elles ont ainsi la capacité d’inhiber l’entrée pH-dépendante de certains virus dans les cellules hôtes, ou encore de bloquer la réplication de virus enveloppés en

inhibant la glycosylation de protéines d’enveloppe.Ces effets antiviraux in vitro ont suscité

beaucoup d’espoir, laissant envisager l’utilisation de ces médicaments peu coûteux pour la prise en charge de nombreuses infections virales.

Elles ont également une activité anti-inflammatoire, et immunomodulatrice en régulant la production de TNFα, d’interférons et de certaines cytokines. Bien que ces mécanismes par lesquels elles exercent leur action immunomodulatrice demeurent méconnus, ils valent à l’HCQ d’être indiquée dans certaines maladies auto-immunes, telles que le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde (PR) (102–105).

En plus de leurs effets antipaludiques et immunomodulateurs, la CLQ et l’HCQ bloqueraient la réplication virale en inhibant les étapes dépendantes du pH et pourraient également avoir un effet sur la liaison entre le virus et le récepteur ACE2 des cellules cibles. Toutefois, ces résultats n’ont pas été suivis d’essais cliniques permettant de démontrer leur efficacité.

Par le passé, la CLQ a fait à plusieurs reprises la preuve in vitro de sa capacité à inhiber la réplication de diverses souches de coronavirus, notamment le SARS-CoV-1 en

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2003, puis de nouveau en 2014 sur le MERS-CoV. Lors de l’émergence de la COVID-19, il a paru évident que ces deux molécules devaient être testées. Des travaux in vitro ont montré que la CLQ et l’HCQ présentaient une activité antivirale contre le SARS-CoV-2 (105).

3.2.1.3 Les immunomodulateurs et immunosuppresseurs

Plusieurs thérapies immunosuppressives ou immunomodulatrices sont envisagées afin de limiter les dommages immunitaires décrits dans les cas les plus graves. Parmi elles, on peut citer le sarilumab et le tocilizumab qui sont les deux principales thérapies testées. Ces deux molécules se lient de manière spécifique aux récepteurs solubles et membranaires de l'interleukine 6 (IL-6) et inhibent la transmission du signal médié par ces mêmes récepteurs. Ils sont indiqués dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR) mais également dans les arthrites juvéniles idiopathiques systémiques pour le tocilizumab.

L’IL-6 est une cytokine pro-inflammatoire pléiotrope impliquée dans la pathogenèse d'un certain nombre de maladies, notamment les affections inflammatoires, l'ostéoporose et les néoplasies. Ces cytokines pro-inflammatoires participent à divers processus physiologiques comme la migration et l’activation des cellules T et B, des monocytes et des ostéoclastes, ou encore l’induction de la sécrétion d’immunoglobulines, responsables d’une inflammation systémique dans la PR comme dans le cas du SARS-CoV-2, d’où l’intérêt d’inhiber cette interleukine (106).

Un antagoniste du récepteur de l’interleukine 1 (IL-1), l’anakinra a une courte demi-vie d'environ 3-4 h et un bon profil de sécurité. Il est utilisé dans le traitement des patients atteints de PR, mais a aussi montré des bénéfices chez les patients souffrant de dysfonctionnement d'organes multiples, dans lequel la voie inflammatoire est impliquée. Ce traitement pourrait être efficace dans les formes graves de COVID-19 (107).

Enfin, l’interféron bêta (IFN-β) est un immunomodulateur qui réduit l’inflammation en limitant l’action de certaines cytokines pro-inflammatoires, permettant ainsi de réduire l’orage cytokinique tout en conservant une action immune contre le virus (108).

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3.2.1.4 Les anticorps monoclonaux

La recherche d’anticorps monoclonaux spécifiques du virus permettrait de le neutraliser avant même qu’il ne se fixe à la cellule hôte.

Les anticorps neutralisants développés chez des patients infectés par le SARS-CoV-1 ciblent principalement le RBD de la protéine S. Les tests tentant d’utiliser ces anticorps monoclonaux contre le SARS-CoV-2 ne sont pas très concluants. Cela pourrait être dû à des différences significatives de composition en acides aminés entre les deux virus.

En Chine, certains hôpitaux ont commencé à utiliser des plasmas comme source d’anticorps polyclonaux pour traiter les patients infectés. Les premières données suggèrent un impact positif sur la charge virale et sur la mortalité. Toutefois, ils doivent être utilisés avec précaution car il est possible que des altérations de la protéine S rendent le CoV-2 résistant à certains anticorps et que ces derniers puissent exacerber les infections au SARS-CoV-2.

3.2.1.5 Autres molécules actives

Le Mésylate de Camostat est un inhibiteur synthétique de la sérine protéase, utilisée dans certains pays d’Asie (tels que le Japon ou la Corée du Sud). Elle a des activités anti-inflammatoires, antifibrotiques et potentiellement antivirales. Elle est indiquée dans les pancréatites car, en inhibant les activités de diverses protéases, elle réduit l'inflammation et la fibrose du pancréas. En outre, il est établi que le camostat peut inhiber l'activité de la TMPRSS2 et qu’il peut potentiellement empêcher la fixation du virus à la cellule hôte.

Il est suggéré que la nicotine puisse avoir un rôle protecteur. L’hypothèse avancée est la suivante : en se liant au récepteur nicotinique de l’acétylcholine qui jouerait un rôle critique dans la neuro-invasion et la réaction inflammatoire liée au SARS-CoV-2, la nicotine entrerait en compétition avec le virus et limiterait les manifestations neurologiques et inflammatoires de la maladie (109).

Les corticoïdes présentent de puissants effets anti-inflammatoires et pourraient prévenir ou atténuer les effets délétères de la réponse inflammatoire excessive observée dans

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les atteintes graves de la COVID-19. Il est bien établi que l’utilisation prolongée de corticostéroïdes systémiques n’est pas sans risque au cours de pathologies infectieuses. Des réactivations d'infections latentes (hépatite B, infections à herpèsvirus, tuberculose..) peuvent survenir, ainsi que de nombreux effets indésirables bien connus de la corticothérapie ou des interactions médicamenteuses (induction du cytochrome P450 3A4, notamment) (110).

FIGURE19-ILLUSTRATIONDESCIBLESVIRALESETCELLULAIRESDECERTAINESMOLECULESCANDIDATESAU

TRAITEMENTDEL’INFECTIONPARLESARS-COV-2.

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