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Prescrire en dehors de la bibliothèque : les outils de recommandation

C. Un outil de démocratisation culturelle

2. Prescrire en dehors de la bibliothèque : les outils de recommandation

Le développement récent des outils numériques a permis le développement d’une offre de services complémentaire, tant en termes de ressources que de médiation. Un champ s’est ouvert ces dernières années, permettant aux professionnels d’intervenir auprès des usagers au-delà des murs de l’établissement. Cette nouvelle configuration a-t-elle entraîné un changement de posture par rapport à celle qui s’observe sur place ?

Outre l’indispensable site Internet, plusieurs établissements se sont ainsi créé des comptes sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Youtube…), certains ont ouvert des blogs, parfois lancé des webzines, animent des services de question-

65. Cécile Rabot, La Construction de la visibilité littéraire en bibliothèque, op. cit.

Vous arrive-t-il de demander conseil à un bibliothécaire ? (Réponse pondérée par le rythme de fréquentation de la bibliothèque)

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix réponses… La présence de l’institution hors de ses murs est devenue un enjeu qui contribue autant à son identité de marque et à la promotion de ses activités qu’à une forme de prescription qui ne porterait plus uniquement sur ses propres collections mais sur toute la production culturelle. La bibliothèque a désormais la possibilité de se poser comme un acteur clé de l’industrie culturelle, en faisant entendre une voix différente de celle des autres prescripteurs. Mais n’outrepasse-t-elle pas sa fonction ?

Là encore, les résultats de l’enquête que nous avons menée cet hiver nous permettront d’offrir un contrepoint à nos analyses.

Le site Internet

Vitrine institutionnelle des bibliothèques, le site Interne offre, outre un accès au catalogue, des informations pratiques sur l’établissement, la présentation et l’accès aux services offerts et, bien souvent, des sélections de documents coups de cœur et des informations sur les dernières acquisitions, autant d’éléments qui peuvent déjà apparaître comme une première source de prescription. Pourtant, il semble que les usagers

s’en servent avant tout pour sa dimension utilitaire, comme en témoignent les chiffres ci-contre. Les fonctions de catalogue et de réservation l’emportent largement sur la consultation de listes thématiques, ces dernières restant la plupart du temps un simple doublon de ce qui se passe en salle sur les tables de valorisation avec d’autres thématiques.

Évolution des catalogues

Arrêtons-nous un peu plus longuement sur le catalogue, souvent la première porte d’entrée vers les services en ligne proposés par la bibliothèque. Cette prédominance montre l’importance de le penser de façon très soignée et Bernard Strainchamps, l’auteur du site de veille Bibliosurf, invite ainsi les professionnels à « structurer » et « scénariser » leur catalogue, afin d’exploiter toutes ses possibilités66.

De fait, la comparaison entre différents SIGB et catalogues révèle des partis pris très différents en matière d’accompagnement de l’usager. D’un OPAC traditionnel aux possibilités relativement limitées comme celui de la BML aux catalogues enrichis grâce aux contenus de Babelio via le service Babelthèque (Toulouse, MIOP, Bordeaux…), les bibliothèques cherchent à combiner ergonomie, design, fonctionnalités… Aujourd’hui, l’exploitation plus fine des métadonnées

66. Bernard Strainchamps, « Scénariser le catalogue et contextualiser la recherche documentaire », in Xavier Galaup (dir.), Développer la médiation documentaire numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, « La boîte à outils », 2012, p. 104-112.

Consultez-vous les outils de

communication suivants ? (Plusieurs

réponses possibles)

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix offre des possibilités de développements innovants comme par exemple l’OPAC de la bibliothèque municipale de Vaulx-en-Velin, dessiné à partir du modèle FRBR.

À titre d’exemple, comparons plusieurs catalogues à travers la notice de

L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante. Les captures d’écran ci-après témoignent des

changements que permet la transition bibliographique67.

Le catalogue de la bibliothèque de Toulouse propose de multiples possibilités de navigation grâce à l’importation des contenus de Babelio qui apportent nombre d’enrichissements : critiques amateurs et professionnelles, note, vidéos, recommandation de titres apparentés… Toutefois, la masse d’informations donne un résultat dense et finalement assez peu ergonomique, qui n’identifie pas clairement la source ou l’auteur de chaque information : un bibliothécaire, un tiers, un amateur, un algorithme… ?

La ville de Vaulx-en-Velin a fait un choix radicalement différent en choisissant le SIGB Syrtis, présenté comme nativement FRBR. L’interface de l’OPAC cherche à donner une représentation visuelle du modèle FRBR grâce à la « balade intuitive », qui offre aux internautes une navigation à travers les différents niveaux conceptuels

67. Cette étude compare les catalogues de Toulouse et Vaulx-en-Velin à partir de captures d’écran effectuées le 9 février 2020. Les données sont accessibles aux adresses suivantes : Vaulx-en-Velin : <https://bm.mairie- vaulxenvelin.fr/recherche?search=amie%20prodigieuse&filter=&source&log=false> ; et balade intuitive : <https://bm.mairie-vaulxenvelin.fr/graphe?id=a29ba5b3-51c3-4c23-88f0-670d61142f98##syrtis_search_page>. ; Toulouse :

<http://catalogues.toulouse.fr/web2/tramp2.exe/see_record/A0gfcu4o.001?server=1home&item=1&item_source=1home>

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix du FRBR (déclinés selon un vocabulaire adapté au grand public). Il en résulte une interface visuellement très différente, plus simple, avec moins de degrés de lecture.

Toutefois, à l’exception d’une présentation innovante, les fonctionnalités proposées ne vont pas plus loin que celles des catalogues traditionnels avec une navigation par hypertextes. D’apparence et de conception très différentes, les deux catalogues de la Toulouse et de Vaulx-en-Velin débouchent finalement sur des résultats assez similaires en termes d’information apportée. On mettra simplement au crédit de Vaulx-en-Velin la tentative de rendre visible un cheminement intellectuel. Certes, la FRBRisation du catalogue semble riche de potentialités

Catalogue de la bibliothèque municipale de Vaulx-en-Velin : notice détaillée.

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix futures à condition que l’établissement se dote des moyens techniques et financiers de poursuivre son développement, mais à l’heure actuelle elle n’apporte pas d’évolution radicale.

Mais ces outils aident-ils les usagers à circonscrire leurs choix ? Le catalogue constitue-t-il le support adéquat pour cela ? Certes, il offre une promenade virtuelle entre les documents, voire à travers les rayons sur certains catalogues. Mais là où l’aménagement physique des espaces dessine des itinéraires, oriente le séjour du lecteur, la promenade virtuelle, en rouvrant les possibles, semble complexifier la tâche de l’usager sous couvert de la faciliter.

Les contenus enrichis apportent indéniablement des contrepoints intéressants, notamment par la combinaison de trois types de prescription, éditoriale (critique professionnelle) ; sociale (critique et note des internautes) ; algorithmique (suggestions de lecture) – combinaison que l’on retrouve par exemple sur le catalogue de Toulouse. Mais ce service suppose que les usagers sachent d’emblée ce qu’ils cherchent et ne recourent au catalogue que pour valider leurs souhaits ou les approfondir. Les suggestions ne sont proposées que sur la page du document concerné, non à partir des précédents emprunts du lecteur. Enfin, dernier écueil et non des moindres, Babelio ne se concentrant que sur les livres, le service Babelthèque ne se décline pas pour les autres supports : cela génère un déséquilibre flagrant au sein des catalogues, les notices consacrées aux films, séries, disques… se retrouvant bien moins étoffées. Une façon de rejouer sans le vouloir une dichotomie entre les livres, documents nobles dotés de contenus plus riches, et les autres, réduits à la portion congrue ?

Babelthèque apporte toutefois une innovation majeure : sa dimension participative, qui permet aux usagers d’ajouter leurs propres critiques à celles issues du réseau Babelio. Cette fonctionnalité accorde en principe plus de place à la prescription sociale en bibliothèque, mais elle s’avère en fait peu exploitée. Ainsi, alors que la MIOP a été l’une des premières à déployer le service, Jérôme Pouchol souligne que le service n’a jamais vraiment décollé68. Lire les critiques des autres, oui. Contribuer à son tour, non. Les usagers utilisent le catalogue AVANT d’emprunter un document et ne prennent pas le temps d’y revenir pour noter le livre plus tard.

Néanmoins, tous ces exemples en restent à une utilisation du catalogue calquée sur la bibliothéconomie et donc sur les besoins d’un usager autonome et familier des codes de l’établissement. Bernard Strainchamps, dans l’article que nous avons déjà cité, esquisse au contraire de nouvelles voies de navigation pour peu que le catalogue soit davantage contextualisé : géolocalisation, timelines… Autant de possibilités qui ouvriraient la porte à une prescription, certes éditoriale, mais vis-à-vis de laquelle l’usager pourrait conserver une certaine autonomie en choisissant les champs de recherche qui l’intéressent.

Le web collaboratif : réseaux sociaux et blogs

Si le catalogue n’est donc pas le support optimal pour développer une prescription sociale et ciblée, les développements du web collaboratif, en revanche, ont permis aux bibliothèques d’investir de nouveaux supports d’expression. La

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix présence en ligne des bibliothécaires s’est massifiée, mais les voies de la prescription s’en sont-elles trouvées modifiées pour autant ?

Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont été largement investis par la profession à des titres divers (comptes personnels des professionnels sur Twitter, pages publiques des établissements sur Facebook ou Instagram), mais ils sont davantage utilisés comme des outils de communication que comme une instance de pr escription. Ainsi, le compte Instagram des bibliothèques de Bordeaux propose-t-il des clichés permettant de valoriser le patrimoine numérisé de l’institution, celui de Lyon des clichés du bâtiment de la Part-Dieu, des ateliers en cours… Ils participent bien à écrire l’image de marque d’une bibliothèque, mais sur un terrain autre que celui des collections et de la recommandation. Rares sont les comptes réellement prescripteurs comme la page Facebook d’Eurêkoi, service coordonné par la BPI, ou le compte Instagram « Tu vas voir ce que tu vas lire », géré par le département littérature de la BPI qui publie régulièrement des suggestions d’ouvrages à découvrir, mises en scène de façon élaborée et esthétisante comme le veut l’esprit de ce réseau social.

Les blogs

Les blogs, en revanche, sont massivement utilisés comme outil de prescription par la profession. C’est là qu’elle s’autorise à poster des critiques de documents, des réflexions sur l’actualité… Les modèles de blog sont aussi nombreux que variés parmi les bibliothèques de lecture publique. On trouve ainsi :

- des blogs qui proposent des critiques. Ex. : Everitouthèque69, le blog des médiathèques de Valence Romans Agglo, dont la bannière annonce : « Dénichez vos prochaines lectures ! » Et ce alors que le site critique aussi bien des DVD et des CD que des livres… Les clichés ont la vie dure !

- des blogs qui mêlent critiques et informations sur l’établissement. Ex. : Louise et les Canards sauvages70, le blog de la bibliothèque parisienne Louise Michel qui contribue à l’image de marque singulière de cet établissement par son ton mi-potache mi-engagé et le choix de ses sujets ;

- des blogs qui offrent critiques et articles de décryptage. Ex. les six blogs de la médiathèque de Levallois : Liseur, Cin’Eiffel, B.R.E.F., Déclic’musique, La Petite Fabrique numérique et Levallois mémoires71. Chacun de ces blogs se consacre à une thématique documentaire en particulier – livres, cinéma, formation, musique, numérique, archives et patrimoine –, mais sans tonalité spécifique.

Les blogs viennent compléter le site institutionnel en s’autorisant une tonalité moins formelle. On notera que les articles y sont rarement signés, sinon par des pseudos ou des initiales : on retrouve la discrétion et la posture de retrait des bibliothécaires que pointait Cécile Rabot, une discrétion qui illustre bien la difficulté des bibliothèques à assumer un positionnement fort. À l’exception du blog de la bibliothèque Louise Michel, plus décalé, les autres blogs cités ne font pas preuve

69. <http://everitoutheque.viabloga.com /> [consulté le 13 février 2020]. 70. <https://biblouisemichel.wordpress.com/> [consulté le 13 février 2020].

71. <https://liseurblog.wordpress.com/> ; <https://leblogbref.wordpress.com/> ; <https://cineiffelblog.wordp ress.com/> ; <https://declicmusique.wordpress.com/> ; <https://lapetitefabriquenumerique.wordpress.com/> ; <https://levalloismemoires.wordpress.com/> [tous consultés le 13 février 2020].

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix d’une grande inventivité. Que l’on jette un œil à la sélection de la bibliothèque de Levallois sur Liseur pour la Saint-Valentin : Autant en emporte le vent, Orgueil et

préjugés, Anna Karénine… Liste sans doute pertinente pour la thématique choisie –

les romans d’amour préférés des bibliothécaires –, mais dont le potentiel de découverte pour les lecteurs reste assez mince72.

En revanche, les blogs permettent à l’équipe de la bibliothèque d’être plus réactive et favorisent l’interactivité avec les lecteurs. À l’usage, cette dernière fonction s’avère une fois de plus peu exploitée : les usagers commentent rarement les blogs, lesquels sont plus un outil d’expression des bibliothécaires qu’un réel instrument participatif. On notera l’exception du blog de Valence Romans Agglo, Everitouthèque, auquel contribuent aussi bien des lecteur s que des professionnels (ceux-ci étant toutefois largement majoritaires). Leur utilisation traduit indéniablement le souci de créer une proximité plus grande avec les usagers, mais on reste dans un processus de prescription éditoriale des plus classiques. Un constat qui rejoint celui que nous avions fait sur les OPAC collaboratifs, en somme.

Le choix du blog comme instrument privilégié de recommandation s’explique par son antériorité par rapport aux réseaux sociaux, qui a peut-être créé un habitus, mais surtout par ses possibilités d’archivage qui s’opposent au caractère éphémère des réseaux sociaux. Les critiques publiées demeurent facilement accessibles à qui souhaite les lire. Toutefois, leur fréquentation reste relativement faible – le signe, sans doute, d’une méconnaissance de ces outils sur lesquels, il est vrai, les bibliothèques ne communiquent pas beaucoup.

Les webzines

Parmi les contenus éditoriaux produits par les bibliothèques, on pourra enfin rapprocher des blogs les webzines, encore que leur rôle soit plus proche de celui des médias traditionnels. Il en existe deux dans la profession : Balises, le webzine de la BPI et L’Influx, celui de la BML. Ces productions, outres des critiques, proposent aussi des articles d’actualité et traitent de sujets de fonds. La nécessité de disposer d’une équipe dédiée et de nombreux contributeurs explique sans doute que seuls de grands établissements aient les moyens de ce service.

Avec une ambition plus grande que celle qui préside aux contenus habituellement produits par les bibliothécaires, les webzines proposent cependant une prescription éditoriale des plus classiques, avec une part dédiée aux critiques culturelles. Leur faible audience n’est pas sans interroger : parmi les répondants à notre enquête, moins de 10 % ont dit se servir des revues en ligne comme L’Influx, et les chiffres nationaux tournent plutôt autour de 5 %73. Au point que l’on peut s’interroger sur la valeur ajoutée des bibliothécaires à s’aventurer sur ce terrain.

Ce faible taux de fréquentation n’exclut pas une certaine efficacité prescriptrice : les responsables du département musique de la bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, évoquent ainsi le bon taux de rotation des documents qui arborent une étiquette « Lu, vu, entendu. L’Influx ». Mais n’est-ce pas là surtout la vertu d’une étiquette prescriptrice, qui rend un document remarquable parmi la masse des collections ?

72. <https://liseurblog.wordpress.com/2020/02/14/les-romans-damour-des-bibliothecaires/> [consulté le 16 février 2020].

73. On notera toutefois que les statistiques de fréquentation de L’Influx comme de Balises sont actuellement à la hausse. Voir le travail en cours de Ca roline Lamotte sur ces questions.

II. Prescrire à l’heure de l’hyperchoix

Les services de questions-réponses et les applis de recommandation

Enfin, le cheminement des bibliothèques vers des dispositifs de recommandation réellement interactifs et personnalisés aboutit à deux dispositifs : les systèmes de questions-réponses, tels « Eurêkoi », coordonné par la BPI, le « Guichet du savoir » à Lyon, « Sindbad » à la BnF, « Questions ?Réponses ! » à l’Enssib. Eurêkoi, qui s’appuie sur un réseau de cinq cents établissements partenaires, offre également des suggestions personnalisées de fictions (films, livres, séries…), à partir d’une application créée par la bibliothèque de Lorient, « Je ne sais pas quoi lire », sur laquelle nous reviendrons plus longuement74. Contrairement aux services de questions/réponses dont les réponses sont souvent mises en ligne, les recommandations de fiction restent individuelles et privées. En revanche, les bibliothécaires partenaires d’Eurêkoi publient désormais des listes thématiques de documents accessibles à tous sur SensCritique – mais qui reproduisent les coups de cœur.

On le voit, les outils numériques évoluent vers plus d’interactivité même si le positionnement prescriptif des bibliothécaires reste majoritairement centré sur l’éditorial et s’exerce avec davantage d’efficacité entre les murs de la bibliothèque qu’à l’extérieur, malgré le renouvellement des dispositifs. Toutefois, dans le paysage de la recommandation, les bibliothèques disposent a priori de deux solides atouts : un certain capital de confiance, qu’elles exploitent pleinement en cultivant une prescription éditoriale, et le fait de parler depuis une sour ce institutionnelle connue et fiable.

Mais alors que se développent les collections hors ligne – livres numérique, vidéo à la demande, médias… –, la vocation des bibliothèques n’est-elle pas de développer un accompagnement hors de l’espace physique, et donc de les faire connaître davantage ? Les outils sont là, l’enjeu est de communiquer dessus pour populariser cette image du bibliothécaire engagé dans une démarche de prescription de plus en plus interactive et personnalisée.

C.

L

A CONCURRENCE DES AUTRES PRESCRIPTEURS