que peut prendre la maladie et c'est cette image projetée qui constitue la projection de
trajectoire.
seul le suivi thérapeutique y est assuré afin de contrôler que l'absence de
symptômes perdure. Le patient est dit "en rémission". Cette phase recouvre
le redressement physique et émotionnel qui suit la phase aiguë. Elle est
donc pour une large part gérée en dehors du centre et implique un travail
biographique important de la part du patient, surtout lorsque sa trajectoire
est invalidante
150.
À la faveur d'un examen de contrôle, le radiothérapeute de Melle T.
découvre un an plus tard une nouvelle masse pathologique. Puisqu'elle
récidive, Melle T. entre à nouveau dans une phase aiguë : de recherche
diagnostique d'abord puis, après la confirmation par biopsie de la rechute,
de second traitement. On lui fait un nouvel arrêt de travail. Après une
chimiothérapie lourde, programmée pour 8 cures, sa tumeur a "fondu" mais
il reste, au vu des clichés, des micro-calcifications dont on ne peut assurer
qu'elles sont bénignes, d'autant plus que ses marqueurs restent élevés par
rapport à la norme biologique. Son médecin chimiothérapeute - elle ne voit
plus le radiothérapeute - lui propose une chimiothérapie d'entretien afin
d'empêcher le développement de ces indices résiduels qu'on ne parvient à
faire disparaître. Melle T. entre alors dans une phase de stabilité : les
symptômes sont toujours présents mais ne se développent pas.
La phase de stabilité concerne un temps où la maladie n'évolue pas,
sans que les symptômes aient été pour autant totalement éradiqués. Il reste,
malgré les traitements entrepris, ce que les médecins appellent "des signes
150
-Selon Strauss et Corbin, 1988, op. cit., le travail biographique consiste à incorporer une
trajectoire de maladie dans sa propre biographie (contextualization) ; à parvenir à un certain
degré de compréhension et d'acceptation des conséquences biographiques qu'entraînent des
performances amoindries, réellement ou potentiellement (coming to terms) ; à réintégrer une
identité dans une nouvelle intégrité autour des limitations de performances (reconstituting
identity), ou bien encore donner de nouvelles directions à sa biographie (biographical
recasting).
résiduels de maladie". La phase de stabilité est celle où il y a peu de
changement, soit en aggravation, soit en amélioration, dans l'état du
malade. On y inclut rémissions et détériorations très lentes.
Pendant ces phases de stabilité, le travail médical confine à nouveau
au contrôle thérapeutique. Melle T., après 4 cures de chimio d'entretien, est
soumise régulièrement à des examens sanguins, on contrôle assidûment ses
marqueurs biologiques, on pratique des examens radiographiques, afin de
repérer le signe qui rendrait compte d'une reprise de l'évolution de la
maladie contre laquelle les thérapeutiques disponibles pourront quelque
chose, ne serait-ce que la contrôler. Un traitement de principe peut, à cette
étape, être entrepris si le médecin considère que le patient attend de lui une
prise en charge thérapeutique concrète devant la permanence de signes
résiduels de maladie. En effet, il arrive régulièrement aux cancérologues du
centre d'accueillir des malades qui avaient changé d'institution parce qu'ils
avaient le sentiment de n'être plus pris en charge par leur médecin, ceux-ci
savent donc que proposer un traitement, cela peut aussi avoir pour objectif
de maintenir l'engagement du malade dans le processus médical
institutionnel, particulièrement dans les phases de stabilité. Le contenu du
traitement administré pendant ces phases peut alors être le même que celui
que les médecins prescrivent en phase aiguë alors que l'objectif de la
prescription consiste avant tout à rassurer le patient, en lui montrant
ostensiblement qu'on ne l'abandonne pas à un sort incertain, même si les
médecins, de fait, considèrent que leur traitement n'aura guère d'autres
effets que psychologiques. De surcroît, le médecin continue de "ne pas
savoir" même s'il peut projeter un cours probable de la maladie, des
rémissions exceptionnelles peuvent toujours être obtenues, défiant les lois
de la statistique.
Au bout de quelques mois, ses marqueurs biologiques augmentent à
nouveau, Melle T. est de plus en plus fatiguée, perd l'appétit et maigrit. Elle
se plaint de douleurs dorsales : on arrête le traitement chimique qu'on avait
repris et on irradie la métastase vertébrale qu'une scintigraphie a permis de
déceler et qui est à l'origine des douleurs. Tous ses traitements ont lieu en
hôpital de jour. On lui prescrit de la morphine à faible dose dont elle gère
elle-même la prise quotidiennement en fonction de sa souffrance. En trois
semaines, les douleurs disparaissent, elle retrouve une vie plus autonome
(elle ne pouvait plus conduire, la position assise lui était devenue
intolérable et elle passait ses journées à dormir à cause de la morphine).
Elle n'a plus de traitement, les semaines se suivent et son état physique est
fluctuant. Parfois très fatiguée, parfois parfaitement valide : elle est entrée
dans une phase d'instabilité. Puis de nouvelles douleurs l'assaillent, au
niveau de la hanche cette fois, elle est à nouveau irradiée puisqu'on a
découvert une nouvelle métastase osseuse à ce niveau. Les douleurs
disparaissent et elle n'a plus besoin de béquille pour marcher. Cela fait
maintenant trois ans qu'on lui a diagnostiqué son cancer. Un examen
sanguin relevant, trois mois après la fin de l'irradiation une forte hausse de
ses marqueurs, le chimiothérapeute prescrit alors une chronothérapie. On
lui pose un port-a-cath
151et son traitement intra-veineux est diffusé à l'aide
d'une pompe qu'elle porte en permanence à la ceinture pendant 5 jours
consécutifs toutes les 3 semaines et ce pour une durée que le médecin n'a
pas fixée. Elle vient au centre le lundi pour se faire poser sa perfusion et le
vendredi pour se la faire ôter lorsqu'elle est en semaine de cure. À l'issue de
la première semaine, elle a été sujette à des vomissements, des nausées
importantes et une grande fatigue. Le médecin a décidé de baisser les doses
151
-Un tube flexible est introduit dans une veine. L'infirmière pique l'extrémité de cette sonde
Dans le document
Les Temps du Cancer
(Page 126-129)