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Les premiers pas dans le football

Dans le document La fabrique des footballeurs (Page 41-44)

Les premières années de jeu se caractérisent, dans la grande majorité des cas, par trois propriétés principales. Les parcours des apprentis footballeurs sont, tout d’abord, marqués par une grande précocité. Plus de la moitié sont entrés dans un club un ou deux ans avant d’atteindre l’âge de 6 ans et ont anticipé l’entrée dans la pratique institutionnelle, dont l’âge d’accès est de 6 ans avec l’ouverture de la catégorie « débutant ». Ils ont profité de l’offre d’accueil de certains clubs pour les « pré débutants », soit à l’intérieur d’un groupe institué (appelé « baby-foot » ou

« école de foot »), soit par l’admission anticipée dans la catégo-rie des débutants, bénéficiant alors souvent du concours d’un membre de leur famille impliqué dans le club. Les autres appren-tis n’ont pas tardé à entrer dans le jeu : un quart ont intégré une association à 6 ans, et moins d’un sur six a débuté de façon plus tardive, à partir de 8 ans. Cette précocité est accentuée par le fait que l’accès au club constitue rarement leurs premiers pas en matière de football. Pour tous, « jouer au ballon » dans la cour de récréation, « taper dans la balle » avec un frère ou un cousin constituent leurs premiers souvenirs d’une initiation proto-footballistique. De surcroît, l’orientation vers le football constitue assez fréquemment leur première insertion dans un club : trois quarts des interviewés se sont tournés vers ce sport avant toute autre activité physique . Pour plus d’un tiers d’entre eux, il s’agit même du seul sport qu’ils aient jamais pratiqué en club. Cette précocité et le sentiment d’une orientation évidente s’expliquent par la place qu’occupe souvent ce sport dans leur famille et de celle, particulièrement importante, qu’il tient dans le registre des pratiques enfantines2. La pratique est d’ailleurs Christine Mennesson, Être une femme dans le monde des hommes, L’Har-mattan, Paris, 2005 ; Vérène Chevalier, « Pratiques culturelles et carrières d’amateurs : le cas des parcours de cavaliers dans les clubs d’équitation », Sociétés contemporaines, no 29, 1998, p. 27-41 ; Olivier Aubel, Christophe Brissonneau et Fabien Ohl, L’Épreuve du dopage…, op. cit.).

2. Il est le premier sport pratiqué par les 6-14 ans (Sylvie Octobre, Les Loisirs culturels des 6-14 ans, op. cit., p. 346) et la FFF recense plus de 300 000 licenciés de 9 ans et moins.

d’autant plus précoce et exclusive que le joueur a grandi dans une famille de « footeux ».

Entrés très jeunes dans un club, les apprentis ont également fait preuve d’un investissement souvent rapide. Parce qu’ils évoquent ces années à la lumière de leur expérience actuelle, ils refusent d’attribuer du « sérieux » à leur pratique enfantine (« plus pour la rigolade », en disent-ils souvent), mais ces propos ne doivent pas masquer leur investissement. Cet engagement se concrétise dans leur grande assiduité aux entraînements, aux matchs, et dans leur participation très active dans les jeux de ballon réalisés en dehors du club. Ceux-ci occupent une place importante dans leur style de vie enfantin, ils y jouent entre copains ou seuls, à l’école comme dans leur quartier, car ils ne se satisfont souvent pas du seul entraînement hebdomadaire offert par le club. « J’avais toujours un ballon », racontent-ils souvent pour exprimer ce goût rapidement forgé. Cet engoue-ment s’appuie sur leur adhésion précoce au caractère compé-titif du jeu et leur goût pour les classements sportifs. Les résul-tats, les plus belles victoires et la participation à des tournois nourrissent leurs souvenirs. Même les jeux réalisés en dehors du club sont très souvent orientés par une logique compétitive. À cette adhésion précoce à l’esprit de compétition du sport s’ajoute l’appé tence des futurs apprentis pour les activités physiques et la dépense énergétique. Leur activisme footballistique, dans lequel ils recherchent une occasion de « se défouler », et, pour certains, le cumul de plusieurs sports traduisent leur penchant pour un usage actif de leur corps. Ils s’inscrivent avec bonheur dans ces jeux masculins qui privilégient la consommation d’espace et d’énergie3. Le football participe donc de la construction d’un goût prononcé pour l’effort physique. Et ils sont nombreux à récolter, dès ces premières années de jeu, les fruits de cet investissement.

Surclassement dans la catégorie d’âge supérieure, responsabi-lité du capitanat au sein de leur équipe, occupation des postes les plus valorisés sont les premières distinctions sportives qu’ils reçoivent. C’est ainsi que près des trois quarts d’entre eux ont été surclassés et huit sur dix occupaient une place offensive dans leur équipe durant ces premières années. Ici aussi, les fils des pères footballeurs se distinguent par leur plus grande précocité dans cette reconnaissance sportive. Entraîneurs, pères, frères, oncles et partenaires sont les acteurs de cette reconnaissance masculine de leur performance, encourageant ainsi leur inves-tissement.

3. Christian Baudelot et Roger Establet, Allez les filles !, Le Seuil, Paris, 1998, p. 110 et 111.

Cette forme initiale d’engagement reste, cependant, très localement ancrée. L’horizon de référence de la pratique est encore un espace local d’interconnaissances, plus qu’un espace d’« experts », et le jeu reste fortement associé aux relations de sociabilité qu’il supporte. Cinq apprentis sur six ont, d’ailleurs, choisi leur premier club en accordant une prime à la proximité et en s’orientant vers le « club du coin ». Cela explique qu’ils sont entrés « en » football dans des clubs de niveaux assez différents.

Deux tiers d’entre eux ont même fréquenté des clubs de « district » situés en bas de l’échelle sportive4. Cette relative indifférence au niveau de performance du premier club s’explique, tout d’abord, par le fait que la hiérarchisation sportive reste, pour les joueurs de 6 à 10 ans (débutants et poussins), assez limitée. Il existe peu de niveaux dans la hiérarchisation des compétitions : les clubs offrent souvent des conditions de pratique relativement proches (un seul entraînement hebdomadaire en débutant, une entrée dans le club non sélective, etc.). Quel que soit leur club, les joueurs soulignent la place prépondérante qu’y tenait le « jeu » et la faible décompo si tion pédagogique en exercice de la pratique. Cela n’est pas étonnant lorsqu’on sait que les joueurs des catégories de jeunes, comme ceux des « petits clubs », sont plus souvent pris en charge par un bénévolat, majoritairement populaire, plus distant de l’excellence compétitive légitime et d’une forme de pratique polarisée sur la compétition et la compétence technique5.

Cette prime donnée à la proximité fait que le premier club est, bien souvent, celui fréquenté par le père, un frère, des cousins ou les copains de classe. L’orientation dans le club du voisinage permet d’associer la pratique sportive à une sociabilité locale, voire à un entre-soi territorialisé, qui entre en écho avec l’atta-chement, souvent relevé, des milieux populaires au localisme. Le club est alors un vecteur et un lieu de symbolisation de l’appar-4. Pour objectiver ces différences, j’ai établi une classification à trois étages distinguant les clubs de « district », de « Ligue » et « nationaux ».

Cette classification est établie en fonction de plusieurs critères complé-mentaires : la position des équipes jeunes des clubs dans la hiérarchie fédérale (qui est structurée par trois niveaux de compétitions : départe-mental, régional et national), le degré d’encadrement offert et, parfois, les palmarès acquis par les joueurs dans leur club. Les clubs de la caté-gorie « district » ont, par exemple, des équipes jeunes qui ne participent qu’aux championnats départementaux et ils ne proposent souvent deux entraînements hebdomadaires qu’à partir de 12 ans.

5. Gildas Loirand, « Le bénévolat : les ambiguïtés d’un engagement », in Pascal Chantelat (sous la direction de), La Professionnalisation des organisations sportives, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 273-300.

tenance à une société locale6. Les « copains » du club sont alors aussi souvent ceux de l’école primaire et ceux avec lesquels ils jouent au football dans leur quartier ou dans la cour d’école. Les apprentis parlent régulièrement d’une « équipe de copains » pour désigner cette expérience collective, expression qui souligne que les relations sociales et affectives passent par le football, mais ne s’y résument pas. Le fait d’être copain n’est ni anecdotique ni secondaire, mais indissociable de la pratique. De la même manière, l’insistance des apprentis sur l’« ambiance », « décon-tractée » et « familiale », de ces clubs, sur les occasions qu’ils offrent d’une sociabilité festive, traduit l’ancrage local qui singu-larise les premières années de jeu.

Dans le document La fabrique des footballeurs (Page 41-44)