inconscient il y a des conflits. C'est pour ça qu'elle est malade. Donc si elle était capable de
dire « non je suis protégée» elle ne serait pas en train de chercher la persécution sur tous les
objets. Donc c'est même cela, aussi, un des éléments de sa pathologie. C'est même là
l'indication qu'elle est vraiment malade (…) c'est là le signe.
Le deuxième niveau de lecture, et d'hypothèse est que, dans la migration, les représentations
culturelles sont malmenées. Certaines sont oubliées à cause des préoccupations existentielles,
qui polarisent toute la concentration du psychisme, et du coup (...) les représentations
culturelles sont reléguées au second plan. (…) En migration, il n'y a pas le corps social qui
donne sens à toute la symbolique qui permet aux représentations culturelles d'exister (...) Une
autre hypothèse c'est que, dans la migration, la culture d'accueil jette un regard sur la culture
d'origine qui autorise le migrant soit à l'exalter, soit à la refouler progressivement. (...)Dans
tous les cas, elles ne sont pas très fonctionnelles et c'est le rôle d'une consultation comme la
nôtre de les réactiver, les réanimer. Pas pour réinsérer le patient de façon sclérosée dans sa
culture, mais pour qu'il puisse se ressourcer, afin de structurer quelque chose de subjectif.
Voilà, donc pourquoi elle ne s'en est pas saisie ? Pour de multiples raisons.
Après sur le plan psychopathologique, le type d'effondrement d'Alphonsine et sur un mode de
persécution. Donc, voilà, il y a quelques éléments de l'organisation paranoïaque, mais je
n'irais pas dire que c'est de la paranoïa. Il y a des éléments que l'on peut emprunter aux modes
de processus paranoïaques : (…) notamment le sentiment de persécution, et à certains
moments l'hypertrophie narcissique du Moi. Il y a une espèce de sentiment de grandeur, de
coordonner les activités et la défense de toute la famille, ceux qui sont loin et ceux qui sont à
Paris. (...) elle se présente comme la victime d'une attaque sorcière, mais un des principes de
la sorcellerie, c'est qu'on n'a pas la preuve matérielle. On n’est jamais sûr de l'agent attaquant.
Donc on va chercher sans arrêt (…), il n'y a pas de causes fixes. L'objet des persécutions peut
varier. (…) Le rapport au monde extérieur sera toujours, pour elle, à évaluer sur l'échelle : «
est-ce qu'il me persécute ou pas ? ». Non seulement il y a des mouvements de déplacement de
l'objet du persécuteur, mais en même temps chaque rapport avec un objet va vite être ramené
à l'évaluation « persécutant ou pas ?» « protecteur ou persécutant ?».
Lorsqu'elle dit que, quand elle a contacté cette femme qui lui a fait manger une brochette, le
serpent s'est réactivé, cela c'est une théorie étiologique. (…) la théorie de fond c'est une
attaque par la sorcellerie qui frappe tout le monde, surtout les femmes de la famille.
(Int.) S.T : Donc, dans ces cas-là, selon ton discours, les présences qui rentrent dedans,
donc cette sorte de possession par un serpent, ça serait plutôt une attaque...
réalise par ça. Il n'y a pas que des choses qui rentrent dans le corps, il y a toute sa vie globale :
elle n'a pas d'homme dans sa vie, (…) chez les enfants ça commence à faire un peu de la
maladie, et ce n'est pas toujours très apaisé à la maison, elle n'a pas d'emploi, elle a perdu ses
emplois d'une manière différente. Donc, l'attaque sorcière ne vise pas que le soma. Parce que
le soma est un des éléments qui constituent le Moi. (…) Au fait je généralise, mais le Moi en
Afrique centrale, dans cette représentation du monde, c'est un Moi général. (…) Et du coup,
dans l'attaque il ne s'agit pas simplement que le soma soit sous une modalité pathologique. Et
si je perds les hommes, si je perds le travail, et s'il n'y avait que les enfants, il y a toujours des
conflits dont on ne s'explique pas ; tout cela est une des modalités par lesquelles l'intention
d'une nuisance maléfique agit par sa puissance invisible.
S.T : Tu avais déjà un peu parlé de ça, de la fonction que le groupe a pour Alphonsine. Si tu
veux juste un peu le reprendre. Comment tu penses que Madame interprète le travail qu'on fait
avec elle dans la consultation ?
C.D : pour Alphonsine, comme chez les sujets qui viennent d'Afrique, d'Afrique centrale, la
modalité d'élaboration de problématiques en groupe est toujours contenante. Que ce soit dans
les événements malheureux, ou dans des événements pathologiques, sur lesquels les
médicaments n'arrivent plus à soigner, dès qu'une maladie commence à être rebelle au
traitement, on commence à se demander s'il n'y a pas l'intervention du monde invisible. Et très
souvent, donc, les élaborations de ces problématiques trouvent un niveau groupal. Donc le
simple fait de se voir intégrer dans un groupe pour réfléchir à ça, c'est quelque chose qui
correspond à la modalité de gestion des problématiques d'où elle vient. Et, donc, cette «
fonction contenante » du groupe, «la fonction de substitution » du groupe à l'environnement
familial compense un peu la solitude. Le groupe aide, aussi, à sortir du clivage qui est une
forme d'organisation à type pathogène. Et elle se sert de nous comme un espace où, en plus de
ce que je viens d'évoquer, elle peut parler librement des choses de là-bas sans être prise pour
ce qu'elle n'est pas (…). Hors, là elle sait qu'elle peut parler de ce qu'elle dit, parce que nous
sommes capables d'entendre ça et de ne pas confondre ces trois niveaux. Voilà. Donc, c'est un
élément, un espace d'élaboration de ces problématiques, parce qu'au moins elle n'est plus
seule avec ces événements de la sorcellerie. La sorcellerie ne se gère pas tout seul. (…) C'est
toujours de façon collégiale avec des thérapeutes de fond et, parfois, c'est tout un village qui
devient thérapeutique, (…) il y a les thérapeutes et tous les anciens malades qui sont devenus
co-thérapeutes avec le thérapeute principal. (…)
4.2 – Boubakar
Nous avons rencontré Boubakar tout d'abord en qualité de co-thérapeute dans une
Dans le document
Quand les esprits troublent les esprits : patients et cliniciens à la rencontre du monde invisible
(Page 196-199)