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Chapitre 5 : Brève histoire des Floridi et Reali

5.1 Premières activités

La première mention des Floridi et des Reali date du 21 mai 1529, jour de leur fondation313. Chacune des deux compagnies organise une messe solennelle à San Zaccharia, le 5 juin pour les Reali, le lendemain pour les Floridi. Tous les membres se présentent ensuite au Grand Conseil le 6314. Cela correspond aux étapes décrites par Venturi à propos de la fondation des compagnies315. Les premiers temps des deux compagnies sont marqués par une certaine rivalité. Afin de butar la calza (baisser la chausse) avant les Reali, le prieur des Floridi, Marco Foscolo décide de porter sa chausse dès le 1er juin, bien que celles de ses compagnons ne soient pas prêtes316. Lorsque les Reali baissent la chausse à leur tour, le 10, ils laissent des graffitis proclamant « Viva Reali » en rouge dans la ville, « cosa que non si usava far in questa città »317. Enfin, le 6 juin, après le Grand Conseil, les deux compagnies sont présentes à la fête organisée par le prieur des Floridi, mais ils ne veulent pas que les Reali y dansent318. L’origine de cette rivalité n’est pas claire, pas plus que ne le sont ses conséquences concrètes ni sa conclusion (en tout cas Sanudo n'en dit rien), mais il semble qu’elle n’ait pas empêché des collaborations entre les deux compagnies, car quelques mois plus tard, Reali et

313 Sanudo, Diarii, L, 347.

314 Ibid., L, 431-432, 436-439

315 Venturi, Le Compagnie della calza, p. 65-66. 316 Sanudo, Diarii, L, 411.

317 Ibid., L, 466. 318 Ibid., L, 436-439.

Floridi demandent ensemble la permission d’organiser une joute sur la place Saint- Marc319

Le contexte ayant le plus marqué leur existence, toutefois, est la fin de la guerre de la ligue de Cognac, opposant Charles Quint à l’alliance entre François Ier, le pape Clément VII, les républiques florentines et vénitiennes et le duc de Milan Francesco II Sforza. Lorsque les deux compagnies sont fondées en mai 1529, la défaite est déjà presque consommée pour les coalisés, après le sac de Rome en 1527 et l’échec du siège de Naples en 1528. Pourtant, Venise continue de se mobiliser pour continuer la guerre320. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre l’acceptation dans les rangs des Floridi de Guidobaldo della Rovere, le jeune fils aîné du duc d’Urbino, capitaine générale de l’armée vénitienne et commandant des forces de la Ligue (6 juin)321, et de Roberto Sanseverino, capitaine de l’infanterie vénitienne (4 juillet)322, ainsi que celle d’Ercole d’Este, fils du duc de Ferrare, parmi les Reali (1er juillet)323. Ces invitations sont typiques de la façon dont la République utilisait les compagnie della calza pour garantir la fidélité de ses généraux mercenaires324. Toutefois, les efforts de Venise sont insuffisants : après la défaite de Landriano à la fin du mois de juin, le traité de Cambrai (4 août 1529), perçu comme une trahison parmi les patriciens, met fin à l’incursion française en Italie et aux espoirs de Venise dans la guerre et, à terme, à ses tentatives d'expansion sur la Terre ferme325.

C’est surtout après la guerre que les deux compagnies sont actives. En fait, plusieurs des événements les plus marquants de leur histoire sont liés directement à ce contexte et à la diplomatie vénitienne mise en place après la victoire de Charles Quint. Le 28 février 1530, pendant le carnaval, les Reali récitent une comédie de Zuan Ortica qui sied visiblement au contexte : quatre jours après le couronnement de l’empereur à

319 Ibid., LII, 366-7. Rien n’indique si cette joute a eu lieu.

320 Elisabeth G. Gleason, « Confronting New Realities: Venice and the Peace of Bologna, 1530 », dans

John Martin et Dennis Romano (dir.), Venice Reconsidered, p. 168-184

321 Sanudo, Diarii., LIII, 437. Voir aussi Venturi, Compagnie della calza, p. 92-93, et Urban Padoan, « Le

Compagnie della Calza », p. 122-123, sur les interactions entre les Floridi et Guidobaldo.

322 Ibid., LIV, 30. Sanudo note qu’il est plus âgé que les membres des compagnies ne le sont d’habitude. 323 Venturi, Le Compagnie della calza, p. 98. Son père, Alfonso I, avait été membre des Potenti (ibid.,

p. 73-74). Urban Padoan, « Le Compagnie della calza », p. 119-120, donne un bon aperçu de la relation entre les ducs de Ferrare et les compagnie della calza.

324 Trottier-Gascon, « Les Compagnie della calza », p. 8-10. 325 Gleason, « Confronting New Realities », p. 168-184.

Bologne, leur scène montre la fermeture du temple de Mars et l’ouverture du temple de la paix, devant plusieurs sénateurs éminents et nobles impériaux326. En l'espèce, les Reali font face à l’opposition du doge, qui veut empêcher la tenue de comédies en rappelant qu’elles sont interdites et contraires aux bonnes mœurs. Cependant, les jeunes ont le soutien des chefs et de la majorité du conseil des Dix, qui rejettent la proposition du doge et acceptent d’autoriser la fête des Reali327.

Le couronnement de l’empereur précipite ensuite la venue à Venise d’étrangers de la suite impériale, dont le voyage les porte alors dans le nord de l’Italie. Certains parmi les plus jeunes sont accueillis et presque intégrés aux compagnies pendant leur séjour. La nature de ces visites n’est pas sans évoquer le « prototourisme » séculier qui se développait à l’époque et qui présageait le Grand Tour des siècles suivants328.

Le premier est le marquis Boniface de Montferrat, arrivé à Venise le 24 mars 1530. À la demande du doge, il est invité à joindre la compagnie des Floridi329. Cependant, cette requête n'est pas si bien reçue, et il n'est pas accepté dans la compagnie330. Néanmoins, quelques membres décident de l’accueillir néanmoins : quelques-uns des Floridi accompagnent le marquis au Collège, deux Floridi l’accompagnent au Grand Conseil et dix participent à la fête tenue à la cà Querini Stampalia331, « parce que les autres ne voulaient pas dépenser »332. Le lendemain, cette division à propos des dépenses éclate lors d'une réunion tenue chez le prieur, Marco Foscolo, à propos d’une fête prévue pour Pâques. En effet, pendant la réunion, sept membres sur quinze présents s’indignent et décident de quitter la compagnie, dont le prieur et l’un de ses conseillers, Fantin Querini Stampalia333. Le lendemain, ils retirent la chausse et en portent tous une autre, noire. L’affaire est portée devant le tribunal des

326 Sanudo, Diarii, LII, 601, 603.

327 ASV, Consiglio di Dieci, Comuni, b. 10, fo 216. 328 Peter Burke, « Le Carnaval de Venise », p. 563-579. 329 Sanudo, Diarii, LIII, 69-70.

330 Venturi, Compagnie della calza, p. 94. 331 Sanudo, Diarii, LIII, 74, 77-78. 332 Ibid., LIII, 70.

333 Ibid., LIII, 82. En plus de Foscolo et Querini, on compte Jacomo Gusoni, Francesco Venier, Antonio

Marcello q. Zuan Francesco, Marco Bollani et Zuan Lippomano. Étant donné la participation de Fantin Querini, qui avait accueilli le marquis de Montferrat et dont la famille était richissime, il est très probable que ce groupe voulait tenir la fête à Pâques et qu’ils avaient aussi participé à l’accueil du marquis de Montferrat.

consuls des marchands, qui force les sept Floridi noirs à remettre la chausse de la compagnie, sous peine de 100 ducats334.

L’accueil parmi les Reali du prince de Salerne, Ferrante Sanseverino, âgé de vingt-et-un ans, suit le même plan, mais ne provoque pas du tout les mêmes tensions. Le prince napolitain faisait partie de la suite de l’empereur, mais il décide de faire un séjour à Venise335. Il arrive à Venise le 23 avril 1530, se fait accueillir au Collège, visite l'Arsenal, etc. Plus tard, le 29 avril, il reçoit la chausse des Reali336. Le 1er mai, il assiste au Grand Conseil accompagné de toute sa nouvelle compagnie337, qui lui offre enfin une fête sur le Grand Canal le 3338.

Il est difficile de savoir pourquoi, devant les mêmes exigences envers des étrangers, les Floridi se sont lourdement divisés alors que les Reali semblent avoir accompli leur tâche sans le moindre conflit. Les Reali étaient-ils plus riches que les Floridi, et donc mieux capables d'accepter les dépenses prévues? Cela semble possible, d'autant plus que leur fête pour accueillir le duc de Milan était particulièrement grandiose. Il se peut aussi que le résultat assez malheureux des divisions chez les Floridi ait convaincu les Reali que les conflits ouverts ne menaient nulle part. Cette leçon a peut- être d'ailleurs influencé les compagnies plus tardives : les statuts des Sempiterni (1542) et des Accesi (1561) contiennent des chapitres interdisant aux membres de quitter la compagnie, avec une peine de 200 ducats, plus lourde que celle imposée par les consuls des marchands aux Floridi noirs.