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La première séance observée, quels que soient les enseignants ou leur établissement, est conçue pour être un moment de première rencontre avec l'objet '' équation'', qui, si l'on reprend Rogalski et al. (2001), « n'est pas à proprement parler un objet ''des mathématiques'' comme l'est une fonction, ou une intégrale, ou un groupe ». Cependant, le point de vue qui est adopté dans le cadre de ce PER est de considérer l'algèbre comme la science des programmes de calcul (Chevallard, 2007a). Et si l' « on parle en effet d'équation quand il y a une intention, de la part d'un mathématicien (élève, enseignant, chercheur...) de résoudre un certain type de problèmes », le PER observé propose de rechercher les valeurs qui permettent d'égaliser des programmes de calcul qui ne sont pas équivalents. L'équivalence a été définie précédemment par la nécessité d'obtenir systématiquement des valeurs égales et ce quelque soit le nombre initial, équivalence qui est démontrable grâce aux propriétés du calcul littéral – ce qui fournit au passage une raison d'être pour l'enseignement du calcul littéral, et justifie la nécessité du recours à la forme canonique des polynômes.

Permettre la dévolution du problème lors de la première rencontre orchestrée avec la recherche de ces valeurs lors de l'étude d'un spécimen qui se ramène à la résolution d'une équation du premier degré à une inconnue, repose sur des connaissances anciennes clairement identifiées : le concept de programme de calcul est familier aux élèves ainsi que le passage à l'écriture littérale. Ils disposent ainsi d'une mémoire (Matheron, 2000) liée aux programmes de calcul, mais pour cela, ils doivent faire appel à une mémoire pratique plus personnelle, qui peut se donner à voir lors de la mise en écriture algébrique du programme de calcul associé.

4.6.1

Dans la classe 2 :

Considérons un épisode survenu dans la classe du professeur P2 qui, suite à la la lecture collective de l'énoncé du premier problème, lance l'étude de la détermination de la valeur qui égalise les deux programmes de calcul. La situation objective est alors constituée de cet énoncé – qui met en scène deux personnes, Arthur et Bérénice, tapant sur leur calculatrice une succession de calculs différents – et de la calculatrice qui est un élément explicitement autorisé, voire fortement conseillé par P2. Elle apparaît alors comme un milieu matériel dénué d'intention didactique. C'est donc une situation d'action pour laquelle sont prévues des actions et rétroactions avec le milieu a-didactique qu'est la calculatrice. La dévolution repose ici sur l'acceptation de la procédure fournie par une élève et reprise par P2 pour l'ensemble de la classe. Cependant, dans le groupe observé, si deux d'entre eux ont commencé à agir sur le milieu adéquat, un troisième élève semble perdu dans sa lecture de l'énoncé et cherche des indices d'action autour de lui, comme l'avait déjà noté Brousseau dans sa thèse d'État : « Trouver à qui parler et sur quoi agir sont peut-être les problèmes principaux de l'élève » (Brousseau, 1986, p 352).

06:22 : E2,1 à E2,2 qui au départ ne l'écoute pas : je voudrais que tu m’expliques. E2,1 s’écrie en tapant sur la table avec sa calculatrice : Explique moi, j’ai pas compris, j’ai pas compris ! E2,2 montre alors sa calculatrice à E2,1 et lui montre certaines touches : Je crois que tu prends 3, il montre une touche, puis tu fais en posant son doigt sur son énoncé 3, ce qui a écrit là Arthur plus 3 et il tape sur sa calculatrice multiplié par 7, tu fais 3 fois 7. Et ça donne... 24 (sic). E2,1 : c’est tout ?!

E2,2 : oui !

Puis quelques minutes plus tard

E2,1 à E2,2 : c’est quoi le résultat ? Hein ? C’est quoi le résultat ? Comme E2,2 ne répond pas, il répète : c’est quoi le résultat ? E2,2 : je sais pas. Faut trouver le même résultat.

Cet épisode se situe au tout début de la première séance relative à l'étude du premier problème :

Arthur et Bérénice jouent avec leur calculatrice. Ils tapent le même nombre sur leur calculatrice, Arthur lui ajoute 3, puis multiplie le résultat obtenu par 7. Bérénice multiplie le nombre affiché par 2 puis ajoute 6 au résultat. À leur grand étonnement, ils s’aperçoivent qu’ils obtiennent le même résultat. Quel nombre Arthur et Bérénice ont-ils pu choisir ?

Nous pourrions faire une analyse de cette épisode en recourant à la structuration du milieu telle que fournie en Théorie des Situations Didactiques que nous rappelons ci-dessous.

À l'aide de ce cadre théorique, le milieu matériel contient, pour les deux élèves considérés, la calculatrice. L'élève sollicité, donc placé en position de professeur, a déjà agi sur la calculatrice qui par son affichage a provoqué une rétroaction. Il s'est donc placé dans une situation S4, étant lui-même un sujet qui a analysé les actions supposées des sujets S5. Néanmoins, lorsqu'il est sollicité par son camarade, ce dernier émet un message sous la forme d'une demande explicite d'aide à son étude personnelle. L'échange qui s'ensuit, durant lequel son camarade lui explique comment traduire le programme de calcul écrit en français, vient placer l'élève « explicateur », non plus dans une situation d'action – cette dernière est à cet instant-là suspendue – mais dans une situation de formulation d'une connaissance personnelle relative à la tâche à effectuer et dont il détaille sa propre procédure. Si l'élève « explicateur », noté E2,2 a appris en lisant les valeurs affichées par la calculatrice, pendant ce court dialogue, il se place cette fois dans une situation didactique qui relève du niveau S3, tout en accomplissant un geste de dévolution, habituellement propre au rôle du professeur. Il se retrouve alors dans une intersection entre une situation d'apprentissage pour lui-même et dans une situation didactique pour le camarade à qui il apporte son aide.

Cette position qui n'a pas été modélisée dans ce premier schéma sera prise en compte dans les travaux de Margolinas. Cependant, une telle analyse ne tient pas compte de la nature de l'aide qui est fournie ni de de celle des rétroactions avec le milieu matériel. Dans le cadre de la TAD, nous raisonnerons non seulement en terme de praxéologies mais également en nous attachant à décrire

l'évolution du milieu relative à une dialectique des médias et des milieux. Pour Chevallard (2007b), la définition du milieu est autre même si elle reste proche de son acception en théorie des situations :

Le mot de milieu, quant à lui, renvoie, en consonance avec la TSD, à tout système regardé comme dénué d’intention dans la réponse qu’il peut apporter (de manière éventuellement implicite) à telle question déterminée, en sorte qu’il paraît se comporter à son égard comme un fragment de nature.

Cette définition nous permet de considérer, comme précédemment, la calculatrice comme un système « dénué d'intention dans la réponse qu'il peut apporter » à la question qui, elle, est posée aux élèves. Mais lorsque l'élève E2,2, que nous avons appelé « explicateur » se met à décrire les opérations qu'il tape en même temps, il émet clairement un message à l'attention de son camarade. Son discours ne peut plus être considéré comme un milieu « dénué d'intention » et, dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique, il devient un média, c'est-à-dire comme « tout système de mise en représentation d’une partie du monde naturel ou social à l’adresse d’un certain public » (Chevallard, 2007b). En effet :

Par contraste, à propos de nombre de questions qu’on entend leur poser, les médias sont en général mus par une certaine intention, par exemple l’intention « d’informer ». Bien entendu, un média peut, à propos de telle question particulière, être regardé comme un milieu, et être utilisé comme tel.

Cependant, il serait présomptueux de reconnaître ici une dialectique des médias et des milieux, car pour que cela soit, il faut penser que « tout message (...) doit donc être confronté à des milieux, auprès desquels on s’efforcera de recueillir des éléments « critiques », qui pourraient changer le cours de l’enquête ». (Chevallard, 2009a)

au lieu d’emprunter à la culture, c’est-à-dire à autrui, on produit par soi-même, au moyen du raisonnement, ressource consubstantielle à l’humain, média qui serait à lui-même son propre milieu rendant inutile tout autre milieu.

Notons que cette définition est incomplète dans le cadre théorique dans lequel nous travaillons. En effet, nous considérons le milieu du schéma herbartien tel que conçu par Chevallard (2009a) :

didactique, M, un fait exprimé comme suit dans le schéma herbartien semi-développé : [S(X ; Y ; Q) ➦ M] ➥ R

Le système didactique S(X ; Y ; Q) élabore le milieu M qui servira à élaborer la réponse R♥. Je souligne que ce schéma doit être regardé (...) comme le schéma d’un « bilan » (a priori dans un scénario didactique, a posteriori dans un compte rendu didactique), qui ne décrit pas l’organisation didactique et son déploiement temporel attendu ou observé. Tout, en effet, y est contemporain, et même si les relations formelles qui y figurent semblent renvoyer à un temps logique, elles ne sauraient déterminer le détail de la chronique du fonctionnement du système didactique considéré : on doit s’attendre par exemple à ce que l’élaboration du milieu M s’articule de façon complexe avec l’élaboration de la réponse R♥.

Le travail que nous proposons ici souhaite interroger la dynamique qui permet d'obtenir le milieu M du schéma herbartien, milieu considéré comme un bilan. Pour cela, nous étudions dans sa temporalité l'évolution des différents milieu d'étude qui vont ainsi être générés au cours de l'enquête finalisée qui mènera à l'élaboration de la réponse R, ici une praxéologie relative à la résolution d'équations du premier degré.

4.6.2

Premières conclusions sur le dispositif de travail de groupe et l'élaboration du milieu à partir de l'analyse de l'épisode étudié en 4.6.1

À travers ce court extrait significatif d'un épisode et que nous avons pu recueillir, le travail collectif tel qu’il se donne à voir dans des temps de collaboration dans les groupes d’élèves peut permettre d’accéder à leur rapport personnel au savoir, voire à sa dimension privée, tel qu’il est mis en scène dans la classe. Ce bref épisode et son analyse nous permettent en effet de justifier le recours à une méthodologie de type clinique associée à un dispositif de mise en groupe des élèves afin de pouvoir analyser les rapports personnels évolutifs au savoir, l'existence de dialectiques de l'individu et du collectif et des médias et des milieux, au cours de l'activité de recherche.

Si, comme l'affirme Denise Grenier (2017) « en mettant les élèves en petits groupes pour « résoudre un (vrai) problème mathématique », on favorise naturellement les échanges argumentatifs et le débat, ce qui permet de réaliser la nécessité d’un langage mathématique spécifique », nous continuons à nous interroger sur la manière dont ces échanges sont réellement favorisés, et si les arguments qui seront débattus relèvent bien de l'organisation mathématique. Nous

faisons en effet l'hypothèse que loin d'être naturel, le processus par lequel le rapport au savoir va évoluer va fortement dépendre d'une part du milieu d'étude – au sens du milieu du schéma herbatien défini en TAD – mais également de l'équipement praxéologique des différents participants à la recherche, dont le professeur qui, en tant que directeur d'étude, y intervient. Pour cela, nous avons besoin de faire appel à certaines notions venant complémenter le cadre théorique que nous avions précédemment exposé.