• Aucun résultat trouvé

Pratiques et gaspillages alimentaires

Comme l’état des lieux l’a bien montré, les évolutions des pratiques alimentaires, du cout de l’alimentation, du rapport à l’alimentation du consommateur urbain, de sa perception des enjeux individuels et collectifs sont des déterminants importants dans les pratiques de gaspillage. Les principales questions et priorités relatives aux liens entre les pratiques alimentaires et le gaspillage sont résumées dans le tableau 5.

Pour mieux répondre aux enjeux du gaspillage à l’échelle des ménages urbains, qui constitue l’une des sources les plus importantes et sans doute la moins explorée, il importe de mieux connaître les déterminants du comportement individuel et des pratiques du consommateur en terme d’achat, de consommation, d’économie domestique et d’activités ménagères, leurs évolutions et leurs conséquences sur le gaspillage alimentaire en fonction des itinéraires individuels, de la stratification d’âge, du type de foyer, du profil socio-culturel, des modes de vie, du niveau d’éducation, etc.

Les travaux sur l’évolution des comportements, l’économie domestique, l’acquisition et la transmission des « savoir-faire » et des compétences alimentaires (compétences de gestion, de planification, d’anticipation,…) gagneraient à inclure les pratiques du gaspillage. Il en est de même de la prise en considération du gaspillage dans les travaux sur les arbitrages opérés par les consommateurs (coûts, nutrition/santé, naturalité/environnement, éthique, qualités gustatives, temps de préparation etc.). Les innovations en termes de produits ou de services peuvent-elles contribuer à faciliter les synergies et non des antagonismes entre ces éléments ? Sur ce même plan, il est important d’intégrer les pratiques de gaspillage dans le décodage du lien entre la communication, le marketing, la diversité de l’offre alimentaire et le comportement alimentaire ou encore entre le prescripteur et le mangeur.

46 Tomorrow’s Healthy Society Research Priorities for Foods and Diets ; 2014 JRC foresight Study, Joint Research Centre, 47 SUSFOOD strategic Research Agenda, ERA-Net on sustainable food production and consomption

41

Les interactions entre le mode d’habitat, l’architecture et l’économie domestique doivent aussi être interrogées (cuisine laboratoire des années 2000, cuisine minimaliste typique des années 1970 ou des pays asiatiques, absence totale de cuisine dans les habitats très pauvres ou au contraire dans les zones urbaines les plus chères,…).

La nature et la portée des messages de sensibilisation dépendent de la meilleure compréhension des comportements alimentaires distinctifs identitaires (individuels ou collectifs) qui structurent de plus en plus la société. L’influence et les conséquences sur le gaspillage i) des principaux troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie, orthorexie, hyperphagie, conduites restrictives obsessionnelles, néophobie alimentaire, phobies du cru, du cuit,…), ii) des régimes médicaux (pauvres en cholestérol, sans sel, riches en acides gras insaturés,…) et des astreintes alimentaires volontaires (éviction du lait de vache ou du gluten, régime végéta(l)rien, jeune, régimes protéinés, régimes amaigrissants, … ) ou encore iii) des interdits alimentaires religieux est encore mal connu.

Les comportements sont aussi façonnés par les normes sociales et encadrés par un référentiel collectif déterminant un mode de pensée (« il n’est pas bien de jeter de la nourriture » ; « signe de mon statut social, je peux me permettre de jeter »). Le gaspillage peut être perçu comme un acte rationnel par le gaspilleur alors que la société lui accorde une valeur différente. Il est important de comprendre quelles sont les normes sociales, pourquoi elles s’installent et quels sont les mécanismes et les logiques (économiques, techniques, marketing, culturelles, réglementaires) qui amènent à leur transgression ou à la différenciation à travers les pratiques de gaspillage.

La diversité des pratiques conduit nécessairement à déployer des leviers d’action différenciés ; que peut-on attendre des nouveaux outils de communication ou de stratégies d’influence (nudges, …) ou de l’essor des objets connectés (cuisine intelligente, appareils ménagers et réfrigérateurs connectés, applications dédiés à la lutte contre le gaspillage,…) qui sont présentés comme des « armes » contre le gaspillage. Dans le passé, l’échec de l’introduction de certaines innovations a montré que les attentes et aspirations des consommateurs peuvent être en décalage avec les projections.

Enfin, les mouvements basés sur le consommateur citoyen ou le consommateur responsable ont-ils une influence sur les pratiques des opérateurs (industriels, artisans, distribution,..) favorable à la réduction des pertes et du gaspillage, par exemple via la modification des cahiers des charges ?

La facilitation et l’incitation au don alimentaire auprès des associations caritatives figure parmi les mesures prioritaires proposées par les pouvoirs publiques. Sait-on comment sont perçus la distribution d’invendus ou de retraits auprès des bénéficiaires de ces circuits solidaires ?

42

Tableau 5 : Questions et priorités relatives aux liens entre les pratiques alimentaires et le gaspillage

Statut Disciplines mobilisées Pratiques ménagères et gaspillage :

Etude de l’acquisition et du transfert des savoir-faire culinaires au regard des évolutions des comportements de consommation et de l’offre de produits alimentaires ; influence de ces connaissances en termes de préparation et utilisation des produits alimentaires sur le gaspillage alimentaire ; rôle de l’éducation dans les comportements de gaspillage des consommateurs (en tant que responsables d’achat pour d’autres et en tant que mangeurs) ;

Recherche Etudes

Socio-éco.

Analyse des arbitrages des pratiques alimentaires entre différents objectifs: coûts, nutrition/santé, naturalité/environnement, éthique, réduction des pertes et gaspillages, qualité organoleptique, temps de préparation, etc.

Recherche Etudes

Economie

Comportements et régimes alimentaires distinctifs et gaspillage Recherche Psycho., Socio.

Coordination des activités liées à l’alimentation au sein des ménages (répartition des tâches courses, préparation, tri et gestion des déchets etc.) et en restauration hors foyer (restauration commerciale et collective)

Recherche Sociologie

Intégration du gaspillage dans l’analyse du lien entre communication/marketing et comportement alimentaire ; comment l’offre proposée en magasin et en restauration collective ou commerciale (taille des portions, assaisonnement, etc.) influence les comportements de gaspillage des consommateurs et convives ;

Recherche Marketing

Evolution des normes et perception du gaspillage :

Normes sociales et comportements de gaspillage (différenciation, transgression, transmission, etc.). ; comment la mise sur agenda politique (formulation, diffusion, contenu des messages etc.) influence la perception du gaspillage et la mise en place de stratégie d’acteurs

Recherche Etudes

Sciences humaines,

Sci. Po.

Perception comparée des produits et des circuits de « distribution solidaire »: conséquences sur les volumes de pertes et gaspillages.

Etudes

Le consommateur citoyen : un driver dans l’évolution des relations entre consommateur et la distribution (conventionnelle et alternative) influence sur l’évolution du cahier des charges et des pertes et gaspillages.

Recherche Etudes

Quels leviers, outils et mécanismes sous-jacents pour faire évoluer les comportements individuels de gaspillage (communication, nudges, …).

Etudes recherche

Marketing Socio., Eco.

 Evaluation ex-ante des effets des instruments de politiques publiques et privées

Les différentes questions et priorités relatives à l’évaluation ex-ante des effets des instruments de politiques publique et privée sont résumées dans le tableau 6.

Les actions sur les dates de péremption des denrées alimentaires ainsi que sur les cahiers des charges encadrant les relations entre les opérateurs du système alimentaire sont parmi les mesures de réduction les plus discutées. A ce jour le lien entre une extension de la date limite de consommation (DLC), et la réduction du gaspillage n’a pas été démontré ni sur les pratiques des consommateurs ni sur celles des opérateurs de la logistique et de la distribution. De même la multiplication des informations, potentiellement contradictoires sur la qualité sanitaire des produits (DLC, indicateurs « fraîcheur », capteurs RFID et à terme démocratisation des capteurs individuels, de type scanner proche infra-rouge) peuvent générer des conflits d’usage, d’appropriation voir de responsabilité entre les consommateurs et les distributeurs. La rigueur des cahiers des charges encadrant les relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs, et notamment les exigences en termes d’apparence ou de calibre dans le secteur des fruits et légumes, sont montrés du doigt. Certaines initiatives autour des « fruits et

43

légumes moches » ont vu le jour. La commission a levé les normes « exigeantes » de commercialisation48 (specific marketing standards) pour la majorité des espèces de fruits et légumes en 2009 mais cette modification des normes n’a à priori pas entrainé de diversification des qualités commercialisées car les opérateurs disposent de normes privées qui ont pris le relais. La question des effets potentiels d’un assouplissement de ces pratiques de normalisation (normes privées) entre opérateurs se pose donc. Au-delà des défauts d’aspects, la mise en œuvre de normes de plus en plus sévères de sécurité sanitaire et chimique des aliments (ou encore la simple application du principe de précaution), ne risque-t-elle pas d’entrer en conflit avec certaines mesures visant à réduire les pertes et gaspillages : que faire de lots de matières premières (ex : céréales) dont les teneurs en contaminants (ex : mycotoxines) sont supérieures aux normes ? Faut-il résister au renforcement des normes sanitaires si celles-ci risquent de se traduire par un accroissement significatif du volume de pertes alimentaires ? Faut-il accepter la mise en place transitoire de normes moins exigeantes pour faire face aux conditions d’urgence (mauvaises récoltes, catastrophes naturelles, conflits,…) et accroitre la résilience des systèmes alimentaires ? Comment effectuer les arbitrages nécessaires et éviter la mise en place de flux commerciaux de produits déclassés vers des pays ou les zones moins regardants sur les normes sanitaires ?

De manière complémentaire, quelle que soit la mesure de réduction des pertes et gaspillages, la perception de son acceptabilité sociale se pose toujours. C’est particulièrement important pour tout ce qui touche au recyclage et à la valorisation de « déchets », souvent connotés négativement, où l’attente sociétale en termes de qualité, de pureté et de traçabilité des produits peut s’opposer aux stratégies de bouclage des cycles et d’économie circulaire. Les pratiques de prévention et de valorisation des pertes et gaspillages de nourriture mettent en avant la question du maintien de la qualité et des spécifications et surtout du partage de la responsabilité civile et pénale entre les acteurs du système.

 

Tableau 6, Questions et priorités relatives à l’évaluation ex-ante des effets des politiques publiques et privées

Statut Disciplines mobilisées Lien entre extension de la durée de vie et réduction du gaspillage.

Incidences sur le comportement du consommateur, sur la logistique et sur les stratégies d’acteurs.

Recherche Etudes

Socio-éco.

Cohérence entre les informations : date de péremption et indicateurs « fraîcheur » ; incidence sur le comportement du consommateur et de la grande distribution.

Etudes Socio-éco. expérimentale

Conséquences sur le gaspillage et sur l’environnement d’un assouplissement ou d’une rationalisation des cahiers des charges des entreprises agroalimentaires

Recherche Etudes

Sociologie

Interrelations entre les exigences de sécurité sanitaire et chimique et le renforcement de la résilience des systèmes alimentaires.

Recherche Etudes

Socio-éco.

Acceptabilité collective et individuelle des mesures de prévention et de valorisation des pertes et gaspillages ou encore du bouclage des cycles par interconnexion entre les systèmes alimentaires et les systèmes de valorisation des bio-déchets

Etudes Sociologie

Responsabilité juridique et sécurité sanitaire et au sein du système alimentaire (économie formelle et économie informelle) : type de responsabilité, risques encourus et partage ou non de la responsabilité entre acteurs.

Etudes Droit

Impacts des politiques d’urbanisme et de mobilité urbaine ; impact économique et social des mesures de réduction des pertes et gaspillages (selon le type de mesures)

Etudes Droit

48

44

 Evaluation ex-post des effets des instruments de politiques publiques et privées

Les différentes questions et priorités relatives à l’évaluation ex-post des instruments de politiques publique et privée sont résumées dans le tableau 7. L’action publique ne doit pas être à l’origine de pertes et gaspillages ; il est prévisible que les politiques publiques soient évaluées sous cet angle : quels indicateurs d’impact, quels outils d’aide à la décision sont à la disposition du décideur pour mettre en balance et articuler des objectifs de réduction des pertes et gaspillages avec d’autres objectifs ? Pour en citer un exemple, les programmes nutritionnels actuels, de type PNNS49 en France ou encore les références nutritionnelles pour les repas à l’école, devraient être évalués non seulement par rapport à leurs effets sur les apports alimentaires, mais aussi sur leurs conséquences en terme de gaspillage alimentaire. Le suivi des consignes de grammage par repas dans un objectif nutritionnel et non gustatif peut induire du gaspillage. L’étude des outils permettant la prise en compte des externalités propres aux systèmes agroalimentaires par taxation (par exemple « taxes carbone ») ou au travers de la création de marchés de quotas d’émissions (par exemple « crédits carbone ») ou de certificats d’économie d’énergie, de CO2, … doit aussi être abordée. L’impact sur la réorientation des systèmes de ce type de mesures doit être mis en balance avec les risques d’augmentation du prix des aliments et de l’augmentation des inégalités d’accès à une alimentation de qualité. De manière plus générale l’impact des mesures visant la réduction des pertes et gaspillages sur l’évolution du coût de l’alimentation doit être documenté.

Sur le plan du transfert de connaissances acquises sur ces leviers auprès des professionnels et prescripteurs au sein du système alimentaire, l’action publique de formation initiale et continue doit être testée pour ses impacts sur les volumes de pertes et gaspillages. L’impact de la sensibilisation et du transfert de connaissances qui est mis en avant par tous les acteurs publics et privés, du fait de son faible coût et de son caractère peu coercitif mérite d’être évalué

Tableau 7, Questions et priorités relatives à l’évaluation ex-post des instruments de politiques publiques et privées

 

Statut Disciplines mobilisées Impacts des mesures de réduction des pertes et gaspillages sur le

coût de l’alimentation (conséquences de la réduction de l’offre au niveau de la distribution, des taxations diverses, de l’internalisation des coûts externes tout au long des filières,…).

Etudes Economie

Outils incitatifs pour favoriser une consommation raisonnée des produits alimentaires : faisabilité de la mise en place de l’éco- conditionnalité à l’achat ou du transfert des dispositifs de type « certificats d’économie d’énergie » ou « Responsabilité Elargie des Producteurs (REP) » sur les produits alimentaires (définition des objectifs, de l’organisation, des effets pervers).

Etudes Expertise

Sci. Po.

Indicateurs d’impacts, de volumes, de flux, de lieux de production, etc. et outils d’aide à l’évaluation des politiques publiques aux différentes échelles (individu, ménage, ville etc.).

Etudes Economie

Analyse des effets induits par les politiques et les programmes de santé : incidence sur la consommation alimentaire, les offres en restauration collective, le don alimentaire et l’évolution des volumes de produits gaspillés

Etudes Sci. Po.

Analyse, modélisation et simulation des synergies, cohérences et effets pervers des politiques agricoles, environnementales et de santé dans un objectif global de réduction des pertes et gaspillages

Recherche Sci. Po. Econométrie

Transfert de connaissance via les actions de formation initiale et continue (notamment auprès des professionnels de la distribution et de la restauration) et leur intégration dans les pratiques de réduction des pertes et gaspillages (ex ante et ex post).

Formation Expertise Sci. Educ. Enseignement  

45

6.2 Filières, cycles et systèmes alimentaires

Ce paragraphe aborde les priorités relatives aux modes d’organisation et aux stratégies des acteurs, publics et privés. Les systèmes d’organisation susceptibles de favoriser le découplage du bien être humain de l’extraction des ressources non renouvelables et l’émergence d’une économie agricole et agroalimentaire « circulaire » plus durable sont interrogés, caractérisés et analysés au travers d’approches intégrées de sciences économiques, marketing, gestion, droit et géographie.