s’investit avec force dans l’engagement politique. Tant sur le plan du droit de
l’homme que sur le plan de l’écologisme, elle a bien tenté de s’exprimer
publiquement et de prendre part à la lutte. Par ailleurs, la cape contre la grippe aviaire
qu’elle invente démontre que sa cause politique a une connotation plus large qui ne se
borne pas aux blocs politiques. Marquée par l’humanisme, son entreprise est
confrontée à de nombreuses difficultés. Certes, elle se sent isolée, incomprise par
certains lecteurs et collègues, mais elle tient bon sans être vaincue par le malentendu
des autres et le sarcasme de certaines presses. Sans agir sur un coup de tête, elle
persiste à se faire comprendre et à convaincre avec le bien-fondé de sa quête.
Nous avons analysé, à travers une analyse sociologique, la famille, la pratique
professionnelle et l’engagement politique de Fred Vargas. Certes, nous avons trouvé
de nombreuses affinités entre ses expériences socialisatrices et sa production littéraire,
mais nous avons davantage tenté d’esquisser un portrait décalé de l’auteure. Les
documents de la presse que nous avons cités ne sont pas consacrés à copier la réalité
vécue par l’auteure. Nous préférons les considérer comme une “vérité fictionnelle”
qui sert à mythifier Fred Vargas, non pas à afficher nettement sa dimension sociale et
politique. Et les traces biographiques dispersées dans les romans vargassiens ne
s’inscrivent pas là non plus. Que ce soit la “polarchéologie” ou la dépolitisation, la
figure décalée de Fred Vargas est non seulement liée à sa posture singulière dans
champ littéraire, mais aussi à sa revendication de littérarité. Donc, pour entrer au
coeur du travail de l’auteure, nous analyserons par une approche textualiste dans la
partie suivante sur la poétique dans les oeuvres vargassiennes.
II. Fred Vargas, une polareuse inclassable?
Nous avons analysé Fred Vargas dans le paysage éditorial à l’aide d’une
approche sociologique. Pourtant, cette étude nous écarte, en quelque sorte, de la
création littéraire de l’auteure. Certes, notre enquête révèle plus haut la trajectoire de
la “reine du polar français” en éclairant sous plusieurs angles sociologiques le
phénomène Vargas. Nous avons également dressé un croquis de la figure décalée de
l’auteure. Mais il est évident que nous devons aller plus loin pour traiter le
positionnement singulier de l’auteure dans le genre policier en faisant appel à une
analyse textualiste, ainsi qu’à une analyse du discours et de la posture de l’auteure,
parce que cela constitue un des aspects les plus décalés de l’auteure. Il semble qu’on
soit dans le dilemme quand on tente de classer Fred Vargas dans une certaine
catégorie, tant du côté de la presse que chez le lecteur. Le mystère Vargas découle en
effet, dans une large mesure, de son positionnement orignal: les trois subdivisions du
genre policier ne seraient pas en mesure d’encadrer strictement les oeuvres
vargassiennes. Dans cette partie, nous tenterons donc d’éclairer la formule singulière
de l’auteure par le biais de son rapport au genre et à la sérialité, de sa subversion des
codes et du péritexte dans ses romans. Evidemment, nous avons pour objectif de
repérer les signes de respect des codes génériques pour les comparer aux dominantes
des trois sous-genres de la littérature policière. N’oublions pas le péritexte qui est fort
marqué par le contrat de lecture. Plus encore, nous avons affaire aux procédés qui
permettent à Fred Vargas de désorienter notre tentative de classification. Si le
“déjà-lu” contribue à faire identifier facilement le genre policier, quelles sont les
variations qui nous déroutent? Et comment s’établit l’équilibre entre le “déjà-lu” et le
“nouveau”? Pour ce faire, nous allons analyser, dans la sous-partie suivante, son
rapport à la sérialité et au genre.
2.1. Le rapport à la sérialité et au genre policier
Dans cette sous-partie, nous avons pour but d’éclairer la filiation des oeuvres
vargassiennes avec les enjeux fondamentaux du genre. Première caractéristique, le
cycle du Commissaire Adamsberg est marqué par la sérialité, ce qui s’inscrit dans la
culture médiatique. Ce mode de production renvoie à des fictions traditionnellement
considérées comme non canoniques dont la connotation est depuis toujours quelque
peu péjorative vu sa grande adaptabilité à la logique de marché et sa ferme volonté de
fidéliser le lecteur. Il va de soi que la sérialité assure au lecteur un repérage facile par le
moyen de répétition, qui contribue donc à susciter chez lui une émotion rassurante.
Cela reflète alors une forte connivence entre l’auteur, l’éditeur et le lecteur. Pourtant, la
répétition ne prend pas le contre-pied de l’innovation. Quoi que bien identifiable, bien
diffusé et bien lu, le genre policier se voit attribuer la possibilité de créer du nouveau
dans la production sérielle. Ensuite, nous tenterons d’analyser sommairement les
dominantes des trois sous-catégories du genre policier, ce qui est nécessairement lié à
notre tentative d’éclaircir le rapport de Fred Vargas avec chacun des sous-genres. Ainsi
pouvons-nous découvrir entre autres une large homogénéité avec le roman à énigme.
Leur rapprochement est prioritairement marqué par une structure duelle: désordre
initial (meurtre), enquête hypothético-déductive, retour à l’ordre (explication).
2.1.1. Le cycle d’Adamsberg dans la production sérielle.
La production sérielle est en effet la caractéristique nodale de la littérature de
Dans le document
Le roman policier de Fred Vargas : mutations du romanesque et diffusion médiatique dans la France contemporaine
(Page 139-143)